L’accélération des effets du changement climatique et son lot d’aléas extrêmes (canicules, tempêtes, incendies, orages de grêles…), combinés à l’arrivée de nouvelles maladies et insectes ravageurs, représentent de vraies sources d’incertitudes et donc d’inquiétudes sur l’avenir de nos forêts.
Dans un récent bilan de santé des forêts françaises, l’IGN faisait état d’une augmentation de 30 % du stock d’arbres de moins de 5 ans morts sur pied, c’est-à-dire d’arbres debout qui ne présentent plus aucun signe de vie. Ces dépérissements sont observés à l’échelle européenne et même mondiale.
Une question majeure émerge alors : les espèces d’arbres seront-elles en mesure de s’adapter à ces nouvelles menaces ?
Avant d’étudier ce point plus en détail, il est opportun de rappeler que les dépérissements antérieurs, documentés notamment chez les chênes, ont rarement abouti à des extinctions locales de peuplement, ce qui témoigne implicitement des capacités d’adaptation des chênes.
Le Graal de la valeur adaptative
La plupart des forêts actuelles se reconstituent par régénération naturelle, c’est-à-dire que le renouvellement est effectué par les graines produites par les arbres avant leur mort naturelle ou leur abattage.
Avant de devenir un majestueux spécimen, un arbre a été une simple graine, parmi des centaines de milliers d’autres. Pourquoi cette graine est-elle devenue un arbre adulte alors que d’autres n’ont pas survécu ?
Une réponse tangible à cette question est que cet individu a pris le dessus sur les autres, par une meilleure croissance vers la lumière, ou par une meilleure résistance aux maladies fongiques et insectes ravageurs, et sans doute aussi parce qu’il a eu beaucoup de chance. Toujours est-il que la sélection naturelle a fait son œuvre : elle a éliminé les individus les moins adaptés, parmi un très grand nombre de candidats.
Une réponse moins perceptible est que les arbres possèdent une grande diversité génétique. Or, la capacité d’adaptation d’une population est fortement dépendante de ce niveau de diversité génétique (qui varie selon deux composantes principales, le taux de mutation et le nombre d’individus de la population). Chaque variation de l’ADN provient d’une mutation qui est apparue à un moment donné chez un arbre, puis a été transmise à un ou plusieurs descendants génération après génération, et ensuite disséminée par flux de pollen. La diversité génétique est donc façonnée sur le temps long, sur des centaines de milliers, voire des millions d’années d’évolution.
C’est sur la base de cette diversité que les individus les plus adaptés sont sélectionnés. La propagation de cette diversité à la génération suivante reste donc un point crucial. D’un point de vue de la gestion forestière, cela consiste à laisser un nombre d’arbres (appelés « semenciers ») suffisamment important pour produire le pollen et les ovules de la génération suivante et ainsi garantir cette transmission de la diversité.
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Pour illustrer combien cette diversité est grande chez les arbres, remarquons que deux glands de chêne d’une même parcelle diffèrent par environ 7 millions de différences génétiques simples dans leurs séquences d’ADN ! À l’échelle d’un peuplement en régénération, et de ses centaines de milliers de glands, cela constitue autant de combinaisons génétiques uniques, conférant aux nouvelles plantules une plus ou moins bonne capacité d’adaptation à leur environnement.
Une mesure (difficile à appréhender en forêt) permettant de savoir si certaines combinaisons génétiques sont plus favorables que d’autres, consiste à étudier, pour un individu de la génération n, le nombre de ses descendants en vie à la génération suivante n+1 : c’est ce qu’on appelle la valeur adaptative.
Dans une étude récente que nous avons menée sur les chênes, nous avons montré que la variation génétique de la valeur adaptative des chênes était parmi les plus élevées du règne végétal. Certaines combinaisons génétiques ont ainsi varié en fréquence plus que d’autres entre deux générations successives. Concrètement, cela indique que certains arbres possèdent dans leur génome des combinaisons génétiques qui ont été plus favorables à la survie des graines qui les portaient, d’où une augmentation de la fréquence de ces allèles favorables entre deux générations, selon le principe de la sélection naturelle.
Une grande diversité génétique favorise une adaptation rapide
Le contexte du changement climatique actuel représente une nouvelle épreuve dans la vie de ces jeunes arbres. Les jeunes plantes vont en particulier faire face à des périodes plus fréquentes et plus prononcées de sécheresse.
Dans une autre étude, nous avons analysé l’évolution des chênes de trois forêts françaises au cours des trois derniers siècles, de la période froide du petit âge glaciaire à celle du réchauffement dû aux activités humaines. Nous avons montré qu’ils avaient évolué de manière concordante dans les trois forêts, pour s’adapter à cette transition climatique qui s’est déroulée sur quelques décennies.
De manière surprenante, l’adaptation à cette transition climatique (froid -> chaud), a été quasi « immédiate ». Ce résultat contre-intuitif s’explique par le très grand nombre de combinaisons génétiques uniques formées à chaque génération lors de la régénération naturelle, ce qui permet à la sélection naturelle d’être très efficace dans son tri des plus aptes à survivre et se reproduire.
L’analyse de l’ADN de ces chênes a d’ailleurs permis de constater que ces changements génétiques ont concerné un très grand nombre de régions du génome, et non juste quelques gènes.
En résumé, cette étude a clairement montré que l’adaptation actuelle des populations est liée à de très nombreuses variations génétiques, chacune de faible effet, et ayant une origine évolutive ancienne.
Les mutations somatiques comme moteur de l’adaptation : une vraie fausse piste
Plusieurs articles de vulgarisation récents comme celui-ci publié par la société botanique de France et celui-ci publié par le magazine Epsiloon se sont fait l’écho du rôle adaptatif que pourraient jouer les mutations nouvelles accumulées au cours de la croissance d’un arbre (on parle de mutations somatiques, à l’inverse de la diversité génétique préexistante décrite ci-dessus).
Pourquoi s’agit-il là d’une fausse piste pour l’adaptation ?
Parce que si ces mutations existent bien, elles sont très peu fréquentes : 17 pour un chêne suisse de 230 ans environ, 46 pour un chêne français de 100 ans. Même si le nombre de mutations a été sous-estimé à cause de la complexité de leur détection, cette diversité reste ridiculement faible au regard de la diversité présente dès la formation du gland : les 7 millions de différences indiquées précédemment. On parle de quelques dizaines de nouveaux variants d’un côté, des millions préexistants de l’autre !
De plus, ce n’est pas une mutation seule qui procure l’adaptation du chêne à l’environnement, mais toute une combinaison génétique.
Par ailleurs, même si ces mutations avaient un effet sur la survie de l’individu qui les portent, encore faudrait-il qu’elles puissent être transmises aux autres arbres pour qu’elles aient un effet au niveau de l’ensemble de la population. Sans compter que la diffusion des mutations (éventuellement favorables) par flux de pollen nécessite plusieurs générations avant qu’elles puissent alimenter l’adaptation de la population…
En tant qu’auteurs de l’étude sur le chêne centenaire français, nous avions nous-mêmes explicitement émis des réserves sur les interprétations adaptatives de ces mutations. Ce discours a malheureusement été très largement détourné pour alimenter des scénarios d’adaptation rapide au changement via ces mutations somatiques, bien que cette hypothèse semble extrêmement peu probable.
Quelles applications concrètes pour les forestiers ?
Ces rappels sur la nature et l’origine de la diversité génétique contribuant à l’adaptation des arbres conduisent inévitablement à évoquer les interventions humaines permettant d’en valoriser les bénéfices.
Tout d’abord, il semble vain de proposer un vieillissement des peuplements, sous le seul prétexte que ceux-ci produiraient plus de mutations somatiques. La préconisation serait plutôt de faire l’exact opposé. La sélection naturelle ayant surtout lieu au stade jeune, des cycles plus rapides de régénération seraient vraisemblablement plus favorables à une adaptation rapide.
D’ailleurs, le fait de favoriser une régénération naturelle abondante, en cumulant plusieurs années de floraison et de fructification des semenciers, permet de maintenir un bon niveau de diversité génétique au sein des plantules et en conséquence de renforcer l’action de la sélection naturelle.
S’assurer de la production d’un très grand nombre de plantules lors de la régénération naturelle permettra par ailleurs de bénéficier d’une intensité de sélection plus élevée au stade juvénile. Le maintien des peuplements sera d’autant plus facilité que le « semis » sera dense. En effet, la sélection naturelle sera plus efficace pour sélectionner – au sein d’un très grand nombre d’individus – ceux qui sont les mieux adaptés au changement de l’environnement.
Diversité génétique et intensité de la sélection naturelle constituent donc les deux facteurs principaux de l’adaptation et de la résilience de nos forêts.
The authors do not work for, consult, own shares in or receive funding from any company or organisation that would benefit from this article, and have disclosed no relevant affiliations beyond their academic appointment.