Dans son cinquième livre Animal Testing, sortons les animaux des labos !, Audrey Jougla, autrice et professeure de philosophie, dénonce l’exploitation des animaux de laboratoire. Pourquoi les chiffres de l’expérimentation animale ne baissent pas et quelles sont les raisons qui se cachent derrière ces expérimentations ? Entretien avec Audrey Jougla qui décortique ce tabou de la condition animale.
Après Profession : animal de laboratoire publié en 2015 et Animalité : 12 clés pour comprendre la cause animale en 2018, Audrey Jougla s’attaque, dans un nouvel essai, à la vivisection, une pratique consistant à opérer ou disséquer des êtres vivants dans un but scientifique… mais pas seulement.
Un combat de longue date
Depuis plus de 10 ans, Audrey Jougla défend les animaux de laboratoire qui subissent de terribles maltraitances. Lorsqu’on lui demande d’où vient cette sensibilité à cette cause, s’il y a un lien avec son histoire personnelle, Audrey Jougla nous répond ainsi :
« Oui, on cherche forcément la raison de cet intérêt pour les animaux et de cet engagement envers eux, surtout quand il est si précoce. La défense des animaux m’a préoccupée très jeune, dès le primaire j’écrivais à Brigitte Bardot et m’indignait du sort des animaux pour la viande, la pêche ou la corrida. À mon sens, l’inadéquation avec les autres humains, ou la société, la déception quelque part du monde humain, est souvent liée au fait que l’on se tourne vers les animaux. Comme je le précise dans un de mes livres « Montaigne Kant et mon chien », les animaux ne nous trahissent jamais, ils ne nous jugent pas non plus, et leur fidélité est incomparable : beaucoup d’humains rejoignent cette vision et sont, aussi, des « déçus de l’humanité » pourrait-on dire. L’autre aspect est la vulnérabilité des animaux : ils sont à notre merci, sans défense, et personne ne se soucie vraiment de leur maltraitance (quand on voit ce que la justice inflige comme peines, difficile de voir dans les sanctions une dissuasion). Or, nombreux militants ou personnes engagées dans la cause animale ont subi cette situation : soit de rejet, soit de violence, soit, simplement, de se sentir dépourvus. C’est souvent un dénominateur commun. »
Cette Nantaise de 38 ans et passionnée d’éthique animale a fondé l’association Animal Testing en 2016 qui défend les animaux de laboratoire et mène des enquêtes de terrain. Ses objectifs sont entre autres de rendre visible toutes ces pratiques expérimentales, d’améliorer la condition animale et d’accélérer la transition pour des méthodes sans animaux.
Des enquêtes d’intérêt général
Rongeurs, cochons d’Inde, vaches, chevaux, poissons, chiens, chats, singes comme les macaques, les babouins et les marmousets – l’exception est faite aux grands singes (gorilles, chimpanzés, gibbons, orang-outang) pour une question morale car considérés comme trop proches de l’homme cognitivement et socialement parlant -, toutes les espèces sont concernées par l’expérimentation animale.
Audrey Jougla écrit à ce propos : « en 2015, une étude mondiale menée par Cruelty Free International dresse une estimation de 192 millions d’animaux utilisés chaque année dans le monde (avec en tête la Chine, les Etats-Unis et le Japon). […] Et si on parle de la France, près de 2 millions d’animaux sont utilisés à des fins scientifiques sur une année. Pour un tiers, il s’agit de tests pour la recherche de nouveaux médicaments.»
Que vivent ces animaux ? Pour le savoir, Audrey Jougla a pu s’introduire dans des laboratoires privés et publics, recueillir des témoignages et des informations inédites. Moteur pour la carrière de certains scientifiques, l’expérimentation animale est une pratique banalisée et souvent à des fins commerciales.
L’expérimentation animale au quotidien
Pendant un an, Animal Testing a enquêté sur un domaine aussi méconnu que quotidien : les produits ménagers. Ils peuplent nos cuisines, nos salles de bains, étincellent de promesses alléchantes, de fraîcheur et de brillance. Pourtant l’envers du décor est autrement plus douloureux pour les animaux. Ils ont découvert un labyrinthe insoupçonné : une multitude d’acteurs, de législations, et d’expériences sur les animaux, le tout enchevêtré à différents niveaux.
Nettoyants pour cuisine, pour salle de bain, lingettes, sprays de produit désinfectant, gels WC, lessives, désodorisants, décapants pour four : pendant un an, ils vont lister scrupuleusement les produits, contacter un à un les services clients, par téléphone, par écrit, à de nombreuses reprises et à des intervalles espacés, et rechercher les interlocuteurs appropriés.
Vous connaissez certainement Unilever (Cif, Omo, Persil,…), Reckitt (Calgon, Finish, Air Wick,…), Henkel (Bref, Le Chat,…), SC Johnson (Pliz, Canard,…), Diversey, Procter & Gamble (Dash, Ariel, Mr Propre,…) : six groupes internationaux qui pèsent des milliards et se répartissent ce que l’on nomme le marché de la détergence ou encore « le home care ». Cette terminologie anglosaxonne renvoie au soin de la maison, au confort, à la sécurité, dans un champ lexical rassurant et douillet. Prendre soin de chez soi, comme on prend soin de soi.
Animal Testing va découvrir un monde tissé de paradoxes où le naturel est prôné dans les parfums, alors que le chimique prévaut dans les bouteilles. Où la sémantique du soin est brandie, alors que la souffrance animale a bien eu lieu. « Prenons un exemple concret : un produit-phare de SC Johnson : « Canard WC ». Ce produit a été testé en tant que produit fini sur des animaux par inhalation, par gavage et par voie cutanée. Aucun animal ne survit, comme le précise le protocole des lignes directrices de l’OCDE. »
L’autrice livre alors un panorama sans concession, aussi clair qu’édifiant : « Dans notre vie quotidienne, chaque jour, nous côtoyons les animaux de laboratoire à plusieurs reprises. Sans le savoir, sans les voir. Des produits d’hygiène qui emplissent notre salle de bains, aux aliments transformés et additifs, en passant par les produits d’entretien, lessive comme liquide vaisselle, mais aussi les pansements, crèmes solaires, solvants, peinture, parfums, et même jusqu’au moteur de nos voitures ou aux encres de nos stylos : chaque moment de notre journée, chaque produit ou objet courant, a bien souvent impliqué des animaux de laboratoire dans son élaboration, sans même que l’on évoque ici les médicaments. Mais ce n’est pas tout. Nos modes de vie, nos addictions comme nos souffrances psychologiques peuvent aussi faire souffrir des animaux qui n’ont rien demandé : ainsi sédentarité, obésité, privation de sommeil, tabac, drogues, isolement social, agressivité, angoisse ou atonie, ont été étudiés dans tous les détails sur des animaux, jugés suffisamment proches de nous pour souffrir de ces maux ou comportements humains. »
Mais alors, pourquoi le changement est-il si lent ?
Pression lobbyiste, justifications commerciales, produits de consommation courante, industrie automobile : les secteurs sont nombreux à y avoir recours. Industriels, lanceurs d’alerte, directeurs de recherche, politiques, militants, ont tour à tour la parole, dans cet essai.
Mr Mondialisation : Quelles seraient les alternatives pour les industries pour ne plus utiliser les tests des produits sur les animaux?
Audrey Jougla : « Plusieurs méthodes existent (in silico, modélisation informatique, in vitro, reproduction d’organes, organes sur puces)… Le sujet est vaste car tout dépend des protocoles. La question est très vaste, et les méthodes diffèrent selon les usages et les protocoles bien sûr. »
Mr Mondialisation : Quelle est la différence entre le label Vegan et le label Cruelty free?
Audrey Jougla : « Vegan signifie sans substances d’origine animale : ainsi de nombreuses allégations (cosmétiques par exemple) se targuent du véganisme jouant sur l’amalgame « non testé sur les animaux », alors que ce n’est pas du tout le sens. Les labels officiels vegan prohibent en effet les tests sur les animaux, mais pas les mentions « vegan ». Les labels Cruelty free, eux, certifient l’absence d’expériences sur les animaux, pour les ingrédients comme les produits finis. »
Mr Mondialisation : Que faire ? Comment agir ? Comment faire face à un tel système ? Quels produits acheter ?
Audrey Jougla : « La marque L’Arbre Vert nous affirme ainsi sa bonne volonté de ne pas commanditer de nouvelles expériences sur les animaux par contre, L’Arbre Vert ne peut en aucun cas certifier que tous les composants utilisés n’ont jamais été testés sur animaux par le passé. Plusieurs marques Cruelty free nous expliquent leur politique : pas d’ingrédients testés depuis 1990 et pas de tests des produits finis sur les animaux. »
Pour conclure, Audrey Jougla nous livre une enquête inédite, un récit intime et engagé sur la souffrance infligée aux animaux et interroge notre humanité face à l’absurdité de la violence. Elle indique : « ce récit n’est pas celui d’une plongée horrifique dans les laboratoires, mais bien plus une traque : celle de la vérité, des faits, et une course-poursuite dans les méandres de l’expérimentation animale pour saisir les responsables, au cœur des institutions, des industries comme des laboratoires, privés ou publics, et comprendre les raisons invoquées pour justifier que l’on inflige à ces animaux ce que l’on ne supporterait pas nous-mêmes. La souffrance, ou l’extrême souffrance, fait partie de ce qu’est l’expérimentation animale. C’est aussi une histoire de lâcheté et de courage, parfois, de mensonges et de pressions, d’absurdité et d’intérêts, souvent, ou simplement d’habitudes et d’impuissance du bon sens. »
Quels sont les labels « non-testés sur les animaux » ?
Le label HCS (Human Cosmetics Standard) ou « Leaping Bunny » (lapin entouré d’étoiles) : ses produits ainsi que les ingrédients utilisés ne sont jamais testés sur les animaux. “La certification Leaping Bunny permet de garantir que des tests sur animaux ne seront pas menés sur les matières premières et produits finis”, peut-on lire en explication sur l’emballage de certaines lessives par exemple.
Les logos « Cruelty-Free » : les produits et les ingrédients qui les composent ne sont jamais testés sur les animaux.
Le label allemand IHTK : aucun des produits d’une marque et des ingrédients n’ont été testés sur les animaux et que la marque n’engage aucun organisme afin de réaliser des tests sur les animaux en son nom.
Le label australien CCF (Choose Cruelty-Free) garantit qu’une marque n’effectue aucun test sur les animaux.
– Interview réalisée par Pascale Sury pour Mr Mondialisation
Photo de couverture : Lapin de laboratoire. Wikimedia.
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