Si l’enneigement s’est depuis nettement amélioré, le début de la saison hivernale 2022-2023 a été marqué par un manque significatif de neige dans les stations de ski françaises.
Certaines n’ont pu offrir que des langues de neige de culture bordées de pentes herbeuses. D’autres n’ont pas pu ouvrir leur domaine tant les températures ont été anormalement douces. Or, selon les experts du changement climatique, ces conditions anormales sont en passe de devenir la nouvelle norme.
Dans le massif du Parpaillon, entre les Alpes-de-Haute-Provence et les Hautes-Alpes, l’altitude de l’isotherme 0 °C est ainsi appelée à augmenter et gagnera même 300 mètres au printemps à l’horizon 2050, estiment certains scientifiques.
Dans ce contexte, la diversification de l’offre touristique des stations comme stratégie d’adaptation au changement climatique tend à faire consensus. Elle donne cependant lieu à des situations contrastées sur le terrain : débat, controverses, conflits, etc. Les tensions se cristallisent notamment autour des enjeux économiques et environnementaux de l’enneigement artificiel utilisé pour compenser le manque croissant de neige naturelle.
Depuis 2018, nous menons des recherches pour mieux cerner et comprendre ces situations.
Les Hautes-Alpes sont un département présentant une diversité de type de stations et confronté de longue date au manque neige, comme au début des années 90 dans le massif du Queyras.
Il existe autant de façons d’envisager la diversification que de territoires spécifiques. Dans le jeu argumentatif s’observe un gradient de postures dont les deux extrémités sont :
D’un côté, la diversification ne peut être qu’un complément au modèle de la station de ski qui doit demeurer l’offre touristique principale.
De l’autre, la diversification est appréhendée comme un moyen de sortir du modèle du « tout-ski ».
Cela révèle les dilemmes de transition auxquels font face aujourd’hui les stations de ski dans leur ensemble, « entre agir créatif, inerties et maladaptation », comme le montre le géographe Philippe Boudeau, qui questionne « le statut et la place du fait récréatif dans les territoires ».
Une diversification ski-centrée
Dans le massif du Dévoluy, à la frontière des Alpes du Nord, la diversification prend la forme d’investissements coûteux centrés sur les stations et pensés comme des compléments à l’activité ski, qui demeure l’offre touristique structurante.
En 2013, un centre multisports de 3 200 m2 est inauguré dans la station de Superdévoluy. Il regroupe deux terrains de basket couverts, un mur d’escalade, quatre terrains de squash, une salle de musculation, un spa. En 2019, un centre de balnéothérapie est lancé, cette fois-ci à la Joue du Loup, adossé à un projet de développement immobilier.
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Ces deux investissements d’ampleur, notamment 6,8 millions d’euros pour le centre de balnéothérapie, ont pris le dessus sur un autre projet de diversification impulsé en 2013. Ce dernier proposait de créer un espace muséographique dédié à la science afin de développer un tourisme scientifique hors station : « Le Dévoluy du sous-sol aux étoiles ». Il s’appuyait notamment sur la présence de l’observatoire astronomique piloté par l’Institut de radio-astronomie millimétrique (IRAM).
À l’issue des élections municipales de 2020, la nouvelle équipe modifie radicalement ce projet de tourisme scientifique. Les ambitions muséographiques sont revues à la baisse et déplacées sur le domaine skiable.
Il doit désormais prendre place dans la gare d’arrivée d’une remontée mécanique en projet, dont l’objectif est de monter en altitude le départ des pistes. Il inclut aussi la création d’un lac d’altitude constitué à partir des deux actuelles retenues collinaires utilisées pour produire de la neige de culture. Le coût de ces nouveaux aménagements est annoncé à 28 millions d’euros. Ce choix donne à voir une forme ski-centrée d’adaptation au changement climatique dans le Dévoluy.
Une diversification hésitante
Plus à l’est, le Parc naturel régional du Queyras est marqué par une diversification contrastée, potentiellement controversée comme le rappelle l’épisode récent du projet d’astrotourisme scientifique à Saint-Véran. Porté par la municipalité en 2019, il est soupçonné par ses opposants d’être un prétexte pour renforcer le modèle de la station de ski. Il donne lieu à une controverse dans le village, qui se solde par l’abandon du projet en 2020 suite à l’élection d’une nouvelle équipe municipale.
À Aiguilles, un guide de haute-montagne a créé en 2009 le premier parcours balisé de ski de randonnée en France en lieu et place de l’ancienne station de ski alpin fermée en 2007 suite à la réorganisation des sites sur le massif. En 2014, l’expérimentation est abandonnée faute de soutien institutionnel, avant d’être relancée en 2022 en lien avec la reconversion définitive du domaine alpin, portée par la nouvelle municipalité. Quinze ans auront donc été nécessaires pour que cette initiative novatrice commence à trouver sa place dans la future offre touristique du Queyras.
À Abriès, le maire nouvellement élu en 2020 affiche son ambition de baisser la pression touristique sur le territoire dans une perspective d’après « tout-tourisme ». Pour autant, cela ne se traduit pas par un arrêt programmé des investissements dans l’activité ski alpin pour les années à venir (renouvellement de remontées mécaniques, modernisation du réseau d’enneigement artificiel, création de nouveaux lits touristiques).
Dans le Queyras, la diversification oscille ainsi entre le renforcement du modèle moderniste de la station de ski alpin et le foisonnement d’innovations sociales cherchant à développer l’attractivité économique des villages hors de celui-ci. Actuellement, la seconde ne parvient pas à prendre le pas sur la première. Le Queyras est donc en pleine hésitation transformative dans ses logiques d’adaptations en cours face au changement climatique.
Des usages spontanés par les usagers
À Céüse, au sud-ouest du Queyras, la diversification se fait par les pratiquants eux-mêmes depuis l’arrêt des remontées mécaniques de la station en 2018 suite à des difficultés de gestion et à un manque d’enneigement de longue date. Contrairement au discours médiatique évoquant une « station fantôme », le site fait l’objet d’une fréquentation récréative intense par les habitants du territoire.
Ces usages réinventés du domaine skiable de Céüse sont d’ores et déjà quatre saisons et pluriactivités, s’adaptant aux irrégularités d’enneigement. Ils alternent entre randonnées à ski, en raquettes, à pied ; s’y pratiquent aussi le snowkite (sport consistant à glisser avec un snowboard ou des skis tracté par un cerf-volant de traction) et la luge.
Ces usages spontanés s’affranchissent du recours à l’enneigement artificiel. Ils correspondent aux préconisations de plusieurs études commanditées par les instances politiques depuis 1993 prônant systématiquement la voie de la diversification à Céüse.
Cependant, la communauté de commune en charge de la station ne parvient pas encore à valoriser ces pratiques au profit d’une redynamisation territoriale.
Dans les Hautes-Alpes, les stations de ski à l’épreuve du changement climatique
Face au changement climatique, les stations des Hautes-Alpes s’adaptent, non sans débats et conflits : le ski doit-il demeurer l’offre touristique principale ?
Avec la fermeture définitive des remontées mécaniques en 2020, l’enjeu est de transformer une petite station de ski n’ayant jamais trouvé un modèle économique viable en opportunité de diversification comme alternative au « tout ski ». En 2021, l’émergence d’une nouvelle dynamique associative contribue à relancer les débats sur le devenir de Ceüse. Les crispations pro versus anti station de ski s’y déploient de nouveau, sans pour autant bloquer les débats.
Un nouveau projet porté par la communauté de communes est lancé. Il ambitionne de changer l’image de « station fantôme » de Céüse et d’y structurer une offre récréative quatre saisons (balisages d’itinéraires de randonnées à pied, en vélo, en raquettes et à ski, développement du parcours de course d’orientation…). À Ceüse se pose aujourd’hui la question de l’institutionnalisation de cette diversification spontanée et de sa valorisation pour l’économie locale.
Cécilia Claeys a reçu des financements du Fond d'Innovation Pédagogique d'Aix-Marseille Université
Mikaël Chambru est co-coordinateur scientifique du Laboratoire d'excellence Innovations et transitions territoriales en montagne (ITTEM).
Anouk Bonnemains ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.