Alors que le passage des énergies fossiles à des ressources renouvelables s’annonce comme une promesse d’un monde zéro carbone, la transition énergétique cache un lourd tribut. Délocalisation des populations locales, déboisement des territoires, pollution des terres agricoles et conflits, les coûts sociaux et environnementaux des réseaux miniers internationaux sont nombreux. Dans une nouvelle étude publiée dans Work Development Perspectives, Jérémy Bourgoin lève le voile sur les contours obscurs de la transition énergétique.
Éoliennes, voitures électriques, panneaux solaires, batteries,… La transition énergétique est bel et bien entamée. Le passage des énergies fossiles aux énergies renouvelables se présente comme l’espoir d’un avenir décarboné et plus durable. Sauf que dans un plaidoyer publié le 26 août, le Centre français de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad), annonce d’entrée :
« cette transition, gourmande en minerais, engendre un sursaut d’appétit foncier chez le secteur minier »
Une transition énergétique à quel prix ?
Ainsi, les besoins grandissants des industriels en lithium, cobalt, nickel ou cuivre engendrent l’ouverture de nouvelles mines, principalement localisées dans des pays du Sud global. Un phénomène qui « pose questions », selon les chercheurs, « d’ordre écologique bien sûr, mais aussi d’ordre social, lorsque les populations locales ne sont pas consultées sur ces transactions foncières et voient ainsi leur droit d’accès à la terre révoqué ».
Dans un nouvel article publié dans Work Development Perspectives, Jérémy Bourgoin, géographe au Cirad et à l’International land coalition (ILC), fait le point sur l’état actuel du réseau minier international et détermine la position des acteurs majeurs du secteur. Grâce à des données open source, réunies dans le cadre de l’Initiative Land Matrix, le cherche distingue les investisseurs (en rouge sur la carte), les pays cibles (en magenta), les territoires ayant un double rôle (en cyan) ou un double rôle uniquement pour les transitions internes (en jaune).
Déséquilibres mondiaux et injustices
Sans grande surprise, les États-Unis, la Russie, la Chine et l’Union européenne se placent en tête des investisseurs. L’auteur de l’étude relève :
« La plupart des acquisitions foncières sont quant à elles situées en Afrique, en Amérique latine et en Asie du Sud-Est ».
Et ces tendance devraient s’accentuer dans les décennies à venir : « rien que dans l’Union européenne, dont la Commission vise la neutralité carbone d’ici 2050, la demande en minerais pour la transition énergétique devrait augmenter de 1,5 à 7 fois d’ici 2030 ».
Cette cartographie identifie clairement les déséquilibres géographiques qui caractérisent les réseaux miniers internationaux. Jérémy Bourgoin entend ainsi mettre en évidence les injustices distributives et la répartition inéquitable des coûts entre ces différentes acteurs, « les pays cibles supportant la plupart des coûts sociaux et environnementaux de l’extraction des ressources dans des zones marquées par l’insécurité foncière et alimentaire et l’instabilité en termes de gouvernance ».
Des terres arrachées aux populations locales
Loin du mythe des terres désertes qui se voient destinées à un rôle vertueux dans la transition énergétique, les territoires acquis sont très souvent déjà occupés. « La nature actuelle des transactions foncières fait que la terre est devenue un bien financier, abstrait et déconnecté de sa propre géographie, estime Jérémy Bourgoin. Le problème, c’est que ça vient invisibiliser les coûts réels de cette transition. » Or, entre cultures agricoles, pastoralisme, cueillette ou chasse, ces zones sont parfois « cruciales pour la sécurité alimentaire des populations ».
Le chercheur déplore également le manque de consultation criant et l’exclusion des populations locales lors de l’élaboration des projets miniers, menant à des mouvements de contestation sans précédent. C’est le cas par exemple au Pérou, dans la Vallée de Tambo au sud des Andes, où les habitants occupant majoritairement une activité agricole s’opposent à l’ouverture d’une mine de cuivre. « Située à seulement 6 km des premiers champs, la mine menace de contaminer toute la vallée », rapporte Reporterre.
Environnement et biodiversité : même combat ?
Au-delà des considérations sociales, certains territoires convoités sont également des zones riches en biodiversité. C’est le cas de la Copperbelt, qui désigne une zone géologique riche en gisements de cobalt et de cuivre, située à cheval entre le sud de la République démocratique du Congo (RDC) et le nord de la Zambie.
« Grâce à l’extraction qui y est conduite, la RDC est de loin le premier producteur de cobalt, avec près de 70 % de la production mondiale. Le pays est aussi (re)devenu un très important producteur de cuivre », explique Julien Gourdon, économiste pour l’Agence française de développement (AFD) et co-auteur d’un article sur le sujet. Problème ? La Copperbelt est intégralement localisée au sein de l’écorégion du Miombo zambézien central, un environnement hébergeant une importante biodiversité florale et animale.
En considérant les impacts directs de l’extraction (surface nécessaire, défrichement de la zone et production de déchets miniers) et les impacts indirects (développement d’activités économiques de subsistance comme l’agriculture ou la production de charbon de bois), la zone protégée a peu de chance de s’en sortir intacte. Une récente étude, comparant l’évolution de la région entre 1972 et 2016, suggère que les aires protégées à proximité des sites miniers sont « largement dégradées » par les activités humaines.
Développer une approche globale de la transition énergétique
Alors que les capacités de recyclage de ces matériaux restent encore trop limitées, Jérémy Bourgoin appelle à se poser la questions des impacts environnementaux et sociaux de l’ouverture de nouvelles mines.
« La transition énergétique de certains pays ne doit pas se faire aux dépens des conditions de vie des populations ailleurs dans le monde. »
Il est dès lors essentiel d’adopter une « approche fondée sur les droits de l’homme pour le développement des énergies propres », qui implique de fait la reconnaissance et le respect des communautés autochtones et locales. En outre, allier la transition énergétique à une baisse drastique de notre consommation est indispensable si l’on souhaite réduire l’impact des activités humaines sur notre environnement.
– L.A.
Photo de couverture de Josue Isai Ramos Figueroa sur Unsplash
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