Exactement 50 ans et un jour après avoir été complètement pris au dépourvu par une attaque militaire coordonnée par ses voisins égyptien et syrien, Israël a de nouveau été pris par surprise. Les parallèles sont saisissants et ne relèvent pas seulement de la coïncidence.
Dès l’aube du 7 octobre 2023, les militants du Hamas ont envahi le sud d’Israël par la terre, par la mer et par les airs, et ont tiré des milliers de roquettes à l’intérieur du pays. En quelques heures, des centaines d’Israéliens ont été tués, des otages ont été capturés et la guerre a été déclarée. Des représailles israéliennes féroces ont d’ailleurs déjà coûté la vie à des centaines de Palestiniens à Gaza.
Le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou n’a pas attendu 24 heures après les premières attaques pour déclarer que son pays était en guerre, alors que le décompte des morts israéliens continuait d’augmenter. Tout comme il y a 50 ans.
Et ce ne sont pas là les seuls éléments de comparaison.
Des attaques-surprises lors de jours saints
Ces deux guerres ont commencé par des attaques-surprises lors de jours saints juifs. En 1973, c’était le Yom Kippour, jour d’expiation pour les Juifs. Ce 7 octobre 2023, des milliers d’Israéliens célébraient Sim’hat Torah, dédiée à la célébration de la lecture de la Torah.
Le Hamas, le groupe armé palestinien qui contrôle la bande de Gaza, territoire densément peuplée qui jouxte Israël, espère apparemment envoyer le même message que l’Égypte et la Syrie en octobre 1973 : ils n’accepteront pas le statu quo et la puissance militaire d’Israël ne garantira pas la sécurité des Israéliens.
La guerre de 1973 s’est avérée être un moment décisif non seulement dans le conflit israélo-arabe, mais aussi pour la politique d’Israël.
En sera-t-il de même pour cette guerre ?
Un échec colossal des services de renseignements
Il est certain que le déclenchement soudain de la guerre a de nouveau laissé les Israéliens profondément sous le choc, tout comme il y a 50 ans. Cette guerre, comme celle de 1973, est déjà présentée comme un échec colossal des services de renseignement.
Bien que les services de renseignements militaires israéliens aient prévenu le gouvernement que les ennemis du pays croyaient Israël vulnérable, ils ne s’attendaient pas à ce que le Hamas attaque à ce moment-là.
Les services pensaient plutôt que, dans le contexte présent, le Hamas souhaitait avant tout gouverner la bande de Gaza et non déclencher une guerre avec Israël.
Une hypothèse soutenue par l’idée que le Hamas aurait tout à craindre d’importantes représailles de la part d’Israël, qui provoqueraient indéniablement de nombreux dommages à Gaza. Le territoire, qui abrite 2 millions de Palestiniens, dont beaucoup vivent dans la pauvreté, ne s’est toujours pas remis de la dernière grande série de combats, en mai 2021.
Les services de renseignement et de nombreux analystes pensaient également que le Hamas préférait exporter la violence palestinienne vers la Cisjordanie occupée par Israël, afin de contribuer à saper le peu de pouvoir d’une Autorité palestinienne déjà faible et impopulaire, dirigée par le Fatah, rival politique du Hamas.
Ces postulats se sont révélés terriblement erronés, tout comme l’étaient les évaluations des renseignements avant le déclenchement de la guerre de 1973. À l’époque, comme aujourd’hui, les adversaires d’Israël n’ont pas été dissuadés par sa supériorité militaire.
Échec militaire
Les services de renseignement israéliens ont non seulement mal évalué la volonté de leurs adversaires d’entrer en guerre, mais ils n’ont pas non plus réussi – en 1973 comme aujourd’hui – à identifier les éléments qui signalaient les préparatifs d’une offensive.
Cette fois-ci, l’échec est encore plus flagrant, compte tenu des capacités de collecte de renseignements d’Israël. Le Hamas a dû planifier soigneusement cette attaque pendant de nombreux mois. Il s’agit sans aucun doute du pire échec d’Israël en matière de renseignement depuis la guerre de 1973.
Échec des renseignements, mais aussi échec des militaires, les Forces de défense israéliennes étant massivement déployées en Cisjordanie et manifestement pas préparées à une attaque de cette ampleur du côté de Gaza.
Les hauts gradés de l’armée avaient certes averti Nétanyahou à plusieurs reprises que la réactivité des forces armées avait été diminuée par la vague de réservistes israéliens refusant de servir en signe de protestation contre la tentative de réforme judiciaire du gouvernement. Mais les militaires restaient convaincus que leurs fortifications défensives – en particulier la coûteuse barrière de haute technologie construite autour de la bande de Gaza – empêcheraient les militants du Hamas de pénétrer en Israël, comme cela avait été le cas lors d’un raid en mai 2021.
Mais tout comme la ligne de défense Bar-Lev le long du canal de Suez n’a pas réussi à empêcher les soldats égyptiens de traverser le canal en 1973, la barrière de Gaza n’a pas arrêté les militants du Hamas. Elle a été simplement contournée et détruite au bulldozer.
[Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde. Abonnez-vous aujourd’hui]
La quête d’un responsable
Après cette guerre, des enquêtes seront sans aucun doute menées afin de déterminer un responsable, après la guerre de 1973. Une commission d’enquête sera probablement créée en Israël, similaire à la commission Agranat de 1973 qui a publié un rapport cinglant, pointant du doigt la responsabilité de l’armée et des services de renseignement israéliens.
Mais concernant cette guerre qui débute, ce ne sont peut-être pas l’armée et le renseignement d’Israël qui sont les plus à blâmer. Si l’on pointe la responsabilité politique, Benyamin Nétanyahou serait potentiellement dans le viseur, lui qui dirige le pays depuis 2009, à l’exception d’une année entre 2021 et 2022.
De fait, la guerre de 1973 était également le fruit d’échecs politiques. Israël, alors gouverné par la première ministre Golda Meir et influencé par son ministre de la Défense Moshe Dayan, avait refusé, dans les années qui ont précédé la guerre, les ouvertures diplomatiques du président égyptien Anouar El Sadate. Le gouvernement israélien était alors déterminé à conserver certaines parties de la péninsule du Sinaï – qu’Israël avait capturée lors de la guerre de 1967 – même au prix de la paix avec l’Égypte.
De la même manière, Nétanyahou a ignoré les efforts récents de l’Égypte visant à négocier une trêve à long terme entre Israël, le Hamas, et le Djihad islamique. L’actuel gouvernement d’extrême droite a préféré conserver la Cisjordanie occupée plutôt que de rechercher la possibilité d’une paix avec les Palestiniens.
En outre, le gouvernement Nétanyahou a été largement préoccupé par sa tentative, fort impopulaire, de réduire le pouvoir et l’indépendance de la Cour suprême d’Israël. Une démarche apparemment destinée à éliminer un obstacle potentiel à l’annexion formelle de la Cisjordanie. Mais l’agitation intérieure et les profondes divisions provoquées par ce projet de réforme permettent d’expliquer en partie pourquoi le Hamas a décidé d’attaquer au moment où il l’a fait.
De manière plus générale, l’attaque montre clairement que la stratégie de Nétanyahou visant à contenir et à dissuader le Hamas a échoué de manière catastrophique. Un échec aux conséquences dramatiques pour les Israéliens, en particulier ceux qui vivent dans le sud du pays, et plus encore pour les civils palestiniens de Gaza.
Le blocus continu de Gaza depuis 16 ans a certes paralysé son économie et emprisonné de fait ses 2 millions d’habitants, mais n’a pas mis le Hamas à genoux.
Au contraire, le contrôle du Hamas sur Gaza n’a fait que se renforcer, et des civils innocents des deux côtés de la frontière ont payé le prix fort pour cet échec.
À la suite de la guerre de 1973, la première ministre Golda Meir a été contrainte de démissionner. Quelques années plus tard, le parti travailliste, qui avait été au pouvoir, sous diverses formes, depuis la fondation du pays en 1948, fut battu par le parti de droite Likoud de Menachem Begin lors des élections générales de 1977. Ce fut un tournant dans la politique intérieure israélienne, qui s’explique en grande partie par la perte de confiance envers le parti travailliste (jusqu’alors dominant) suite à la guerre de 1973.
L’histoire se répétera-t-elle encore ?
L’histoire se répétera-t-elle encore ? Cette guerre sonnera-t-elle enfin le glas de la longue domination de Nétanyahou et du Likoud sur la politique israélienne ? La plupart des Israéliens se sont déjà retournés contre le premier ministre, rebutés par l’ensemble des scandales de corruption qui l’entourent, par ses tentatives de réduire le pouvoir du système judiciaire et par le virage à droite opéré par sa coalition.
L’attaque-surprise du Hamas a mis à mal l’image de Nétanyahou, qui se présente volontiers comme le « Monsieur Sécurité » d’Israël.
Cette guerre sera probablement encore plus traumatisante pour les Israéliens car en 1973, les militaires avaient subi toute la force de l’assaut surprise. Cette fois-ci, ce sont des civils qui ont été capturés et tués sur le territoire national. Un point crucial qui marque une différence capitale avec la guerre de 1973.
Dov Waxman does not work for, consult, own shares in or receive funding from any company or organization that would benefit from this article, and has disclosed no relevant affiliations beyond their academic appointment.