Annecy : derrière la carte postale, l’ombre du surtourisme

3 months ago 40

Les membres de l'association des résidents de la vieille ville d'Annecy se sont rassemblés début juin pour protester contre l'autorisation accordée aux commerces d'augmenter leur surface de terrasses. Association des Résidents de la Vieille Ville d'Annecy (ARVVA), Fourni par l'auteur

Lovée au tour de son lac et entourée de montagnes, l’agglomération d’Annecy se situe sur un territoire enclavé, qui contraint la circulation routière autour du lac et concentre les flux touristiques au sein du centre historique aux rues exiguës. La « Venise des Alpes » est une destination prisée qui accueille trois millions de visiteurs par an (lesquels consomment cinq millions de nuitées), pour seulement 215 000 habitants réguliers.

Pont des Amours à Annecy, gravure de la fin du XIXᵉ siècle.

Le Pont des Amours, lieu incontournable où les touristes aiment prendre la pose, apparaît sur plus de 25 000 publications Instagram. Après la crise sanitaire, la ville d’Annecy et le pourtour de son lac ont connu un fort engouement du fait, notamment, de l’essor fulgurant du tourisme de proximité et de la surmédiatisation de cet écrin de nature.

Les résidents, au cœur des nuisances, voient leur qualité de vie affectée par ce surtourisme, et expriment de plus en plus une forme de « ras-le-bol ». Pour mieux comprendre le phénomène, nous avons mené une étude auprès de la population du bassin annécien.


À lire aussi : Le modèle touristique espagnol atteint-il ses limites ?


À Annecy, le « ras le bol » des riverains

Pour cette étude, en cours de publication, nous avons mené 60 entretiens en plusieurs vagues distantes de la crise sanitaire (2020, 2021 et 2023). Les nuisances mentionnées, en augmentation, concernaient principalement :

  • le bruit (de jour et le soir) occasionné notamment par les restaurants et les bars qui submergent l’espace public, parfois à la limite du respect des réglementations en vigueur, selon les résidents.

  • Suit ensuite la congestion automobile, cycliste et piétonne (y compris du marché local),

  • l’orientation des magasins vers le tourisme (magasins de souvenirs, restaurants de moindre qualité…) aux dépens des commerces de proximité,

  • la dégradation du patrimoine, l’augmentation des incivilités, la gestion des déchets compliquée ou encore la difficulté de se frayer un chemin pour accéder à son lieu de résidence (étalement des terrasses et étalages des commerces).

  • Les habitants se plaignent également de la prolifération des locations de courte durée de type Airbnb qui conduisent des touristes à s’immiscer dans des lieux d’habitations jusqu’à présent épargnés, et qui participent à l’augmentation des loyers.

Ces coûts subis (dont la plupart des résidents ne tirent aucun bénéfice économique), et qui sont peu entendus par les autorités publiques, engendrent un sentiment de dépossession de leurs lieux de vie.

Aux origines, la croissance insolente du tourisme

La fin de la Seconde Guerre mondiale a vu apparaître le tourisme de masse, qui n’a depuis cessé de croître de façon exponentielle, démontrant l’incroyable résilience de l’industrie touristique capable d’absorber et de rebondir face aux crises. Selon l’Organisation mondiale du tourisme, les arrivées de touristes internationaux devraient atteindre en 2024 leur niveau pré-Covid.

En moyenne, les flux touristiques internationaux augmentent de 5 % par an, à ce volume vient s’ajouter les touristes nationaux et les excursionnistes (visiteurs se déplaçant à la journée). La France, selon le World Travel and Tourism Council (WTTC), est la première destination mondiale avec 100 millions de visiteurs internationaux.

[Déjà plus de 120 000 abonnements aux newsletters The Conversation. Et vous ? Abonnez-vous aujourd’hui pour mieux comprendre les grands enjeux du monde.]

Les impacts économiques, sociaux et environnementaux du tourisme sont étudiés par les chercheurs à travers le monde depuis les années 60. Collectivement, ces travaux démontrent qu’un flux touristique non maîtrisé peut causer toute une gamme d’effets négatifs, que l’on retrouve tout ou partie à Annecy : augmentation du prix de l’immobilier, délocalisation des populations locales, pertes des savoir-faire et de l’identité locale, pollutions diverses (atmosphériques, sonores…), dégradation de la qualité de vie des résidents et de l’offre touristique, impacts sur l’environnement


À lire aussi : Venise au pic de la crise : comment sortir de l’ultra-dépendance au tourisme ?


Surtourisme, pourquoi tant de haine ?

Le tourisme de masse existe depuis longtemps, mais le phénomène de surtourisme, et notamment son rejet par les communautés d’accueil, qualifié de « tourismophobie » est plus récent. Le surtourisme a été défini comme :

« la croissance excessive du nombre de visiteurs entraînant une surpopulation dans les zones où les résidents subissent les conséquences de pics touristiques temporaires et saisonniers, qui imposent des changements permanents à leurs modes de vie, à l’accès aux commodités et au bien-être général ».

Le surtourisme questionne donc la capacité d’une destination donnée à absorber les flux sans générer des impacts négatifs significatifs.

Graffiti contre Airbnb à Annecy. Association des Résidents de la Vieille Ville d’Annecy (ARVVA), Fourni par l'auteur

Aux premières loges de ces nuisances, nous retrouvons les résidents, dont l’altération de la qualité de vie est au centre même de la définition du surtourisme : c’est la capacité de ces derniers à mener une vie quotidienne normale qui est affectée.

Ce sentiment est de plus en plus partagé par les résidents de la ville d’Annecy et du pourtour du lac qui a connu un fort engouement après la crise sanitaire, du fait notamment de l’essor fulgurant du tourisme de proximité et de la surmédiatisation de cet écrin de nature.

Une onde de choc progressive

En nous inspirant de modèles déjà mobilisés pour étudier les impacts du tourisme, nous avons voulu évaluer, dans notre étude, l’onde de choc du surtourisme sur la vie des Annéciens. Peu d’habitants interviewés se disent tolérants face au tourisme, même s’ils acceptent que la beauté d’Annecy attire nécessairement des visiteurs.

On remarque d’abord des stratégies de réajustements au niveau géographique : changer de plage ou de massif pour randonner voire même fréquenter d’autres lacs et éviter le quartier historique, devenu un repoussoir pour les Annéciens.

Des réajustements temporels s’imposent également : fréquenter les plages tôt le matin, éviter le week-end et les périodes de manifestations nombreuses. Quand c’est possible, les habitants quittent le territoire lors de la saison estivale, en se relocalisant dans une résidence secondaire loin du territoire annécien.

D’autres finissent par faire le choix de déménager du bassin annécien, un choix qui se fait souvent à des tournants de la vie. Ainsi, lors du départ à la retraite par exemple, des arbitrages doivent être faits entre baisse des revenus, augmentation de la valeur de son bien immobilier (également boostée par la proximité de la Suisse) et les nuisances liées au surtourisme.

La décision de déménager peut alors se préciser, souvent à contrecœur. Lors de la décision d’emménager, un calcul similaire peut s’opérer et motiver les nouveaux arrivants à choisir un territoire en dehors du bassin annécien, engendrant alors un effet de contagion aux territoires limitrophes (Aix-les-Bains, Chambéry…).

Pistolets à eau, quotas ou taxe touristique

Le surtourisme est un problème global qui touche de nombreux pays et pour lequel chaque destination apporte des réponses différentes. Quand les autorités publiques réagissent peu, comme à Annecy, les résidents s’unissent pour exprimer leur mécontentement. Les adhérents de l’Association des résidents de la vieille ville d’Annecy (ARVVA) ont pris le problème à bras-le-corps en organisant des mobilisations citoyennes et en affichant des messages de sensibilisation à destination des touristes.

Les riverains font passer des messages à leurs fenêtres. Association des Résidents de la Vieille Ville d’Annecy (ARVVA), Fourni par l'auteur

À Barcelone, c’est à coup de pistolets à eau dirigés contre les touristes que les habitants manifestent contre le surtourisme. Le maire de Barcelone a notamment récemment annoncé le non-renouvellement des licences municipales autorisant la location saisonnière.

D’autres destinations font payer un droit d’entrée ou imposent des quotas de visiteurs. Par exemple : Venise, Dubrovnik, les îles Galapagos, le parc national des Calanques, l’île de Bréhat. D’autres condamnent les comportements toxiques des touristes avec sévérité, comme aux Baléares ou à Amsterdam.

Des stratégies de démarketing peuvent également être menées, comme à Amsterdam qui a cessé toute promotion. Cette destination coopte également l’orientation des enseignes pour garantir des commerces de proximité plutôt que des commerces touristiques. La Suisse, de son côté, a décidé de limiter à 20 % la proportion des résidences secondaires. Ces mesures étant relativement récentes et diverses, il est encore trop tôt pour identifier les approches les plus vertueuses.

En définitive, beaucoup de destinations perçoivent encore le tourisme comme une économie de rente. Mais peu à peu, les plus exposées d’entre elles prennent conscience des nombreuses externalités négatives – pour ne pas dire toxiques – du secteur. Le surtourisme a mis en lumière des phénomènes qui sont apparus avec le tourisme de masse et se sont aggravés au fil du temps. Il appartient maintenant aux autorités locales et nationales de prendre la mesure de ces enjeux et d’adopter des mesures pour restaurer la qualité de vie des populations locales.

The Conversation

Isabelle Frochot a reçu des financements de l'Université Savoie Mont Blanc et du Labex ITTEM (Innovations et Transitions Territoriales en Montagne).

Roxane Favier a reçu des financements de l'Université Savoie Mont Blanc et du Labex ITTEM (Innovations et Transitions Territoriales en Montagne).

Read Entire Article