Après avoir mis en lumière le désastre des algues vertes en Bretagne, La Revue dessinée coédite une nouvelle enquête très documentée sur le stockage souterrain de matières radioactives.
Par Arthur Bayon
Publié le 17 octobre 2020 à 17:58, mis à jour hier à 16:50
Que faire de nos déchets nucléaires, alors que l'atome représente près de 75% du mix électrique français ? Si cette part doit descendre à 50% d'ici 2025 – c'est en tout cas l'objectif du gouvernement –, la question du stockage des matières usagées demeure. Et elle est complexe.
Pour tenter d'y voir un peu plus clair, deux journalistes ont enquêté sur l'emblématique projet de Centre industriel de stockage géologique (Cigéo) de Bure, aux confins de la Meuse et la Haute-Marne, qui prévoit d'enfouir nos déchets nucléaires dans 265 km de galeries souterraines. Gaspard d'Allens, titulaire d'un master d'affaires publiques, a collaboré avec Cécile Duflot au ministère du Logement avant de se reconvertir dans le journalisme. Avec son coscénariste Pierre Bonneau (pseudonyme d'Andrea Fuori), spécialiste des mouvements sociaux et de la criminalisation des luttes, il avait déjà publié en 2017 Bure, la bataille du nucléaire, au Seuil.
Dans leur bande dessinée Cent mille ans, parue jeudi dernier, les deux journalistes rappellent que les déchets nucléaires sont actuellement entreposés dans les centrales actives ou en cours de démantèlement, sur des sites militaires, dans d'anciennes mines d'uranium... Mais cette technique n'est pas viable à long terme. De 1946 à 1972, une large part des déchets produits ont d'abord immergé dans les océans. La France en a envoyé plus de 17.000 tonnes par le fond, jusqu'à ce que cette pratique soit interdite. Aujourd'hui, c'est l'enfouissement terrestre qui est désormais préconisé.
Mais où entreposer ces déchets nucléaires ? Différents sites sont évoqués à la fin des années 1980 et, à chaque fois, la population locale se rebiffe. La commune de Bure est finalement retenue, dans une zone faiblement peuplée. Pour convaincre les collectivités, la filière du nucléaire, largement soutenue par l'État, met en place ce que Gaspard d'Allens et Pierre Bonneau appellent «la fabrique du consentement». Le principe est simple: financer à coups de millions d'euros le développement local, jusqu'à se rendre «indispensable».
Les inquiétudes persistent et semblent légitimes : aux États-Unis, le Waste Isolation Pilot Plant a subi en 2014 l'éclatement d'un colis qui a contaminé des ouvriers et toute l'installation souterraine. Dans l'ancienne mine de sel d'Asse, en Allemagne, d'importantes fuites de saumure radioactive ont été révélées en 2008. En France, l'expert indépendant Bernard Thuillier, docteur ès sciences de l'université de Reims-Champagne-Ardenne, estime que «le château de cartes [est] extrêmement fragile» à Bure : risque d'explosion de l'hydrogène produit par la corrosion des matériaux, fragilité de la ventilation, risque d'incendie des «colis bitumineux»... L'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) évoque elle aussi des «réserves», sans toutefois remettre en cause le principe du stockage géologique profond, «seule solution responsable» .
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