Comment observer la recharge des nappes phréatiques ? Un défi scientifique et technologique

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Les lysimètres sont des équipement précieux pour comprendre la recharge des nappes d'eaux souterraines. Antoine Sobaga, Fourni par l'auteur

Sécheresses et inondations affectent régulièrement une bonne partie du territoire national. La presse s’en fait généralement l’écho en se référant aux cartes de l’état des nappes d’eau souterraine du BRGM, qui vont du bleu (niveau très haut) au rouge (niveau très bas).

Carte de situation des nappes au 1ᵉʳ juillet 2024. BRGM

Or, les nappes d’eau souterraines présentent une grande diversité de comportements possibles. La seule évolution de leur niveau ne permet pas d’appréhender tous ces mécanismes. En effet, le niveau d’une nappe traduit le bilan entre les entrées (c’est-à-dire sa recharge) et les sorties, c’est-à-dire, les prélèvements et la contribution des nappes aux zones humides, aux débits des rivières et parfois même à la mer.

L’information délivrée par les piézomètres, qui évaluent la hauteur d’eau disponible, ne suffit donc pas à raconter ce qui se joue dans le sol lors de la recharge des nappes. Pour cela, on peut utiliser des lysimètres. Ces derniers permettent de suivre directement les mouvements de l’eau dans le sol, et ainsi de mesurer l’évapotranspiration et l’infiltration des précipitations vers les nappes.

Dans cet article, nous explorons l’apport de cette technologie pour l’observation de la recharge des nappes. Nos résultats montrent que le type de végétation couvrant le sol – et par là, le choix des cultures – influence considérablement l’efficacité de la recharge.


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Comment se rechargent les nappes ?

Commençons par les définitions : qu’est-ce qu’une nappe d’eau souterraine ? Ce sont des zones du sol qui sont saturées en eau : la porosité du sol, c’est-à-dire l’espace entre les grains du sol, ne contient plus d’air, mais est remplie entièrement d’eau. Ces nappes sont contenues dans des aquifères, des structures géologiques poreuses. Ce sont donc ces aquifères qui contiennent l’eau des nappes. La connexion entre les différentes zones poreuses permet la circulation de l’eau dans l’aquifère.

On considère généralement que la recharge des nappes est le fruit de l’infiltration des précipitations à travers le sol jusqu’à la nappe. Cependant, il peut y avoir localement d’autres voies de recharge importantes, bien que ponctuelles, notamment lorsque le niveau de la nappe est plus bas que le niveau de la rivière, ce qui peut générer des pertes en rivière : c’est alors l’eau de la rivière qui recharge la nappe.

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En France, la recharge par infiltration des précipitations est dominante. Elle varie bien entendu en fonction de la météo, des propriétés du sol, de la végétation et indirectement de la saison, comme on le verra plus loin. Or, toutes les pluies ne permettent pas la recharge des nappes, loin s’en faut.

En effet, l’eau de pluie qui atteint le sol peut soit ruisseler, soit s’infiltrer dans le sol. Cette eau peut alors être utilisée par les plantes en fonction de la saison et du développement de sa biomasse, et retourner dans l’atmosphère par évapotranspiration. Cependant, lorsque le sol est déjà très humide, cette eau s’écoule par gravité vers les profondeurs. Lorsqu’elle atteint une profondeur où il n’y a plus de racines et qu’elle ne peut plus être reprise par la végétation, elle va alors transiter tranquillement vers la nappe : c’est la recharge des nappes.


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Observer la recharge des nappes

Or, la recharge est un flux difficile à observer, puisqu’il se passe sous nos pieds. La compréhension des processus qui contrôlent la recharge des nappes fait partie des grands défis du XXI siècle pour les hydrologues. Pour observer la recharge des nappes directement, in situ, on utilise des lysimètres. Ceux-ci fournissent des observations sur le temps long. Il s’agit d’instruments permettant de collecter les flux qui s’écoulent dans le sol, en se plaçant à une profondeur bien inférieure aux racines.

Les lysimètres permettent de mesurer les flux d’eau dans le sol. Antoine Sobaga, Fourni par l'auteur

Les lysimètres sont généralement des cases ou des colonnes qui isolent complètement un volume de sol (voir illustrations ci-dessous). Les plus sophistiqués sont des colonnes qui mesurent à plusieurs profondeurs différents paramètres, comme :

Schéma d’une coupe transversale d’une colonne lysimètrique. GISFI, Fourni par l'auteur
  • le flux d’eau percolé à la base des lysimètres, assimilée à une potentielle recharge des nappes,

  • la teneur en eau,

  • la force de succion, correspondant aux pressions exercées sur l’eau par le sol, et qui permet à l’eau soit de rester dans le sol, soit de remonter par capillarité ou encore de descendre par gravité,

  • la température du sol,

  • et même la masse totale de la colonne, permettant ainsi d’estimer le volume total d’eau dans le lysimètre.

Schéma et photo d’une case lysimètrique, sur le site de Fagnières. Balif et coll., 1996, Fourni par l'auteur

Récemment, nous nous sommes basés sur des lysimètres pour quantifier plus finement les flux d’eau qui rechargent les nappes. Tout d’abord en évaluant les relations entre le sol, l’atmosphère et les végétaux, mais également en nous intéressant à l’effet des pluies intenses, qui n’ont finalement qu’un impact limité sur la recharge. En cause ? La végétation.

L’influence de la végétation et de sa saisonnalité

Pour cela, nous avons utilisé plusieurs lysimètres recouverts ou non par des végétations naturelles ou des cultures, tous dans la région Grand Est.

Nos observations montrent que la recharge des nappes a surtout lieu en hiver, lorsque le sol est humide. En dehors de cette période, il faut que les précipitations soient suffisamment importantes pour atteindre la zone du sol sous-racinaire pour que cela génère de la recharge. Ce fut par exemple le cas en mai-juin 2016, où le pays a connu des records de précipitations ainsi que plusieurs crues centennales.

En période estivale, le sol s’assèche d’abord en surface. Il reste toutefois alimenté, par remontée capillaire, par l’humidité du sol profond, qui lui-même s’assèche. Durant cette période, il n’y a pas de recharge. Nos observations montrent une forte influence de la végétation, qui consomme de l’eau pour son développement et ainsi assèche plus le sol qu’un sol nu.

Observations de lysimètres respectivement situés sur un sol nu ou muni d’un couvert végétal. Le couvert influence la distribution de l’humidité dans le sol au cours du temps, et par là, l’efficacité de la recharge. Les flèches représentent le sens du mouvement de l’eau dans le sol. Antoine Sobaga, Fourni par l'auteur

Les observations sur les lysimètres végétalisés montrent qu’en présence de couvert végétal, les conditions estivales impactent la recharge des nappes jusqu’à l’hiver suivant. La recharge se produit uniquement lorsque l’eau infiltrée a pu pénétrer suffisamment en profondeur. Au contraire, l’assèchement du sol en profondeur était plus réduit sur un sol nu, ce qui permettait une reprise de la recharge dès l’automne.

Climat, agriculture… Les tendances de long terme

Comme les lysimètres permettent de collecter des données en continu et sur le long terme, ils sont précieux pour dégager des tendances de long terme. Sur le site expérimental de Fagnières, près de Châlons-en-Champagne gérée par l’INRAE, on dispose d’observations quotidiennes depuis plus de 50 ans sur une dizaine de cases lysimétriques couvertes par différentes rotations de culture.

Sur ce site on constate une tendance nette à la baisse de la recharge, d’environ 10 % par an, alors que les précipitations sont stables. Et cela aussi bien sur les lysimètres cultivés que sur le lysimètre témoin maintenu en sol nu, ce qui nous permet de faire le lien avec la hausse des températures liée au changement climatique, qui augmente l’évapotranspiration et diminue le nombre de jours de pluie consécutifs. Ce dernier point est important : on l’a vu, la recharge nécessite que les précipitations puissent s’infiltrer en profondeur sans que cette eau ne soit reprise par la végétation.

Cela permet aussi de mieux évaluer l’impact des rotations de culture sur la recharge des nappes (CIPAN dans le graphe ci-dessous). On a ainsi pu constater que la mise en place de cultures intermédiaires pièges à nitrates réduisait la recharge des nappes de prêt de 10 % sur la période 1989-2013.

Impact des rotations de culture sur la recharge des nappes. A. Sobaga, Fourni par l'auteur

Une bonne cohérence entre observations locales et niveaux de nappe

Cette tendance à la baisse de la recharge à long terme observée par les lysimètres est confirmée par les relevés de niveau de la nappe la plus proche, avec des dynamiques assez proches. Ainsi, la diversité des observations locales fournies par les lysimètres donne une information utile pour comprendre la dynamique de la nappe à l’échelle du bassin, malgré les variations au sein du bassin.

De fait, les observations des lysimètres sont acquises en zone plate, et n’intègrent pas toutes les variations au sein des versants, plus propices à la genèse de ruissellement. Ces observations illustrent pourquoi la présence de végétation bien développée, type haies, en bas de versant, facilite l’infiltration des précipitations et des ruissellements.

Les lysimètres sont donc des outils précieux. Un réseau national de lysimètres, tel qu’il a été discuté en juin 2024 dans le cadre du PEPR OneWater – Eau Bien Commun, permettrait d’améliorer notre compréhension des processus de recharge, non seulement dans le contexte du changement climatique, mais aussi pour mieux comprendre le cycle du carbone, les transferts de nutriments mais aussi de polluants à travers le sol. Ils permettraient aussi un suivi en temps réel de cette recharge si importante pour anticiper correctement le niveau des nappes.

The Conversation

Antoine Sobaga a reçu des financements de l'Agence de l'eau Seine et Normandie, Météo France et le laboratoire de Géologie de l'ENS pour ce travail.

Florence Habets a reçu des financements pour la thèse d'Antoine Sobaga co-encadrée par Bertrand Decharme de Météo-France, de l'agence de l'eau Seine Normandie et du Laboratoire de Géologie de l'ENS et par le France 2030 dans le cadre du PEPR OneWater. Ces travaux n'auraient pas pu voir le jour sans les efforts menés par INRAE sur le site de Fagnières, l'ANDRA pour le site de l'OPE, et Groupement d'intérêt scientifique sur les friches industrielles (GISFI)

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