À son article 2, l’accord de Paris engage la communauté internationale à limiter le réchauffement relativement à l’ère préindustrielle « nettement en dessous de 2 °C » et à « poursuivre l’action » pour atteindre la cible de 1,5 °C. Il n’indique pas explicitement quel indicateur utiliser pour juger où on se situe par rapport à ces objectifs.
En janvier, l’Organisation météorologique mondiale (OMM) a estimé que la température moyenne s’est établie en 2023 à 1,45 °C au-dessus de l’ère préindustrielle. Elle annonce que 2024 risque d’être encore plus chaude, en raison de la prolongation de l’épisode El Niño apparu l’été dernier. Un réchauffement de 1,5 °C pourrait être observé pour la première fois sur une année complète. D’après le programme européen Copernicus, c’est déjà le cas en considérant l’année glissante allant de février 2023 à janvier 2024.
Du fait de la variabilité à court terme du climat, il serait erroné d’en déduire que le réchauffement planétaire a atteint 1,5 °C. Mais comment sont établis ces indicateurs et comment les utiliser pour juger notre position actuelle au regard des objectifs de l’accord de Paris ?
Comment on observe la température mondiale
L’OMM est une agence des Nations unies, basée à Genève. Elle consolide dans ses bilans annuels les informations issues de 6 organisations qui disposent de systèmes d’observations propres et gèrent des bases de données historiques sur les températures mondiales.
Trois sont basées aux États-Unis : l’agence publique NOOA en charge de l’observation des océans et de l’atmosphère, le GISS qui dépend de la NASA et le Berkeley Earth, une association de scientifiques à but non lucratif. Au Japon, la base de données JRA-55 est gérée depuis le service de la météorologie nationale, comme l’est celle de HadCRUT5 du Hadley Center au Royaume-Uni. Enfin, le programme européen Copernicus se charge de la base de données ERA5.
Sur la période récente, la dispersion des estimations de la température moyenne dans le monde est très faible. Elle augmente à mesure que l’on remonte dans le temps. Sur les périodes passées, on disposait en effet de beaucoup moins d’observations et elles n’avaient ni la précision ni la fiabilité de celles fournies aujourd’hui par les satellites. Cela pose la question de la référence historique à prendre en compte pour calculer le réchauffement relativement à l’ère préindustrielle.
[Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde. Abonnez-vous aujourd’hui]
Le GIEC s’est penché sur cette question dans ses différents rapports d’évaluation. Il préconise de considérer la température moyenne estimée sur la période 1850-1900 comme représentative de celle de la période préindustrielle. En faisant la synthèse des travaux existants, il donne une estimation de la montée du thermomètre entre 1850 et 1900 et la période récente (+0,69 °C entre 1850-1900 et 1986-2005 d’après le 6e rapport).
L’OMM reprend ces travaux pour consolider les observations fournies par les 6 centres de recherche et produire l’estimation de référence du niveau de réchauffement atteint chaque année. C’est cette dernière qui apparaît sur le graphique ci-dessous : une hausse moyenne du thermomètre évaluée à 1,45 °C pour l’année 2023, laissant entrevoir la possibilité d’un réchauffement de 1,5 °C en 2024 si l’épisode El Niño ne faiblit pas.
Moyennes infra-annuelles : le 1,5 °C atteint dès 2015 et 2016
En réalité, la cible de 1,5 °C avait été atteinte bien plus tôt, si on se réfère aux données infra-annuelles. D’après celles reportées dans la base du programme Copernicus, les premières journées connaissant un réchauffement de 1,5 °C ont été mesurées pour la première fois en 2015. En novembre 2023, Copernicus a rapporté les premières moyennes journalières au-dessus de 2 °C.
Concernant les moyennes mensuelles, février 2016 a été le premier mois à observer un réchauffement de 1,5 °C relativement à l’ère préindustrielle. L’envolée du thermomètre au cours de ce mois s’expliquait également par un épisode El Niño de forte intensité. En 2023, les moyennes mensuelles ont dépassé 1,5 °C tous les mois à partir de l’été.
Il ne viendrait pourtant à l’idée de personne d’affirmer qu’on a atteint le seuil critique de réchauffement de l’accord de Paris en raison de ces dépassements journaliers ou mensuels. Mais qu’en est-il si la cible de 1,5 °C est atteinte pendant une année complète ?
Le GIEC rappelle qu’une année avec un réchauffement à 1,5 °C ne signifie pas que la cible correspondante de l’accord de Paris a été atteinte. Il recommande d’utiliser des moyennes pluriannuelles. Dans le sixième rapport du GIEC le diagnostic d’un réchauffement observé de 1,1 °C relativement à l’ère préindustrielle concerne ainsi la décennie 2011-2020. Pour diagnostiquer que la cible de 1,5 °C ou la limite de 2 °C ont été atteintes, le GIEC recommande d’utiliser un indicateur portant sur deux décennies.
Où en sommes-nous en 2024 ?
L’OMM indique qu’à la suite de la température moyenne constatée en 2023, le réchauffement atteint 1,2 °C sur la dernière décennie (2014-2023). En suivant les recommandations du GIEC, il faudra attendre de connaître le réchauffement moyen de la prochaine décennie (2024-2033) pour pouvoir évaluer l’état du réchauffement actuel. La méthode permet de juger a posteriori de l’atteinte ou du dépassement des cibles de température.
Par définition, on ne connaît pas les températures de la prochaine décennie. Mais on peut les estimer à partir des évolutions du passé. Depuis 1970, la courbe d’évolution des températures moyennes suit une tendance très robuste statistiquement : le thermomètre prend 0,2 °C par décennie. Tant que la croissance du stock de gaz à effet de serre dans l’atmosphère n’est pas contenue, il n’y a aucune raison de postuler le ralentissement de cette tendance.
Prolongeons donc cette tendance sur les 10 prochaines années. Le réchauffement moyen s’élèvera alors à 1,4 °C sur la prochaine décennie 2024-2033 (1,2 °C + 0,2 °C). On peut donc considérer que nous avons atteint début 2024 un réchauffement moyen de 1,3 °C, à tendance du réchauffement inchangée sur les dix prochaines années.
Bien entendu, cela montre surtout que la tendance doit être inversée de toute urgence. Si elle se prolonge sur la décennie suivante, la cible de 1,5 °C sera atteinte vers le milieu de la prochaine décennie, comme cela apparaît sur le graphique. Si elle se poursuivait par la suite, on serait en 2050 à mi-chemin entre la visée de 1,5 °C et la limite de 2 °C.
Christian de Perthuis ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.