Le café et le cacao font aujourd’hui partie de notre quotidien, mais la hausse de la demande mondiale pour ces deux produits tropicaux a des conséquences environnementales majeures. Traditionnellement cultivés au sein même de la forêt tropicale, dans des systèmes agroforestiers où les arbres fournissent aux plants de café l’ombre nécessaire à leur développement, café et cacao contribuent désormais de manière importante à la déforestation.
Dans les tropiques, l’extension des zones agricoles est la première cause de déforestation. Or les régions tropicales hébergent la majeure partie des espèces animales et végétales sur notre planète : la perte de forêts tropicales a bien entendu un impact sur le réchauffement climatique, mais elle représente aussi une érosion irrémédiable de la biodiversité.
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Les agroforêts reculent depuis plusieurs décennies devant l’extension des monocultures. Ces écosystèmes qui concilient production agricole et préservation d’une partie de la forêt et de la biodiversité qu’elle héberge, sont-ils donc voués à disparaître ? Comprendre les menaces qui pèsent sur ces systèmes culturaux est essentiel afin de limiter la déforestation en zone tropicale, mais les politiques agricoles ont aussi une responsabilité dans ces évolutions.
La crise de la rouille du caféier au Mexique est une illustration de la vulnérabilité des systèmes agroforestiers et des conséquences environnementales parfois malheureuses de politiques agricoles. Dans une étude récente, nous nous sommes penchés sur les conséquences de cette maladie causée par un champignon microscopique (Hemileia vastatrix), sur la déforestation au Mexique, qui a augmenté en moyenne de 32 % par an entre 2012 et 2018, en particulier dans les zones où était pratiquée l’agroforesterie.
Mais la maladie n’est pas seule en cause : la déforestation accrue est aussi pour partie la conséquence de la stratégie de lutte sponsorisée par le gouvernement, qui repose sur le remplacement des caféiers traditionnels par des hybrides robustes à la rouille.
Une épidémie massive
Pour le comprendre, revenons sur la culture du café au Mexique. 9e producteur mondial en 2011, le pays produit principalement du café de qualité, de type arabica. Contrairement à ses voisins passés massivement à la monoculture de café de type robusta, le Mexique comptait encore en 2012 80 % de plantations de café sous couvert arboré, les plans d’arabica craignant le soleil à l’inverse des caféiers robusta.
En 2012, une épidémie de rouille massive a affecté le pays, probablement favorisée par des températures minimales élevées et un mauvais état d’entretien des plantations alors que les prix internationaux du café étaient très bas.
Le champignon pathogène était présent au Mexique depuis plusieurs décennies, mais son évolution était jusqu’alors contenue : la violence de l’épidémie de 2012 a pris de court l’ensemble des acteurs. Entre 2012 et 2018 la rouille a gagné la quasi-totalité des exploitations du pays. Cette maladie ne tue pas les caféiers mais réduit drastiquement et durablement leur production en limitant leur capacité de photosynthèse.
Des cultivars résistants pour répondre à la crise
Face à la crise du secteur, la réponse du gouvernement mexicain a consisté à promouvoir, à partir de 2014, le remplacement des caféiers traditionnels de type arabica, sensibles à la rouille, par des cultivars issus de croisement d’arabica et de robusta. Ces hybrides héritent des robusta la caractéristique de résister à la rouille.
Dans le cadre de ce programme nommé PROCAFE, des aides financières ont été versées aux producteurs afin de subventionner l’achat de plans, et aux pépinières pour qu’elles produisent en masse les cultivars résistants.
Mais ce programme mis en place pour répondre à l’urgence présente deux limites majeures : d’une part la résistance des nouveaux cultivars peut être contournée par la rouille, comme cela a déjà été observé au Honduras et au Costa Rica, d’autre part ces caféiers croisés de robusta sont mieux adaptés aux conditions de plein soleil qu’au couvert arboré.
Le programme a ainsi contribué à l’accélération de la déforestation au sein des agroforêts et leur transition vers la monoculture.
Estimation de l’infestation
En théorie, un choc négatif sur la production agricole, climatique ou épidémique comme dans le cas de la rouille, a un effet ambigu sur la déforestation. Il peut dans certains contextes limiter la pression sur les forêts en réduisant la profitabilité des exploitations agricoles et en induisant plus d’exode rural, ou à l’inverse inciter les agriculteurs à accroître la surface de leurs exploitations pour retrouver un niveau de production comparable à celui d’avant le choc.
Pour montrer l’effet causal de l’épidémie de rouille sur la déforestation au Mexique, nous avons utilisé dans notre étude la variabilité locale et temporelle du déclenchement de l’épidémie.
Nous avons également exploité le délai de mise en place du programme PROCAFE afin de tenter de cerner la responsabilité de cette politique agricole dans la transformation des zones de production de café.
Déforestation accrue
Nous avons utilisé les données statistiques sur le volume de production de café par municipalité pour détecter le déclenchement local de l’épidémie, en l’absence de données de suivi phytosanitaire. Nous avons pris comme signal d’infestation le constat de deux années consécutives de production anormalement basse, puis avons mesuré la déforestation à l’aide de données satellites renseignant l’évolution du couvert forestier à une résolution fine de 30m par 30m, et croisé ces données avec une carte d’utilisation des sols produite par l’institut national statistique mexicain.
Les données de déforestation utilisées définissent un seuil de 5 mètres de hauteur pour distinguer un arbre d’autres types de végétation. Les plants de café en monoculture ne dépassent pas 5 mètres et ne peuvent être confondus avec des forêts. En revanche, les agroforêts denses traditionnelles où les caféiers sont cultivés sous couvert arboré, sont considérées comme de la forêt.
Nos résultats révèlent une progression de la déforestation plus forte dans les municipalités affectées par l’épidémie. Elle ne s’accompagne pas d’une hausse de la superficie agricole, mais a lieu pour partie au sein de zones boisées déjà consacrées à l’agriculture, c’est-à-dire très probablement des agroforêts… de café.
La déforestation est plus marquée dans l’État de Oaxaca qui comptait avant la crise une plus forte proportion de café cultivé en agroforesterie. Il semble donc que la crise de la rouille ait contribué à la diminution du couvert forestier dans les agroforêts de café.
Politiques agricoles et incitations
La responsabilité du programme PROCAFE est difficile à quantifier, mais différents éléments convergent pour établir sa contribution dans l’accélération de la transition des systèmes de culture traditionnels vers de la monoculture.
La diminution de couvert forestier est plus marquée à partir de 2014, soit après le lancement du programme PROCAFE, et touche à partir de cette date toutes les municipalités dans lesquelles la culture du café est pratiquée, qu’elles soient ou non touchées par l’épidémie.
Sachant que les subventions du programme visaient aussi le remplacement préventif des plants de café arabica susceptibles d’être infectés, la promotion et la subvention de cultivars hybrides a ainsi sans doute contribué à intensifier la production caféière et la déforestation dans les zones de café.
Les épidémies frappant les cultures agricoles sont vouées à se multiplier avec le changement climatique, qui diminue les défenses naturelles des organismes en les soumettant à un stress accru. Pour protéger les agroforêts, il est nécessaire de mieux prendre en compte les conséquences de long terme et les effets environnementaux des politiques agricoles, et donc d’anticiper les prochaines crises.
Notre étude illustre la fragilité des systèmes agroforestiers, menacés par le développement des monocultures industrielles. Les agroforêts permettent pourtant de concilier agriculture et préservation d’une partie de la biodiversité et constituent une source de moyens de subsistance diversifiés pour les populations autochtones. Leur préservation va donc au-delà des aspects environnementaux.
Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.