Dune, largement considéré comme l’un des meilleurs romans de science-fiction de tous les temps, continue d’influencer la façon dont les écrivains, les artistes et les inventeurs imaginent le futur.
Bien sûr, il y a les films visuellement stupéfiants de Denis Villeneuve, « Dune, première partie » (2021) et « Dune, deuxième partie » (2024).
Mais le chef-d’œuvre de Frank Herbert a également aidé la romancière afrofuturiste Octavia Butler à imaginer un avenir de conflits dans un contexte de catastrophe environnementale ; il a inspiré Elon Musk à bâtir SpaceX et Tesla pour pousser l’humanité vers les étoiles et un avenir plus vert.
Enfin, il est difficile de ne pas voir des parallèles entre l’univers de Dune et la franchise Star Wars de George Lucas, en particulier leur fascination pour les planètes désertiques et les vers géants.
Pourtant, lorsque Frank Herbert a commencé à écrire Dune en 1963, il ne songeait pas à quitter la Terre, mais à trouver la meilleure façon de la sauver.
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Il voulait raconter une histoire sur la crise environnementale de notre propre planète, un monde poussé au bord de la catastrophe écologique. Un monde où des technologies inconcevables 50 ans plus tôt ont mis le monde au bord de la guerre nucléaire – l’environnement au bord de l’effondrement. Un monde où des industries massives aspirent les richesses du sol et rejettent des fumées toxiques dans le ciel.
À l’époque de la publication du livre, ces thèmes étaient également au cœur des préoccupations. Après tout, les lecteurs d’alors vivaient à la fois le sillage de la crise de Cuba et dans celui de la publication du Printemps silencieux de la biologiste Rachel Carson sur la menace que représente la pollution pour l’environnement et la santé humaine.
Dune est rapidement devenu un emblème pour le mouvement écologiste naissant et un porte-étendard pour la nouvelle science de l’écologie.
Savoirs indigènes
Même si le mot écologie avait déjà été inventé près d’un siècle plus tôt, le premier manuel sur l’écologie n’a été rédigé qu’en 1953. Le domaine était peu médiatisé dans les journaux ou les magazines de l’époque. Peu de lecteurs avaient déjà entendu parler de cette science émergente, et encore moins savaient ce qu’elle suggérait pour l’avenir de notre planète.
En étudiant Dune pour un livre que j’écris sur l’histoire de l’écologie, j’ai été surpris d’apprendre que Frank Herbert n’avait pas étudié l’écologie, ni pendant son cursus universitaire, ni en tant que journaliste.
Au contraire, ce sont les pratiques de conservation des tribus du nord-ouest du Pacifique qui l’ont incité à explorer le champ. Il en a entendu parler par deux amis en particulier.
Le premier était Wilbur Ternyik, un descendant du chef Coboway, le leader Clatsop qui a accueilli les explorateurs Meriwether Lewis et William Clark lorsque leur expédition a atteint la côte ouest en 1805. Le second, Howard Hansen, était professeur d’art et historien oral de la tribu Quileute.
Wilbur Ternyik, qui était également un expert en écologie de terrain, a emmené Frank Herbert visiter les dunes de l’Oregon en 1958. Il lui a expliqué son travail de consolidation des dunes massives de sable à l’aide d’herbes spécifiques et autres plantes à racines profondes pour empêcher le sable de s’étendre à la ville voisine de Florence – une technologie de terraformation décrite en détail dans Dune.
Comme l’explique Wilbur Ternyik dans un manuel qu’il a rédigé pour le ministère américain de l’agriculture, son travail dans l’Oregon s’inscrivait dans le cadre d’un effort visant à « guérir » les paysages marqués par la colonisation européenne, en particulier les grandes jetées fluviales construites par les premiers colons.
Ces structures ont perturbé les courants côtiers et créé de vastes étendues de sable, transformant en désert des pans entiers du paysage luxuriant du nord-ouest du Pacifique. Ce scénario se retrouve dans Dune, où le cadre du roman, la planète Arrakis, a été mis à mal de la même manière par ses premiers colonisateurs.
Howard Hansen, qui est devenu le parrain du fils de Frank Herbert, a étudié de près l’impact radical de l’exploitation forestière sur les terres des Quileutes de la côte de l’État de Washington. Il a encouragé Frank Herbert à étudier soigneusement l’écologie, en lui donnant un exemplaire de l’ouvrage de Paul B. Sears Where There is Life, dont Frank Herbert a tiré l’une de ses citations préférées : « La plus haute fonction de la science est de nous permettre de comprendre les conséquences. »
Les Fremen de Dune qui vivent dans les déserts d’Arrakis et gèrent avec soin son écosystème et sa faune incarnent ces enseignements. Dans leur lutte pour sauver leur monde, ils associent avec expertise la science écologique et les pratiques indigènes.
Les trésors cachés dans le sable
Mais l’ouvrage qui a eu l’impact le plus profond sur Dune est l’ouvrage de Leslie Reid paru en 1962, The Sociology of Nature.
Leslie Reid y explique l’écologie et la science des écosystèmes au grand public, en illustrant l’interdépendance complexe de toutes les créatures au sein de l’environnement.
« Plus on étudie l’écologie en profondeur, écrit Leslie Reid, plus il est clair que la dépendance mutuelle est un principe directeur, que les animaux sont liés les uns aux autres par des liens de dépendance indéfectibles. »
Dans les pages du livre de l’écologue, Frank Herbert a trouvé le modèle de l’écosystème d’Arrakis dans un endroit surprenant : les îles Chincha du Pérou. Comme l’explique Leslie Reid, l’accumulation de fientes d’oiseaux sur ces îles constituait un engrais idéal. Abritant des montagnes de fumier décrites comme un nouvel « or blanc » et comme l’une des substances les plus précieuses sur Terre, ces îles sont devenues, à la fin des années 1800, le point zéro d’une série de guerres pour le contrôle de la ressource entre l’Espagne et plusieurs de ses anciennes colonies, dont le Pérou, la Bolivie, le Chili et l’Équateur.
Au cœur de l’intrigue de Dune, on retrouve une bataille pour le contrôle de l’épice, une ressource inestimable. Récoltée dans les sables de la planète désertique, l’épice est à la fois un arôme luxueux pour la nourriture et une drogue hallucinogène qui permet à certaines personnes de plier l’espace-temps, rendant ainsi possibles les voyages interstellaires.
Il y a une certaine ironie dans le fait que Frank Herbert ait eu l’idée de fabriquer de l’épice à partir de fientes d’oiseaux. Mais il a été fasciné par l’exposé minutieux de Leslie Reid sur un écosystème unique produisant une denrée précieuse, bien que nocive.
Comme l’explique l’écologue, les courants glacés de l’océan Pacifique poussent les nutriments à la surface des eaux avoisinantes, ce qui permet au plancton de prospérer. Ce plancton est à l’origine d’une étonnante population de poissons, qui nourrissent des hordes d’oiseaux et de baleines.
Dans les premières versions de Dune, Frank Herbert a combiné toutes ces étapes dans le cycle de vie des vers de sable géants, des monstres de la taille d’un terrain de football qui rôdent dans les sables du désert et dévorent tout sur leur passage.
Il a imaginé chacune de ces créatures terrifiantes comme de petites plantes photosynthétiques qui se transforment en « truites des sables » plus grandes. Elles finissent par devenir d’immenses vers qui brassent les sables du désert, crachant de l’épice à la surface.
Dans le livre et dans « Dune, première partie », le soldat Gurney Halleck récite un vers énigmatique qui commente cette inversion de la vie marine et des régimes d’extraction arides : « Car ils suceront l’abondance des mers et les trésors cachés dans le sable. »
Les révolutions de Dune
Le mouvement écologiste a accueilli la publication de Dune, en 1965, avec enthousiasme.
Herbert a d’ailleurs pris la parole lors de la première Journée de la Terre à Philadelphie en 1970. Dans la première édition du Whole Earth Catalog – un célèbre manuel de bricolage et bulletin d’information pour les militants écologistes – Dune était évoqué en ces termes : « La métaphore est l’écologie. Le thème est la révolution. »
Dans l’ouverture du premier film de Denis Villeneuve, Chani, une Fremen indigène interprétée par Zendaya, pose une question qui anticipe la conclusion violente du deuxième film : « Qui seront nos prochains oppresseurs ? »
La transition immédiate vers un plan montrant Paul Atreides, le protagoniste blanc joué par Timothée Chalamet, fait passer le message anticolonial. En fait, les deux films de Denis Villeneuve développent de manière experte les thèmes anticoloniaux des romans de Frank Herbert.
Malheureusement, la critique environnementale a été quelque peu édulcorée. Mais Denis Villeneuve a suggéré qu’il pourrait également adapter Le Messie de Dune, un des romans de la série dans lequel les dommages écologiques causés à Arrakis sont flagrants.
J’espère que l’avertissement écologique prémonitoire de Frank Herbert, qui a trouvé un écho si puissant auprès des lecteurs des années 1960, sera réitéré dans Dune 3.
Devin Griffiths ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.