En Océanie, affronter la montée des eaux avec les sciences participatives

1 week ago 19

Conséquence du réchauffement climatique, la montée des eaux menace particulièrement certains territoires du Pacifique. Des programmes de sciences participatives sont mis en place pour suivre au plus près les évolutions des littoraux, avec l’appui des populations locales, et adapter les politiques publiques.


Lors du dernier sommet du Forum des îles du Pacifique aux Tonga qui s’est déroulé à la fin du mois d’août 2024, le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres a lancé un « SOS mondial » sur l’une des conséquences directes du réchauffement climatique : la montée des eaux dans le Pacifique.

Mr Guterres a notamment rappelé les récents travaux de recherche témoignant d’une élévation plus rapide que la moyenne mondiale dans certaines zones du Pacifique. De nombreux territoires, composés d’atolls et d’îles de faible altitude, sont déjà fortement menacés par l’érosion littorale, la submersion marine des zones basses ou encore la salinisation d’aquifères côtiers et l’ensemble de ses corollaires (réduction de l’eau potable, perte de productivité agricole des cultures vivrières traditionnelles, etc.).

Avec 50 % de la population du Pacifique vivant à moins de 10 kilomètres de la côte et plus de 50 % de leurs infrastructures concentrées à moins de 500 mètres de cette dernière – proportions qui augmentent chaque année – la vulnérabilité des côtes va continuer à s’exacerber dans un futur proche.

Pour faire face à ce constat, le suivi du rivage permet alors d’analyser l’évolution morphologique des littoraux en identifiant les processus d’érosion et d’accrétion, c’est-à-dire de recul ou d’avancée du trait de côte. C’est le préalable à une meilleure connaissance de la dynamique côtière et donc à une gestion opérante de l’espace littoral.

Le suivi du trait de côte permet d’éclairer les politiques publiques et la mise en œuvre de mesures d’aménagement, de protection et de réduction des risques côtiers sur les zones à enjeux.

Comment mesurer la dynamique du trait de côte ?

Pour analyser l’évolution du rivage, dont la fréquence peut être pluriannuelle, annuelle, saisonnière ou événementielle, plusieurs méthodes et techniques peuvent être déployées (p. 270-277). Nous citerons par exemple :

  • les observations de terrain géomorphologiques et sédimentologiques ;

  • la cartographie diachronique à partir de photographies aériennes et/ou d’images satellites par visu-interprétation de la position du trait de côte ;

  • ou encore l’analyse temporelle de levés topo morphologiques.

Ces derniers sont notamment obtenus par des technologies de pointe comme le GNSS (géolocalisation et navigation par un système de satellites) ou par le biais d’un capteur LIDAR (procédé qui utilise des faisceaux laser pour mesurer des distances). Embarqué sur un avion ou un drone, ce type de capteur permet de réaliser des représentations en 3D (appelées modèles numériques de terrain) très précises de la morphologie des plages sableuses.

L’acquisition de données topographiques peut aussi être effectuée de manière bien plus basique grâce au « cadre-topomètre ».

Il s’agit d’un appareil à toise coulissante, robuste, fiable, de faible coût et simple à utiliser. Celui-ci vise à mesurer une dénivelée entre deux points pour l’élaboration de profils de plage, c’est-à-dire des descriptions graphiques des variations d’altitude, le long d’un axe perpendiculaire à la plage.

La comparaison de profils successifs levés à partir d’un même point de référence, à différentes dates, permet de déterminer l’évolution du rivage, en caractérisant les phases d’érosion, d’accrétion ou de stabilité. Cet outil est adapté au contexte insulaire aux côtes sableuses à la topographie douce et relativement étroites avec une longueur inférieure a une centaine de mètres pour une réalisation aisée des profils.

Pourquoi mettre en œuvre une démarche participative ?

L’approche participative, qualifiée aussi de sciences participatives ou citoyennes, est une démarche de recherche qui associe le public à la collecte et à la production de connaissances scientifiques.

Dans le cadre de nos programmes de recherche de suivi du rivage menés en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française ou au Vanuatu, les populations locales participent activement à la collecte des données de terrain. Sont impliqués notamment des habitants des sites d’étude, du public scolaire, des associations ou encore des services techniques des mairies.

Après avoir été formés à l’utilisation du cadre-topomètre, ces acteurs effectuent en autonomie les prises de mesure topographiques nécessaires à la réalisation des profils de plage, transmis par la suite aux équipes scientifiques pour analyse.

Aux Îles Loyautés en Nouvelle-Calédonie, par exemple, des terres coutumières sont régies par des règles et des traditions propres aux communautés locales. En plus de garantir l’accès à ces espaces pour des terrains d’étude, la démarche participative permet d’obtenir des mesures régulières ou après le passage d’un évènement météorologique « extrême » comme une dépression ou un cyclone tropical. Ces mesures, difficilement capitalisable par les seuls scientifiques, permettent d’alimenter une base de données et de construire ainsi un observatoire participatif du littoral.

Au-delà de l’acquisition des données, l’association des communautés locales nous permet en parallèle de mener des actions de sensibilisation et de formation, notamment au travers d’ateliers à destination du public scolaire, orientés autour de la vulnérabilité des plages, de la prévention des risques côtiers ou encore des enjeux liés à la remontée du niveau marin.

L’attention est particulièrement portée sur la question du changement climatique car différentes études ont montré que, pour les populations des petits États insulaires du Pacifique, ce sujet n’est pas toujours considéré comme une préoccupation majeure. En effet, la responsabilité et donc la résolution des conséquences du réchauffement de la planète sont avant tout celles des puissances occidentales et asiatiques, principales émettrices des gaz à effet de serre.

Ces démarches d’éducation environnementale sont alors par exemple l’occasion de prendre conscience du danger que représentent certaines pratiques locales à l’exemple des prélèvements de sable, ou des blocs coralliens sur les platiers récifaux, trop souvent employés pour la construction des habitations avec comme conséquences directes l’accélération de l’érosion côtière.

La participation des populations locales permet aussi une meilleure compréhension du fonctionnement socioculturel du territoire d’étude, notamment celui du littoral et des règles d’usage qui lui sont associées. Ainsi sont collectés et intégrés dans les projets de gestion et de développement des connaissances locales comme la nature des changements environnementaux opérés au fil du temps, les savoirs et techniques autochtones et les pratiques locales de gestion du littoral, les représentations et perceptions que peuvent avoir les utilisateurs de leur littoral ou encore les mesures de protection et d’adaptation mise en œuvre sur les rivages.

L’ensemble de ces éléments contextualisés a pour objectif la mise en dialogue des « savoirs habitants » et des « savoirs experts » des chercheurs, approche essentielle à une gestion du littoral opérante et adaptée aux contextes locaux.

En impliquant directement les communautés locales, plutôt que de leur être imposés par une approche top-down, nos programmes de recherche bénéficient d’une meilleure légitimité et acceptation de même qu’une appropriation plus forte, gage d’une plus grande durabilité. Cela est particulièrement important en Océanie, où les communautés insulaires peuvent être isolées et autonomes.

À terme, la démarche participative alliant formation, collecte de données et sensibilisation permet de co-construire des solutions adaptées et des stratégies locales basées sur l’expérience directe des impacts et les connaissances de l’environnement des communautés locales pour une meilleure planification de l’adaptation au changement climatique.


Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la science (qui a lieu du 4 au 14 octobre 2024), et dont The Conversation France est partenaire. Cette nouvelle édition porte sur la thématique « océan de savoirs ». Retrouvez tous les événements de votre région sur le site Fetedelascience.fr.

The Conversation

Pascal Dumas ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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