Capturer, stocker et utiliser le carbone par la technologie : option sérieuse pour le climat ?

8 months ago 47

Face à un changement climatique plus sévère qu’attendu, atteindre les objectifs de l’accord de Paris – c’est-à-dire limiter le réchauffement climatique à moins de 2 °C, idéalement 1,5 °C à l’horizon 2100 – impliquera sans doute d’utiliser toutes les options technologiques possibles à ce jour.

L’Agence internationale de l’énergie (AIE) est, sur le sujet, formelle : plusieurs solutions existent d’ores et déjà, il convient désormais de les mettre en pratique à grande échelle.

Parmi ces options se distingue celle du captage, du stockage et de la réutilisation du dioxyde de carbone (CCUS en anglais). Elle pourrait participer à hauteur de 19 % aux réductions des émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2050.

Sans cela, le coût de la tonne de CO2 augmenterait de 70 % au même horizon, estime l’AIE. D’une solution théorique il y a quelques années, cette technologie est devenue l’une des options les plus prometteuses pour combattre le changement climatique. Le principal frein étant son coût élevé.

De façon très simplifiée, il existe de nos jours trois techniques de capture et de séparation du CO2 :

  • la capture post-combustion (après le processus de production),

  • la capture pré-combustion (avant le processus de production)

  • et la combustion d’oxygène-combustible.

Ces trois technologies sont employées aujourd’hui par diverses industries et la tendance est à leur généralisation dans le monde.

En 2023, 392 installations commerciales de CCUS étaient recensées dans le monde, avec une capacité moyenne totale de captage de CO2 de 361 Mtpa. La plupart des usines qui ont mis en œuvre la technologie CCUS sont basées en Amérique du Nord, en Europe et en Asie de l’Est et Pacifique, qui représentent respectivement 63 %, 22 % et 9 % de la capacité de captage mondiale.

Mais la technologie suscite de l’intérêt dans le monde entier et en particulier dans les pays émergents. Revenons donc sur l’état de développement des CCUS, leur potentiel mais également les principaux défis à venir.

Des technologies coûteuses

Les technologies CCUS sont au centre d’enjeux économiques majeurs. D’une part, l’analyse coût-bénéfice est défavorable en raison d’une tarification carbone encore trop faible. D’autre part, la rentabilité des investissements est incertaine, retenant ainsi les investissements à grande échelle. Enfin, des incertitudes sur les externalités environnementales limitent l’engagement des parties prenantes.

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Ces technologies ont en effet des coûts encore élevés. Moderniser des installations existantes et les doter de capacités CCUS est coûteux en raison de la nature sur mesure de l’intégration technologique requise pour chaque industrie et pour chaque entreprise.

Malgré cela, investir dans ces technologies est jugé crucial pour atteindre les objectifs climatiques à long terme. À mesure que nous nous approchons de 2030 (date à laquelle la plupart des engagements des contributions domestiques déterminées au niveau national doivent être respectés), la nécessité de ces options s’impose.

Courbe des coûts de séquestration du carbone (USD/tCO2) et potentiel de réduction des émissions. Dziejarski et coll. (2023), Fourni par l'auteur

Faisabilité économique

Sur le terrain du financement des CCUS, la dynamique de marché est encore faible. Certes, le financement privé pour les start-up utilisant le CO2 a bondi, atteignant près d’un milliard de dollars dans la dernière décennie. Mais il reste insuffisant pour combler l’écart entre les plans actuels et les niveaux de déploiement requis pour une transition plus véloce vers le net zéro. Le pipeline mondial de CCUS, bien qu’en expansion rapide, est confronté à un déficit important de financement à grande échelle.

La faisabilité économique du CCUS doit tenir compte des coûts technologiques liés à la séparation du CO2, des coûts du transport (compresseurs et pipelines) et à l’injection. Des concentrations élevées de CO2 peuvent en outre poser des problèmes de santé et de sécurité, notamment la corrosion et la dégradation des joints des réservoirs et les impuretés présentes dans le CO2. Une évaluation approfondie de ces facteurs est donc nécessaire pour garantir la faisabilité économique des CCUS.

Pour pallier ces problèmes, des solutions politiques à ces obstacles commencent à émerger, telles que la fiscalité écologique – en particulier aux États-Unis –, la tarification du carbone, les mesures axées sur la demande et l’atténuation des risques.

Des réformes réglementaires nécessaires

Les considérations autour des CCUS sont très influencées par les politiques et les cadres fiscaux. Ces derniers ont un impact sur le niveau et les sources de financement d’investissement disponibles, l’adoption de la technologie et les délais de déploiement.

Le manque de politiques et de réglementations claires et cohérentes qui soutiennent les investissements dans le CCUS constitue un défi persistant. Tout comme l’absence de mécanismes efficaces de tarification du carbone ou d’incitations dans de nombreux pays. Il devient, dans ce contexte, difficile pour les industries de justifier les investissements initiaux importants requis pour établir une infrastructure CCUS à long terme aux échelles nécessaires.

Plusieurs pays ont mis en œuvre des politiques et des incitations pour promouvoir le CCUS, comme le crédit d’impôt américain 45Q, qui offre des incitations financières allant jusqu’à 85 dollars par tonne pour le CO2 stocké en permanence, et 60 dollars par tonne pour le CO2 utilisé pour des activités telles que la récupération assistée du pétrole (EOR) ou à d’autres fins commercialement viables, à condition qu’il existe des preuves établies que les émissions de CO2 soient réduites par les projets bénéficiant d’incitations.

Il existe en effet des risques de fuites lors du transport et du stockage du CO2, susceptibles de polluer les sols et détériorer la qualité de l’eau locale et nuire à la population locale. Ce qui affecterait aussi l’acceptation par le public de la technologie CCUS.

Les pays devraient créer des fonds spéciaux pour le CCUS, introduire des incitations économiques et des politiques fiscales préférentielles et aider les entreprises à réduire les coûts de fonctionnement du CCUS. Sans soutien gouvernemental, les projets actuels peineront à être rentables dont pousseront peu les entreprises à s’y lancer.

Un réel espoir en dépit de nombreux défis ?

Le passage à l’échelle des CCUS se heurte ainsi à plusieurs défis : économiques, politiques et technologiques. En dépit de ces obstacles, plusieurs étapes importantes ont déjà été franchies.

L’ouverture des projets Boundary Dam et Petra Nova en Amérique du Nord a prouvé la viabilité du captage du CO2 à grande échelle sur des centrales électriques alimentées aux combustibles fossiles et connectées au réseau. Les projets d’In Salah (Algérie), de Santos Basin (Brésil), d’Abu Dhabi National Oil Company (EAU), d’Uthmaniyah (Arabie saoudite) et de Jilin (Chine) illustrent que les CCUS sont possibles dans les économies émergentes.

Les estimations montrent que les émissions mondiales de dioxyde de carbone s’élevaient à 40 milliards de tonnes en 2023, dont près de 36,8 milliards de tonnes provenant des combustibles fossiles. Or, depuis 2017, la capacité des installations de CCUS a augmenté d’environ 35 % par an. Cette situation s’est accélérée en 2023 avec une augmentation de 50 % par rapport à 2022. Cela représente la plus forte augmentation depuis le début de la dynamique ascendante en 2018.

En parallèle, les initiatives pour se « préparer » au CCUS fleurissent, comme le Carbon Sequestration Leadership Forum, le Fonds de renforcement des capacités CCS de la Banque mondiale, le Global carbon capture and storage Institute et de nombreuses autres initiatives bilatérales et régionales. Il y a donc des raisons pour les partisans de ces technologies de rester optimistes.

The Conversation

Adel Ben Youssef est membre de l'Economic Research Forum (Caire)

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