En France métropolitaine, deux tiers des 36 000 communes sont exposées à une menace naturelle. Une personne sur quatre et un emploi sur trois sont potentiellement menacés par le risque inondation, dont les conséquences humaines et économiques en font le risque majeur au niveau national. Dans ce contexte, le risque historiquement existant, couplé au changement climatique en cours, conduit à se questionner sur les efforts d’atténuation mais aussi d’adaptation des territoires.
Nous avons mené dans ce contexte deux thèses jumelles, l’une en hydroclimatologie et l’autre en économie sur le cas des inondations dans la métropole de Grenoble (Université Grenoble Alpes, IGE/PACTE). La première s’intéresse à l’évolution des précipitations extrêmes dans les Alpes du Nord françaises depuis 1950 et à l’horizon 2100. La seconde étudie les enjeux de l’adaptation au changement climatique d’un territoire à forte présence industrielle.
Deux rivières majeures
La plaine de Grenoble est associée à un risque d’inondation singulier : elle est traversée par deux rivières majeures – l’Isère et le Drac – drainant toutes deux une large région des Alpes du Nord françaises, et compte une centaine de torrents descendant des massifs du Vercors, de la Chartreuse et de Belledonne.
Au long de son histoire, cette plaine a connu plusieurs événements dévastateurs. L’enjeu des inondations a constitué une variable déterminante dans les choix d’aménagements de l’époque et dans la façon dont la plaine s’est urbanisée. Depuis le milieu du XIXe siècle, aucune crue de rivière d’ampleur exceptionnelle ne s’est produite. En parallèle, des travaux majeurs d’endiguement, de busage et de sécurisation ont été menés (160 km de digues aujourd’hui). Le danger présent est ainsi celui d’un effacement, au fil des années, de la culture et de la mémoire du risque.
Si l’évolution en cours des températures est bien perçue et connue des acteurs du territoire, les tendances sur les précipitations extrêmes et les crues dans le contexte du changement climatique sont beaucoup plus incertaines, en particulier dans les Alpes du Nord françaises qui se situent au carrefour des influences climatiques atlantiques et méditerranéennes.
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Précipitations extrêmes et pluies extrêmes
Nos travaux ont mis en évidence une augmentation des précipitations extrêmes (pluie et neige) depuis 1950 sur les bassins versants du Drac à Grenoble et sur le bassin de l’Arc (vallée de la Maurienne). Sur ces régions, pour lesquelles les extrêmes proviennent principalement des masses d’air en provenance de la Méditerranée, le niveau de précipitation qui survenait en moyenne une fois tous les dix ans en 1950 est désormais atteint en moyenne une fois tous les trois ans aujourd’hui.
Même si de telles hausses ne semblent pas être observées plus au nord des Alpes, l’élévation en altitude de la limite entre pluie et neige contribue à la progression des pluies extrêmes. Le niveau de pluie qui arrivait en moyenne une fois tous les dix ans en 1950 est atteint en moyenne une fois tous les trois ans aujourd’hui sur le bassin versant de l’Isère à Grenoble au printemps. Ainsi, l’Isère à Grenoble a connu plusieurs crues décennales au printemps ces 20 dernières années en 2001, 2010 et 2015.
Nous avons aussi étudié les torrents de l’agglomération grenobloise à partir d’une base d’événements historiques recensant les principaux épisodes de crue sur la Métropole depuis 1850. Nous observons une augmentation de la fréquence des crues torrentielles dommageables sur le territoire de l’agglomération. Tendance qui peut s’expliquer par plusieurs facteurs dont l’évolution du climat, mais aussi l’augmentation de l’exposition des actifs à la suite de l’urbanisation des versants et de la plaine, et la capacité grandissante à recenser les événements.
L’économie du territoire en question
Dans ce cadre, le futur économique du territoire devient questionné par trois dimensions : le changement climatique et ses effets locaux, le devenir de l’écosystème industriel local déjà présent, et ses perspectives de développement qui se traduisent via les stratégies locales (plan local d’urbanisme, schéma directeur de l’énergie, stratégie économique et attractivité, etc.).
La Métropole de Grenoble abrite 220 000 emplois et compte six filières industrielles avec une forte présence de la microélectronique et de l’énergie. Dans un territoire où l’eau traverse tout l’espace métropolitain, l’adaptation de l’écosystème industriel requiert une approche systémique, au-delà des zones inondables, et explorant les interdépendances entre les acteurs économiques.
Cette approche spatiale se couple à un processus temporel de flexibilisation des politiques industrielles pour tenir compte des réalités géophysiques du territoire. 50 % de la population et des emplois du périmètre TRI Grenoble-Voiron seraient en effet exposés à un risque inondation.
Analyses à petite échelle
Une adaptation viable et efficace suppose des interventions connectées avec les réalités du territoire. Pour ce faire, nous couplons la littérature scientifique et l’analyse du territoire à l’étude de « micro-scènes » présentant un enjeu d’inondation et la présence d’intérêts économiques et industriel. Nous nous sommes ainsi penchés sur trois micro-scènes afin de produire des conclusions susceptibles d’informer la décision locale :
Le Verderet, un torrent anthropisé et busé en dessous de la ville de Grenoble, qui malgré une histoire riche de sécurisation, reste source d’aléas torrentiels avec des temps de réaction courts.
Athanor, une installation de traitement et d’incinération des déchets critique pour le quotidien du territoire, pour sa transition énergétique et exposée au risque de crues de l’Isère.
La Presqu’île scientifique : lieu de confluence de l’Isère et du Drac et pôle stratégique de concentration d’activités de recherches scientifiques, technologiques et des réseaux critiques.
L’étude des scènes montre des résultats diversifiés. Le cas du Verderet souligne la différence entre les enjeux hydrauliques liés aux grandes rivières (Isère et Drac) et ceux liés aux torrents : malgré une trajectoire « grise » de sécurisation, le risque reste présent et appelle à considérer des solutions adaptatives et non uniquement curatives.
La scène d’Athanor montre le niveau d’interdépendance entre les installations stratégiques et les ambitions du territoire conduisant à des immobilités critiques au niveau spatial.
Enfin, la Presqu’île invite à reconsidérer les priorités de la zone entre le besoin de se développer économiquement, et celui de réduire la vulnérabilité au risque.
Les enseignements de ces micro-scènes et les tendances climatiques observées sont utiles pour construire des stratégies d’adaptation viables et durables sur le territoire de la Métropole de Grenoble.
Antoine Blanc, auteur de la thèse en hydroclimatologie, a contribué à la rédaction de cet article. Le livre « Réveil climatique » est disponible gratuitement en ligne.
La thèse en sciences économiques fait partie du projet climat-métro porté par l'Université Grenoble Alpes et Grenoble Alpes Métropole. Cette thèse est financée par la région AURA dans le cadre de l'IND-EX. Cette thèse se déroule au laboratoire de sciences sociales PACTE et l'Institut des Géosciences de l'Environnement IGE de Grenoble.