Contre le fascisme, « Cuarteto Tafi » chante l’exil

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Depuis le 12 mai, Vuelven, le nouveau titre du quatuor franco-argentin Cuarteto Tafi, est disponible sur YouTube. Vuelven est un titre sur l’exil et le devoir de mémoire, dans la lignée des compositions engagées du quatuor. Ces thèmes sont particulièrement chers à la chanteuse et autrice de Cuarteto Tafi, Leonor Harispe, dont la famille a fui la dictature argentine dans les années 70. Rencontre avec cette artiste engagée.

Si c’est à Toulouse que Cuarteto Tafi est né en 2013, c’est à l’autre bout du monde, en Argentine, que se sont rencontrés ses quatre membres : la chanteuse Leonor Harispe, Ludovic Deny au bouzouki (luth grec), Matthieu Guenez à la guitare et au oud et le percussionniste Frédéric Theiler.

Ludo, Leonor, Fred et Matthieu ©Vincent Pinson

Réunis autour d’un coup de cœur pour le folklore du nord-ouest argentin riche de chacarera et de samba, le groupe a sorti quatre albums pour diffuser des sonorités peu connues en Europe, réadaptés à « leur passé musical et leurs instruments qui ne sont pas forcément les instruments du folklore » comme l’avait confié Fred. Avec le temps, le groupe a évolué pour trouver une esthétique « world music », intégrants des sonorités acoustique et électro.

La musique de Cuarteto Tafi mêle les personnalités et inspirations musicales hétérogènes de chacun de ses membres (le chant folklorique argentin de Leonor, les influences jazz de Matthieu, métal de Ludo, et salsa de Fred) pour faire naître cette identité qui leur est propre avec un chant en espagnol accompagné de la touche orientale du bouzouki grec, de la guitare flamenca et des percussions afros-latines.

Une musique-monde, à la fois moderne et empreinte de tradition, qui fait voyager. Elle est toujours traversée d’un contenu politique et social porteur d’humanisme, de féminisme, de justice, de tolérance et de paix. Un message porté poétiquement avec espoir et optimisme, une foi en l’avenir à l’adresse des citoyens du monde. Depuis les origines, la musique de Cuarteto Tafi a toujours été chargée d’engagement de par les évènements qui ont traversé la vie de Leonor Harispe.

Ainsi Vuelven (« Ils arrivent ») s’inscrit dans cette continuité en racontant l’histoire d’une famille poussée à l’exil, et dont le souvenir se transmet de grand-mère à petite-fille. Il est le premier extrait des 10 morceaux de leur futur cinquième album El infinito y un amor qui sortira en fin d’année. C’est un devoir de mémoire familier à Leonor, dont les parents journalistes et militants pour la culture et la dignité des peuples latino-américaines furent exilés politiques de l’Argentine sous dictature militaire. Son histoire personnelle s’incarne doublement dans les paroles et le clip de Vuelven où sa mère et sa fille incarnent les rôles de la grand-mère et de la petite-fille.

De son écriture jusqu’à la réalisation du clip tourné dans l’Aude, Vuelven, comme beaucoup de chants et de musique qui font partie de l’histoire du quatuor, est né suite à plusieurs motivations. Leonor, à qui nous avons pu poser quelques questions, s’est confiée sur les questionnements qui la parcourent et les messages qu’elle souhaite diffuser via la musique de Cuarteto Tafi.

Mr Mondialisation : Pouvez-vous nous parler de ce que représente Vuelven à vos yeux ?

Leonor Harispe : Vuelven, c’est d’abord un hommage à l’exil vécu par mes parents, mais aussi à tous ces exils qui ont traversé le sud-ouest français et l’Espagne, en référence à la période franquiste, et enfin en réaction à la montée abyssale des idées fascistes lors des dernières élections. Trois axes qui m’ont donné envie d’écrire ce morceau.

Dans le clip, il y a cette transmission qui est essentielle dans ce travail et devoir de mémoire, de trouver des « espaces refuges » ne serait-ce que par l’amour, la transmission, et le regard des deux personnages apparaissant au début du clip (ndlr : sa mère et sa fille). L’amour scelle les destinées et transcende tous les drames d’aujourd’hui.

Avec un arrière-fond contemporain de montée d’idées fascistes et d’extrême-droite dont les idées dédiabolisées sont extrêmement présentes dans nos médias dernièrement. Comme cette manifestation fasciste qu’on a vue à Paris la semaine dernière [ndlr : le 6 mai], et ce que j’ai entendu ce matin [le 12 mai] au sujet de ce maire en Gironde qui doit déménager de chez lui [après des attaques fascistes : incendies de la maison du maire et de ces voitures]. Toute cette rage nous donne beaucoup d’inspiration. C’est comme cela qu’on canalise nos ressentis, en écrivant des chansons. Cela nous donne l’opportunité d’exprimer nos indignations.

Mr Mondialisation : La référence à la montée actuelle des extrêmes-droites en France et en Europe est donc complètement voulue.

Leonor Harispe : Oui, totalement. Lors des dernières élections présidentielles – et les précédentes aussi – on a assisté à cette sorte de complaisance un peu générale de laisser s’exprimer pleinement des idées que nous combattons depuis des années. Ce retour d’États fascistes, d’extrême-droite qui remettent en question beaucoup de valeurs que nous avons réussi à acquérir avec le temps et grâce aux luttes sociales menées par nos parents et grands-parents.

Il y a dans le groupe une envie de se positionner par rapport au monde qui nous entoure. Nous sommes parents, nous sommes conscients de ce qui se passe autour de nous et la musique nous permet de trouver un moyen de nous exprimer pleinement.

Mr Mondialisation : Au sujet de vos engagements militants, quelles sont les autres causes qui vous tiennent le plus à cœur ?

Leonor Harispe : Ma mère était l’une des fondatrices du mouvement féministe dans les années 80-90 à Buenos Aires. Pendant toute mon enfance elle m’a traînée dans tous les rassemblements féministes d’Argentine et j’ai grandi avec ces valeurs féministes. Ensuite j’ai fait des études de littérature à Aix en Provence et à Toulouse où j’ai approché les théories féministes à travers la littérature argentine.

Et enfin, j’ai réussi à parler de ce combat des femmes pour l’égalité à travers mes chansons. Pour notre précédent album Amanecer on a composé un morceau intitulé Ni una menos qui fait référence à un mouvement contre les féminicides, les violences faites aux femmes et le harcèlement, né dans les années 2000 en Argentine qui s’est ensuite propagé en Amérique latine et dans le monde.

Outre le féminisme, on s’engage pour la cause écologiste. À travers nos chansons, on prône la préservation de la Terre-mère. On rend hommage aux peuples autochtones de l’Amérique Latine qui préserve leur environnement, leur habitat, leur terre nourricière en dénonçant les ingérences des industries de l’agrobusiness qui font des ravages au Brésil et en Argentine.

Surtout, on met beaucoup de poésie, de l’amour dans nos chansons et notre musique. C’est au milieu de toutes ces beautés que l’on fait passer des messages militants. Avec aussi beaucoup d’espoir, beaucoup de lumière, de foi en l’humanité et d’optimisme. D’où la présence d’une enfant à la fin du clip de Vuelven qui rejoint l’Histoire puisqu’elle prend conscience de qui elle est, d’où elle vient pour avancer dans la vie avec confiance, avec force.

Mr Mondialisation : Cuarteto Tafi intervient d’ailleurs auprès des jeunes dans les collèges pour les sensibiliser au devoir de mémoire.

Leonor Harispe : Cela fait partie de notre axe médiation avec la composition et la scène. C’est essentiel pour nous d’être en lien avec la jeunesse, pour traiter des thèmes comme l’écologie, l’égalité femmes-hommes. Il y a une catégorie de la jeunesse extrêmement impliqué, qui a une prise de conscience que nous n’avions pas à leur âge. Je constate beaucoup de souffrance aussi car c’est une population qui a été négligée, notamment avec toutes les récentes réformes, cette crise institutionnelle que nous vivons. La jeunesse a du mal à trouver sa place, des moyens de s’exprimer puisque les institutions ne fonctionnent pas ou mal. Il faut lui redonner un espoir et une foi dans les institutions qui font défaut aujourd’hui et permettent à l’extrême-droite de prospérer avec beaucoup d’impunité.

Ces transmission, échange, débat et discussion, nous les menons aussi auprès de publics précarisés, fragilisés. Il y a encore deux semaines nous intervenions dans le cadre d’un concert et de restitution d’atelier avec les compagnons d’Emmaüs et les résidents du 115 dans la région de Montauban près de chez nous. Pas seulement pour transmettre nos idées mais aussi pour être toujours en lien avec un public qui a des choses à nous raconter. On a rencontré des migrants qui ont traversé la Méditerranée, des exilés de guerre, des vies hachées qui nous inspirent des chansons sublimant ces parcours douloureux pour y trouver de la beauté et de la poésie.

Nous remercions chaleureusement Leonor Harispe pour cet échange et nous laissons le dernier mot à Cuarteto Tafi :

Sur le site internet de Cuarteto Tafi, les dates de leurs concerts sont communiquées. Vous pouvez également les retrouver sur les réseaux sociaux : Facebook, Instagram, YouTube et Spotify.

– S. Barret


Photo de couverture : Ludo, Leonor, Fred et Matthieu. Photo ©Julie Imbert.

 

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