La place de l’élevage dans notre société est aujourd’hui largement débattue. Au-delà de la question désormais centrale du bien-être animal, deux arguments très forts reviennent également dans le débat.
Tout d’abord, les émissions de gaz à effet de serre, en particulier le méthane, majoritairement issu de la digestion des fourrages par les ruminants. Ensuite, la compétition de l’élevage pour la culture et l’utilisation de céréales, que les humains pourraient consommer directement et de façon beaucoup plus efficace. Rappelons que, pour une même quantité, les céréales nourrissent jusqu’à 10 fois plus de personnes que la viande.
Depuis début 2022, l’impact de la guerre en Ukraine sur le coût de l’énergie entraîne également de fortes tensions sur le secteur de l’agriculture, relançant l’intérêt des surfaces agricoles pour la production d’énergie.
L’élevage pourrait bien être le grand perdant de cette concurrence.
Un fort impact du prix de l’énergie
Les activités d’élevage des pays les plus développés sur le plan économique font appel à grandes quantités d’énergie. Ainsi, pour 1 mégajoule d’énergie consommée, l’élevage produit entre 0,5 et 1 mégajoule sous forme de lait ou de viande, alors que les grandes cultures (céréales, oléoprotéagineux) en produisent plus de six.
Cela signifie que, ramenée à l’énergie produite sous forme de diverses denrées agricoles, une augmentation du prix de l’énergie a une incidence six à dix fois plus grande, en moyenne, sur les produits issus de l’élevage, par rapport aux produits issus des grandes cultures. Cette forte répercussion du prix de l’énergie peut ainsi rendre ces produits difficilement accessibles au consommateur. Le constat peut d’ailleurs déjà être fait d’un fort recul des achats des produits d’origine animale de la part des ménages modestes du fait de la très forte inflation.
Pourquoi l’activité d’élevage nécessite-t-elle autant d’énergie ?
Au niveau des fermes d’élevage – en 2020, on en comptait 150 000 spécialisées dans cette activité sur les 416 000 exploitations agricoles françaises –, on peut considérer qu’en moyenne 75 % de la consommation d’énergie sont liés à l’alimentation des animaux. Cela comprend la mise en culture et l’utilisation des céréales et des prairies (labour, semis, récolte, transport, stockage, distribution), ainsi que la fertilisation des terres, qui repose en grande partie sur de l’azote de synthèse, très énergivore durant sa fabrication (il faut par exemple 1,8 équivalent litre de fuel pour 1 kg d’azote).
On le comprend aisément, limiter l’impact de l’augmentation du coût de l’énergie sur le prix des produits issus de l’élevage passe donc avant tout par des changements drastiques dans la manière d’alimenter les animaux.
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L’augmentation très forte du prix des produits issus de l’élevage, combinée à la chute du pouvoir d’achat des ménages, pourrait conduire à une baisse importante de cette activité agricole. Une compensation du revenu des éleveurs par l’État parait difficilement envisageable, compte tenu du niveau déjà très élevé du soutien actuel. La part des aides publiques représente 87 % du revenu des éleveurs de vaches laitières et 195 % du revenu des éleveurs de vaches allaitantes…
Par ailleurs, les éleveurs ne pourront pas augmenter les prix de vente de leurs produits à la hauteur des surcoûts qu’ils subissent. Ils devront donc soit changer de production s’ils disposent de surfaces labourables, pour produire des cultures destinées à la consommation humaine ou à des fins énergétiques ; soit alimenter leurs animaux avec des ressources alternatives peu soumises à la concurrence d’autres usages.
Quel avenir pour l’élevage ?
Nous voyons ainsi se dessiner deux situations pour l’avenir de l’élevage.
Dans la première, il utilisera des ressources alimentaires disponibles dans les fermes de grandes cultures ou de cultures pérennes (arboriculture, viticultures) : coproduits divers et au sens large, c’est-à-dire non seulement ceux issus de la transformation des cultures (son, tourteaux, etc.), mais aussi toute la biomasse disponible et non valorisée, comme les cultures intermédiaires de fourrage visant à capter l’azote atmosphérique et à limiter la diffusion des maladies et des ravageurs sur les cultures suivantes ; ou encore, l’herbe poussant entre les rangs en cultures pérennes (et les fruits au sol, vecteurs de maladies).
L’élevage permettrait dans une telle configuration de limiter l’utilisation du matériel (pour la destruction de ces couverts végétaux), des herbicides, voire des fongicides (avec moins de maladies végétales).
La seconde situation concerne les zones historiquement dédiées à l’élevage, avec de fortes contraintes agronomiques. Il s’agit surtout de surfaces non labourables, par exemple les prairies naturelles des zones d’altitude du Massif central ou les landes et parcours de l’arrière-pays méditerranéen. Dans ces zones, l’élevage permet de maintenir des milieux ouverts, une diversité et une mosaïque paysagères favorables à la biodiversité, contribuant notamment à limiter les risques d’incendie.
Une nouvelle cartographie
Limiter les activités d’élevage à ces deux grands types de situations et de stratégie d’alimentation reviendrait à baisser fortement sa part dans la production agricole française et européenne, accompagnant une évolution importante de nos régimes alimentaires (une consommation moindre de produits d’origine animale).
L’impact d’une telle évolution serait majeur sur l’activité actuelle de certains territoires. Un impact très négatif en termes d’activité économique et d’emploi dans les territoires affichant une très forte densité animale (on pense à la Bretagne). Un impact positif dans les territoires où cette activité a quasiment disparu depuis des décennies, comme dans les zones céréalières de la Beauce, de la Champagne ou du Berry.
Dans ces zones, sa réintroduction pourrait générer de nouvelles activités économiques, avec les services nécessaires à l’élevage et à la mise en marché des produits (abattoirs, unité des conditionnements, etc.). Par ailleurs, cette redistribution de l’élevage sur l’ensemble des territoires accroîtrait leur autonomie alimentaire.
Une transition illusoire ?
Le changement d’usage des surfaces de cultures actuellement utilisées par l’élevage est potentiellement très important ; pour rappel, ces surfaces représentent environ 500 millions d’hectares à l’échelle de la planète, à rapprocher des 26,7 millions d’hectares de surfaces agricoles françaises, prairies comprises.
Cependant, ces surfaces « libérées » pourraient avoir d’autres usages et être rapidement dédiées à la production de biocarburants. On pense notamment aux perspectives du secteur aéronautique qui vise la neutralité carbone à l’échéance 2050, en s’appuyant majoritairement sur les biocarburants.
Face aux tensions importantes entre les différents secteurs économiques et à long terme sur le secteur énergétique, il est ainsi peu probable que l’utilisation des terres à des fins de production alimentaire soit compétitive, en particulier pour les activités d’élevage.
Rémunérer les services rendus à la collectivité
Face à la concurrence très probable de l’usage des terres dans les décennies à venir, associée à la difficulté d’accès aux produits d’origine animale pour une part croissante des consommateurs, les politiques publiques auront un rôle majeur à jouer : à la fois pour arbitrer l’usage des terres agricoles et renforcer la compétitivité de l’élevage, en particulier celui qui représente la seule activité agricole possible dans les zones difficiles où il fournit de multiples services, comme en Provence ou dans le Marais poitevin.
Il s’agirait donc moins d’accompagner les activités d’élevage grâce à des compensations de coûts de production, que par une reconnaissance et une rémunération de services rendus à la collectivité, comme l’entretien et l’ouverture des paysages, le maintien de la biodiversité et d’activités socio-économiques (tourisme) ou encore la prévention des incendies.
Marc Benoit ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.