À de nombreux endroits dans le monde, la notion de préjudice écologique et sa réparation émergent, suscitent des évolutions juridiques et mobilisent les institutions publiques. Le congrès péruvien examine actuellement un nouveau projet de loi sur la réparation du préjudice écologique.
En France, le tribunal administratif de Paris, par un jugement du 22 décembre 2023, a considéré que l’État n'avait que partiellement réparé le préjudice écologique causé par son inaction face aux émissions de gaz à effet de serre.
La définition du préjudice écologique interroge nombre de catégories juridiques et en a créé de nouvelles, telles que les droits de la nature et la personnalisation juridique de ses éléments. Il a été reconnu la première fois en droit international par la Convention sur la diversité biologique, adoptée en 1992 et désigne « toute modification significative d’un composant de la diversité biologique qui entraîne un dommage ou une perte d’utilité pour l’homme ou les autres espèces ».
Bien sûr, la prévention et les transformations politiques structurelles pour éviter les dommages écologiques sont nécessaires et certainement plus importantes que la réparation. Pour autant, il ne faut pas négliger ce levier d’action.
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À cet égard, il est intéressant de se pencher sur certaines particularités de la réparation du préjudice écologique dans trois pays d’Amérique du Sud particulièrement innovants : le Brésil, l’Équateur et le Chili.
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Des fondements juridiques différents
Dans ces trois pays, le préjudice écologique est reconnu mais sur la base de fondements juridiques différents. Au Brésil et au Chili, c’est au titre d’un préjudice objectif qu’il est reconnu. L’article 225 de la Constitution brésilienne précise qu’il consiste en l’atteinte d’un « droit à un environnement écologiquement équilibré », tandis que l’article 2 de la Loi chilienne n°19.300 de 1994) prévoit qu’il est caractérisé par « toute perte, diminution, préjudice ou atteinte significative infligée à l’environnement ou à l’un ou plusieurs de ses composants ».
En Équateur, le préjudice écologique se fonde, lui, sur l’atteinte au droit de la nature en tant que personne juridique. L’article 71 de la Constitution indique :
« La nature, ou Pacha Mama, où la vie se reproduit et se produit, a droit au respect intégral de son existence et du maintien et de la régénération de ses cycles de vie, de sa structure, de ses fonctions et de ses processus évolutifs ».
La reconnaissance de ce préjudice, quel que soit son fondement, permet d’établir une obligation de réparer afin d’assurer l’application du droit à un environnement équilibré, comme le précise la Constitution brésilienne), prenant parfois la forme d’un droit à la restauration de la nature, comme c’est le cas en Équateur.
Les fonctions de la réparation sont multiples et cumulatives : remettre en état, compenser, parfois dissuader – notamment par l’effet sur l’image d’une entreprise – voire influer – par la contrainte – sur les politiques publiques.
Des accords passés entre l’État et des entreprises privées
La réparation peut parfois intervenir en raison d’un accord. C’est le cas des accords d’ajustement de conduite au Brésil. Les autorités publiques (État fédéral, fédérés, communes…) peuvent conclure des accords avec les entreprises à l’origine du dommage pour les contraindre à le réparer en nature, par exemple en construisant une station de traitement des eaux ou en versant de l’argent. Des accords avec les sociétés pétrolières Chevron et Petrobras ont été ainsi conclus en 2013 suite à des pollutions maritime et fluviale.
Mais la réparation intervient le plus souvent au terme d’une action en justice. En Équateur, après une décision de la Cour constitutionnelle en 2015, « tous les citoyens ont le droit de représenter la nature lorsque ses droits sont violés ». De même au Brésil, la voie de l’action civile pour violation de droits diffus est très largement accessible. Il n’y a qu’au Chili où les personnes physiques doivent prouver leur proximité avec le milieu endommagé.
Si au Brésil, l’action n’est pas particulière au domaine écologique, une action spécifique est prévue en Équateur : « La nature a le droit d’être restaurée. Cette restauration s’effectue indépendamment de l’obligation de l’État et des personnes physiques ou morales d’indemniser les individus et les communautés qui dépendent des systèmes naturels affectés ».
Cette action se déroule devant un juge ordinaire au Brésil et en Équateur mais au Chili, elle ne peut s’exercer que devant des juges spécifiques : les Tribunaux environnementaux territoriaux. Créés en 2012, ils sont composés de deux juristes et d’un scientifique. Au Brésil, l’action en réparation a une particularité déterminante : la réparation des dommages causés à l’environnement est un droit fondamental et l’action en réparation civile pour dommage environnemental est imprescriptible.
« Restaurer la nature »
La réparation du préjudice écologique se caractérise par une forme particulière. En effet, la réparation doit être assurée prioritairement en nature. Si cela est implicite dans la Constitution équatorienne du fait de la notion même de restauration, au Brésil, l’article 4 de la loi de politique nationale de l’environnement de 1981 le prévoit explicitement et le tribunal suprême fédéral en a même reconnu la valeur constitutionnelle, bloquant une loi fédérée de l’État de Para qui prévoyait uniquement un dispositif d’indemnisation financière en cas de préjudice écologique dû à des activités minières.
De même, au Chili, les tribunaux environnementaux ne peuvent imposer que des réparations en nature. De sorte que la réparation sous forme de dommages et intérêts ne peut intervenir qu’à titre subsidiaire.
En effet, si la réparation en nature n’est pas possible, une réparation indemnitaire peut intervenir à titre subsidiaire. Dès lors que la remise en état est impossible parce que l’écosystème a été endommagé de manière
irréversible (on peut imaginer par exemple une espèce animale qui y vivait et qui a disparu en tant qu’espèce), il s’agit alors de procéder à une indemnisation dont le but restera de contribuer à la remise en état d’un autre site endommagé par exemple.
Toutefois, elle nécessite une évaluation économique difficile : si le coût de travaux peut être facilement évalué, il n’en est pas de même de l’évaluation d’éléments naturels sans valeur économique. Une solution peut être l’attribution de fonds à la remise en état ou à un fonds qui y est consacré (ce qui est le cas par exemple au Brésil avec le « Fonds de défense des droits diffus » créé en 1985).
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Si l’on revient à la question principale de la réparation en nature, quelle signification lui donner ? Le tribunal suprême fédéral brésilien précise que la réparation en nature a pour but de « restaurer un état antérieur » .
Au Chili, l’action en réparation est une « action consistant à rétablir l’environnement ou l’un ou plusieurs de ses composants pour une qualité équivalente à celle qu’ils avaient avant le dommage causé, ou si cela n’était pas possible, pour leur rendre leurs propriétés de base ».
Plus précis encore, le juge constitutionnel équatorien indique que :
« la réhabilitation implique la fourniture d’un service pour surmonter les conséquences de la violation des droits et doit viser la restauration » dans le but de retrouver un « état le plus proche possible de la situation antérieure » à l’atteinte incluant des mesures « pour éviter que des cas ultérieurs dans des situations similaires à celle en question ne se reproduisent, ce qui comprend des mesures telles que la publication de règlements, l’élaboration de politiques publiques et d’autres mesures visant à la non-répétition des mêmes violations des droits ».
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L’expression claire de ces principes ne doit pas cacher la difficulté de mise en œuvre de la réparation en nature.
Comment reconstituer un cycle naturel ?
Peut-on totalement quantifier et mesurer des éléments détruits ?
Existe-t-il une connaissance suffisante de l’état antérieur au préjudice ?
Les réponses à ces questions dépassent le plus souvent la capacité des autorités politiques et judiciaires.
Jean Fougerouse ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.