Chanvre, bois, laine, quels matériaux pour décarboner le secteur du bâtiment ?

9 months ago 75

Avec la montée des préoccupations environnementales et la nécessité de réduire les émissions de gaz à effet de serre, l’usage des matériaux biosourcés dans le domaine du bâtiment, aussi bien en construction neuve qu’en rénovation, devrait connaître une forte croissance dans les années à venir.

Les matériaux biosourcés sont des matériaux issus de la matière organique renouvelable (biomasse) d’origine végétale ou animale. Dans le bâtiment, ils se présentent sous la forme de fibres pour la constitution de laines d’isolation, ou de granulats (tiges végétales concassées) utilisés pour réaliser des mortiers ou des bétons. Ils peuvent être utilisés en plancher bas, sous forme d’isolants (sous toiture, sous plancher, sur parois), en paroi verticale et en enduit de finition (en intérieur comme en extérieur).

Leurs performances environnementales et notamment leur aptitude à stocker le carbone biogénique – c’est-à-dire, fixé par les plantes au cours de la croissance des végétaux – confèrent à ces matériaux un rôle essentiel dans le cadre de l’application de la Réglementation environnementale 2020 (RE 2020) et plus globalement dans la mise en œuvre de la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC).

D’où viennent les matériaux biosourcés ?

De nombreuses matières premières organiques peuvent être utilisées pour fabriquer des matériaux biosourcés. À l’heure actuelle, une grande variété de filières existent déjà en France, avec des degrés de maturité plus ou moins importants. Sans avoir prétention à l’exhaustivité, énumérons les principales :

Site de sylviculture. Jean-Louis Zimmermann, CC BY
La maison Feuillette est le plus ancien bâtiment du monde construit en ossature bois et isolé en ballots de paille connu à ce jour. Raphaël Pauschitz/Flickr, CC BY-SA
  • Le bois : la France est la première puissance européenne en matière de volume de bois sur pied (forêts de résineux et de feuillus), mais elle est pratiquement la dernière en termes de consommation de bois par habitant, traduisant ainsi son fort potentiel de développement.

  • La paille utilisée sous forme de bottes : ce « déchet » de la culture céréalière est un matériau de construction aux origines anciennes : la plus vieille maison en paille de France – la « Maison Feuillette » à Montargis – a été édifiée en 1921 !

  • Le chanvre : cette excellente tête d’assolement qui permet la régénération des sols par rotation des cultures peut être cultivée sur quasiment l’ensemble du territoire métropolitain français et ne nécessite pratiquement aucun traitement et a besoin de peu d’eau.

  • Le lin : cette filière se tourne principalement vers le textile (fibres) et l’équipement automobile (fibres et graines), cependant une partie de la production des fibres est commercialisée sous forme d’isolants et les anas de lin sont utilisés dans des bétons végétaux.


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Champs de Miscanthus près de Rouvres, en France. Andrea Kirkby/Flickr, CC BY-NC
Champs de coton. Erik Anestad/Flickr, CC BY-NC-SA
  • Le miscanthus, ou « herbe à éléphant » : cette plante herbacée originaire d’Asie, haute de 4 m, peut être plantée sur des terres inaptes, ou presque, à d’autres cultures.

  • La ouate de cellulose : ce matériau est constitué de papier recyclé (journaux et magazines), reconditionné sous la forme d’un isolant léger très performant.

  • Le coton : cet excellent isolant thermique et acoustique est exclusivement utilisé en France dans sa forme recyclée compte tenu du coût très élevé de la matière première.

  • Le colza : ce fruit du croisement d’un chou et d’une navette est cultivé depuis l’Antiquité.

  • Le tournesol : introduite en Europe au XVIe siècle, cette plante est cultivée pour ses graines riches en huile alimentaire de bonne qualité.


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Gros plan sur l’écorce d’un chêne-liège. Gauthier V./Flickr, CC BY-NC-ND
La tonte obligatoire des moutons a fait chuter le cours de la matière première. Myri_Bonnie/Flickr, CC BY-NC-ND
  • Le liège : ce matériau présent dans l’écorce de quelques arbres, et notamment celle du chêne-liège, protège l’arbre des insectes, du froid et des intempéries tout en lui permettant de respirer et est particulièrement prisé dans le domaine de la construction pour son imputrescibilité.

  • Le roseau : cette plante pousse dans des roselières, zones humides en bordure de lacs, d’étangs, de marais ou de bras morts de rivière.

  • Le bambou : utilisé depuis des siècles en Asie, il est aujourd’hui très convoité par les architectes contemporains occidentaux en raison de sa solidité et de sa souplesse.

  • Et enfin, la laine de mouton : déchet de la tonte obligatoire des moutons, ce matériau a vu son prix chuter fortement au cours des dix dernières années, ouvrant de nouvelles perspectives de valorisation en circuit court sur certains territoires.

Ces matières premières peuvent être utilisées seules ou en combinaison avec d’autres matériaux pour fabriquer des produits de construction biosourcés.

Vers des bâtiments plus écologiques ?

Face aux impacts environnementaux du secteur de la construction et aux objectifs de neutralité carbone affichés pour 2050, la nouvelle réglementation environnementale RE 2020 ne porte plus uniquement sur la performance énergétique des bâtiments. Elle prend désormais en compte l’impact du bâtiment et de ses composants sur le changement climatique tout au long de son cycle de vie : fabrication, transport, mise en œuvre, utilisation, maintenance, remplacement et fin de vie.

Cela passe notamment par un nouvel indicateur, appelé Ic construction. Celui-ci est calculé sur la durée de vie du bâtiment, fixée conventionnellement à 50 ans. Il ne pas doit pas dépasser une valeur seuil donnée, différente pour l’habitat individuel et pour l’habitat collectif, qui va baisser progressivement au cours des prochaines années pour être de plus en plus restrictif.

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Diminuer les émissions de gaz à effet de serre (GES) tout au long du cycle de vie du bâtiment et décarboner les systèmes constructifs devient donc la nouvelle exigence réglementaire.

Cet objectif implique de minimiser le recours aux matériaux dont les procédés de fabrication sont très émetteurs de gaz à effet de serre. Ou encore mieux, qu’elle comprenne une part significative de matériaux biosourcés, capables de stocker du carbone sur toute la durée de vie du bâtiment.


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Des matériaux biosourcés qui piègent le carbone

La séquestration de carbone correspond à la capture du CO2 de l’air et à son stockage en dehors de l’atmosphère, par exemple dans la biomasse, l’océan ou les forêts. Il s’agit d’un important régulateur du climat.

Or, il s’agit également d’un des grands atouts des matériaux biosourcés fabriqués à partir de biomasse végétale. En effet, ils sont en mesure de stocker du carbone sous forme de carbone biogénique, en prolongeant la durée de vie des végétaux qui ont piégé le CO2 de l’atmosphère par photosynthèse.

En fonction de la quantité de biomasse intégrée à un matériau, cela permet mécaniquement de diminuer ses émissions totales de CO2. Dans certaines configurations, cette part de stockage carbone peut compenser en partie, voire entièrement les émissions liées à la phase de production du matériau. C’est par exemple le cas pour le béton de chanvre, qui stocke davantage de CO2 que ce que sa production en émet.

Ce stockage peut alors être considéré comme une émission négative, et dans certains cas être déduit des émissions globales du produit de construction lors de l’analyse du cycle de vie (ACV) du matériau. La capacité de stockage carbone des matériaux biosourcés peut ainsi être comptabilisée dans l’analyse de cycle de vie des bâtiments lorsque celle-ci recourt à la méthodologie dite dynamique. Celle-ci inclut une analyse des impacts au cours du temps.

Car les bénéfices associés au carbone piégé par les matériaux biosourcés dépendent aussi de paramètres temporels comme le temps de renouvellement de la plante, la durée de vie du matériau et la date de fin de vie du produit. La méthode de calcul du bilan carbone va elle aussi influencer le bilan carbone total.

Le choix de la méthodologie statique ou dynamique est important. Les effets du carbone biogénique sont négligés dans les analyses de cycle de vie statiques, car il est considéré que le carbone stocké par un produit est « relargué » dans l’atmosphère en fin de vie.

La prise en compte de la temporalité et du carbone biogénique est donc essentielle dans le calcul du bilan environnemental global d’un produit, si l’on veut tirer parti des atouts des matériaux biosourcés.

Les sous-produits de plantes annuelles plus avantageux que le bois ?

Mais tous les matériaux biosourcés ne sont pas égaux en la matière. Les arbres, par exemple, présentent une longue période de renouvellement. Leur croissance lente implique que, pour une même quantité de carbone stockée, il faut attendre plus longtemps pour les arbres que pour les espèces végétales à croissance rapide, comme la paille ou le chanvre, qui se renouvellent en une année. Autrement dit, il faut plusieurs décennies pour qu’un arbre atteigne son pic d’absorption de CO2, contre environ un an pour une plante annuelle.

La paille se renouvelle bien plus vite que les arbres, ce qui permet de fixer davantage de carbone.Des bottes de paille. Frédéric Bisson/Flickr, CC BY

Il en découle une conséquence importante : les matériaux biosourcés à renouvellement rapide, comme la paille, permettent des prélèvements de CO2 biogénique plus fréquents. Par conséquent, plus les périodes de renouvellement seront courtes et la durée de vie du produit longue, moins l’empreinte environnementale du produit sera élevée.

Cette remarque est fondamentale pour réaliser une évaluation complète des bénéfices environnementaux des matériaux biosourcés dans les secteurs du bâtiment et de la construction. Ainsi, il sera pertinent de privilégier la paille ou le chanvre pour l’isolation, par exemple, tout en optant pour une structure bois pour la solidité de la charpente. Le bois et les autres matériaux biosourcés à renouvellement rapide ne doivent pas être opposés, il s’agit de solutions complémentaires.

L’importance des choix de construction

L’ACV utilisée pour évaluer l’impact environnemental d’un bâtiment repose sur le calcul de l’énergie utilisée pour la fabrication et l’utilisation des matériaux et équipements, dite « énergie grise » et sur les consommations en usage du bâtiment.

Or, cette énergie grise représente les trois quarts de l’énergie consommée durant toute la durée de vie d’un bâtiment neuf selon l’Ademe. Autrement dit, au moment d’entrer dans un bâtiment neuf, ce dernier a déjà entraîné la consommation de 75 % de l’énergie qu’il consommera pendant toute sa durée de vie, généralement estimée à 50 ans pour les bâtiments actuels.

Pour les calculs d’analyse du cycle de vie, l’utilisation du bois en construction a donc un impact positif, mais minoré par rapport aux végétaux à cycle court. Ceci étant dû au temps de régénération du bois en forêt, qui est similaire voire supérieur à la durée de vie des bâtiments. Tandis que les plantes à cycle annuel (colza, tournesol, chanvre, paille…) mobilisent les surfaces agricoles sur une durée nettement plus faible que pour les productions forestières.

Ainsi, sur 50 ans et pour une surface égale, la séquestration de carbone et la quantité de matériau utilisable sera bien supérieure pour ces cultures que pour les arbres d’une forêt.

Enfin, comme il ne s’agit pas de cultures dédiées mais de coproduits végétaux, leur utilisation dans la construction est encore plus vertueuse d’un point de vue environnemental : en effet, elles apportent aussi une plus-value économique à l’agriculteur sur une production à vocation alimentaire.

Tout pour plaire, donc… ou presque : il faut aussi s’assurer des performances acoustiques et surtout thermiques (isolation) de ces matériaux. Sans quoi, les gains de CO2 réalisés lors de la construction pourraient être amoindris par une consommation d’énergie accrue lors de la vie du bâtiment.

À cet égard, les biomatériaux présentent des performances équivalentes, voire meilleures que les matériaux traditionnels en permettant d’amortir les variations de températures extérieures

et de réguler l’humidité intérieure dans les bâtiments. D’un point de vue économique enfin, le choix des matériaux biosourcés ne représente pas systématiquement un gros surinvestissement.

The Conversation

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