Alors que les scandales éclatent un à un sur les PFAS et dérivés, accusés d’être des polluants éternels, des chercheurs québécois et belges ont trouvé comment le saule, mais aussi le chanvre, peuvent s’en débarrasser durablement. Explication sur cette solution végétale.
PFAS par-ci, PFAS par-là ! À chaque semaine son nouvel esclandre pour les Substances Per- et Polyfluoroalkylées, très présentes en Europe de l’Ouest, et partout dans le monde désormais. Heureusement, une piste se dessine pour en venir à bout.
Les PFAS : le poison éternel
Ce groupe de produits chimiques synthétiques, utilisé dans une grande variété de produits pour ses propriétés résistantes à l’eau, à la graisse et aux taches, se retrouve couramment dans les revêtements antiadhésifs des poêles, casseroles et autres ustensiles de cuisine, les emballages alimentaires, les textiles imperméables, les cosmétiques, ainsi que d’autres produits de type cires et vernis.
Véritable problème de santé publique, certains secteurs et marques incriminés s’amusent, pour passer entre les gouttes, à décliner les molécules afin de pouvoir changer une lettre dans l’acronyme, qui demeure malheureusement tout aussi dangereux : PFOA, C8, PFOS, PFC (surtout dans les textiles déperlants de sport), PFNA, PFHxS, PFDA (Acide perfluorodénoïque), GenX, flurocarbones, Teflon, Scotchgard, Surfactants fluorés, ou encore plus simplement « Agents de traitement fluorés »… Tous ces sobriquets au vernis chimique bien caché sont extrêmement nocifs pour le vivant pour une durée indéfinie, voire éternellement pour certains.
En plus de leur omniprésence dans notre quotidien, les PFAS et consorts s’accumulent dans l’eau potable, l’air, les métabolismes, les océans, la terre, si bien que tout ou presque est contaminé aux PFAS, jusqu’au placenta et au lait maternel. Les rejets industriels dans certaines régions ont permis aux PFAS de s’infiltrer dans les sources d’eau potable et d’eau courante, qui peuvent aussi migrer des emballages alimentaires vers vos aliments. Difficile aujourd’hui de passer outre les polluants éternels, qui se retrouvent aussi dans les cheveux de 14 élus écologistes qui avaient accepté de se faire tester à l’été 2023.
Leur longue « demi-vie », mesure du temps nécessaire pour que la concentration de ce composé soit réduite de moitié dans un certain environnement ou organisme, leur permet de rester pendant de nombreuses années dans votre corps, entraînant une accumulation progressive au fil du temps et une lente, mais certaine intoxication. À termes, une exposition prolongée aux PFAS peut être associée à divers effets néfastes sur la santé, comme des problèmes hormonaux, des déficiences immunitaires, et in fine, des effets cancérigènes.
L’Étude C8 (C8 Health Study), menée auprès de populations vivant près de l’usine chimique de DuPont à Parkersburg, en Virginie-Occidentale, a montré des associations entre l’exposition aux PFAS et divers problèmes de santé, notamment des taux élevés de cholestérol, des maladies thyroïdiennes, des troubles immunitaires, des maladies rénales chroniques et certains cancers.
Véritables perturbateurs endocriniens aux effets ravageurs, les PFAS ont un fort impact sur les hormones sexuelles féminines. D’après une étude de mai 2023 intitulée Exposure to perfluoroalkyl substances and women’s fertility outcomes in a Singaporean population-based preconception cohort sur les effets des PFAS sur la fertilité, les femmes ayant des niveaux plus élevés de ces « polluants éternels » dans leur sang auraient 40 % de chances en moins de tomber enceintes dans l’année suivant la tentative de conception. Idem, la puberté précoce des adolescentes serait, elle aussi, fortement influencée par l’exposition aux composés fluorés, présents dans de nombreux produits de la vie courante.
L’effet sur le vivant n’en est pas moins mortifère : une étude parue dans la revue Environmental Science & Technology, démontre que la concentration la plus basse de PFOA dans le monde, relevée dans de l’eau de pluie tombée sur le plateau tibétain, est quatorze fois supérieure aux recommandations de l’Agence de protection de l’environnement des États-Unis.
Les oiseaux sont particulièrement touchés : les mouettes tridactyles, par exemple, présentes en Arctique, sont fortement contaminées, augmentant le stress oxydatif qui pourrait affecter la fécondité à long terme. Nos oiseaux locaux, comme les goélands de l’île de Ré souffrent, eux aussi, d’une perturbation des niveaux d’hormones thyroïdiennes, essentielles pour le développement et le métabolisme énergétique. On peut alors en conclure que, via le transfert trophique, à savoir le fait qu’un animal contaminé soit ingéré par un autre, presque toute la chaîne alimentaire est touchée.
À cela s’ajoute l’ingestion de micro-plastiques que subissent les mammifères marins, par exemple, les populations de rorqual de Bryde et de rorqual boréal vivant dans le golfe d’Hauraki au large d’Auckland, qui consomment en moyenne 3 millions de particules de microplastique par jour par individu.
Sans verser dans une vision utilitariste du vivant, leur importance est pourtant d’autant plus grande que ces grands mammifères marins sont vitaux pour la captation du carbone dans les océans, qui produisent 50 % de nos besoins en oxygène, absorbent 25 % de toutes les émissions de dioxyde de carbone et capturent 90 % de la chaleur supplémentaire générée par ces émissions selon un article des Nations Unis.
Des solutions partiellement efficaces
Face à l’ampleur de l’intoxication aux PFAS, plusieurs équipes de recherche ont tenté d’y trouver des traitements. La technique de la carafe filtrante a, par exemple, fait ses preuves pour retenir et piéger les molécules de PFAS directement sur leur surface poreuse dans les eaux souterraines polluées. Le bilan semble positif à Rumilly, ville de Haute-Savoie, où s’est installée l’usine Tefal.
Cette solution a ses limites : la filtration est assez lente et les PFAS restent des PFAS : éternellement récupérés par les filtres, mais indestructibles. Que faire de ces filtres ensuite ? L’incinération des PFAS pourrait être une solution, mais qui générerait un gaz, le fluorure d’hydrogène, pouvant provoquer, entre autres réjouissances, des pluies acides. Mona Semsarilar, chercheuse à l’Institut européen des membranes, travaillent actuellement sur l’oxydation des PFAS, permettant de casser les liaisons entre certains atomes, mais cette technique serait, à l’heure actuelle, extrêmement coûteuse sur le plan des ressources et des finances.
Autre initiative tout aussi coûteuse face aux PFAS développée par le projet Cleaneau : des filtres imprimés en 3D capables de capter les PFAS, une technique plus efficiente pour dépolluer les eaux industrielles chargées en PFAS, avant qu’elles ne soient réinsérées dans les cours d’eau. Prometteuse, cette filtration est plus longue et moins efficace sur des niveaux de pollution lourds, ce qui, logiquement, ne cesse d’être le cas à mesure que le temps passe.
La phytoremédiation, une solution naturelle
Une autre issue potentielle nous viendrait du Québec. Développée par la PME Ramo, et leurs équipes de chercheurs, aussi efficiente que les solutions chimiques, la phytoremédiation, se base sur le travail d’un seul arbre : le saule !
Sur le lieu d’enfouissement de Saint-Lambert-de-Lauzon, près de Lévis, des saules sont plantés pour récupérer le fameux jus de poubelles, fortement chargé en PFAS qui massèrent parmi les polluants.
Étant donné que chaque plantation consomme de 3000 à 5000 mètres cubes d’eau qu’il va ensuite transpirer tout en gardant les polluants, l’efficacité semble au rendez-vous. « On a fait une découverte dans les derniers mois à l’effet que certaines variétés de saules avaient la capacité de bioaccumuler certains PFAS », affirme Xavier Lachapelle, directeur des phytotechnologies au sein de la PME.
Reste à savoir, parmi les 400 espèces, quelles sont les plus efficaces pour biostocker les PFAS et comment valoriser ensuite le bois contaminé. Il pourrait être utilisé en tant que matériel de remblayage et ragréage. L’entreprise C-Biotech basée à Anvers a testé un maillage de saules et plants de chanvre, dont les feuilles contenant des PFAS sont retirées et transformées en une nouvelle matière première pour l’isolation ou l’industrie de l’habillement. « La concentration de PFAS dans certaines parties de plantes est désormais, à court terme, vingt fois supérieure à la concentration de PFAS dans les eaux souterraines », affirme Erik De Bruyn, co-directeur du projet.
Peut-être que saules et chanvres, couplés à un procédé biomimétique, qui consiste à trouver les rares bactéries capables de « casser » la liaison carbone-fluor qui existe à l’état naturel, sont des solutions face pour lutter contre la pollution aux PFAS, qui devraient tout simplement être interdites à la production. Un plan d’action interministériel pour limiter les risques associés aux PFAS a été lancé en avril dernier, qui, étrangement, n’interdit rien aux industriels. Un premier tout petit pas vers une action gouvernementale fortement attendue.
– Maureen Damman
Photo de couverture : Pexels
The post Ces arbres qui pourraient nous sauver des PFAS first appeared on Mr Mondialisation.