Enquête Ehpad : 7 familles révèlent le business des tutelles

9 months ago 109

Il y a quelques semaines, une personne nous a partagé sa tribune sur l’opacité des EHPAD et le combat mené pour obtenir des nouvelles de son parent. Depuis, nous avons reçu des dizaines d’autres témoignages, dénonçant chaque fois des réalités similaires. Lumière sur un vaste système d’emprise et de rentabilisation des personnes âgées. 

Depuis la publication du livre-enquête Les Fossoyeurs de Victor Castanet qui révélait les maltraitances du groupe Orpea sur ses résidents, nous sommes prévenus : les EHPAD (Établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) sont, pour beaucoup, une vaste et puissante machinerie aux multiples dérives. 

État des lieux

Bien sûr, les Ehpad sont nécessaires. C’est une réponse collective aux situations de dépendance quand le maintien à domicile s’avère impossible et que le soutien familial est insuffisant. Cependant, s’agissant d’un public aussi vulnérable, cette prise en charge par substitution peut facilement devenir le théâtre institutionnalisé de nombreux abus. Maltraitance morale et physique, négligences, repas rationnés, opacité, politiques de réduction des coûts, dissimulations et entraves aux visites… Les atteintes à la dignité des personnes âgées, voire à leur vie, sont de plus en plus dénoncées. 

Pour les familles qui nous ont contactés, la raison de ces mauvais traitements est évidente. Qu’il s’agisse d’établissements publics (44% du parc des Ehpad français) ou de centres privés (31%) – espaces associatifs et autres représentant les 25% restant – la recherche d’économies et de profits prime sur tout le reste. Le résultat de cette logique néolibérale globalisée est inévitable et bien connue : sous-effectifs, manque de moyens matériels décents, absence de formations adaptées du personnel soignant, conditions de travail et d’accueil dégradées, directions hors-sol, etc.

Mais plus suspect encore, beaucoup nous ont dénoncé des tutelles ou curatelles abusives qui auraient pour but de liquider en toute liberté les finances de leurs aînés afin d’alimenter la machine, n’hésitant pas à écarter pour cela les familles démunies. En effet, le placement en Ehpad concerne par nature des personnes fragiles qui, pour la grande majorité, ne choisissent donc pas d’elles-mêmes leur placement en résidence. Or, dans le domaine de la protection des personnes dépendantes ou en perte d’autonomie, la question du consentement est un véritable enjeu.

Alors qu’elles seront 1,6 million en 2030 et 2,45 millions en 2060, la limite est encore trop fine entre soutien et emprise : une fois placées, à quel moment le dispositif légal de protection et son application par des modèles à but lucratif sont-ils au service des résidents et, au contraire, quand dépassent-t-ils le cadre de leurs missions ? Les effets réels de ces ambiguïtés, nous les avons réunis dans une enquête inédite consacrée aux familles des résidents d’Ehpad. Voici leurs témoignages (sous des noms de substitution).

Maltraitances et Ehpad tout permis : une première famille rappelle que rien n’a changé

Thierry nous raconte son cas personnel, celui qui a provoqué son besoin de libérer la parole sur le sujet : « Je témoigne aujourd’hui car ma femme est décédée le 2 mai dernier et je compte dénoncer les abus et les pratiques de l’Ehpad d’A.

Ma femme a d’abord été placée sous mesure de protection juridique, puis sous tutelle de juillet 2020 à mai 2023. Il est important de signaler que je n’ai jamais été informé de sa mise sous tutelle, ni de l’expertise psychiatrique.

« une fois, j’ai retrouvé mon épouse attachée à sa chaise baignant dans ses excréments et son urine. Motif ? Elle se sauve, on ne peut pas surveiller tout le monde… »

Et combien de fois ai-je trouvé son assiette sur la table, encore pleine… Elle n’a pas dû manger beaucoup. Mon épouse, mal suivie et mal soignée, a ainsi perdu 28 kg en 2 ans. Je ne compte pas le nombre de fois où cela sentait l’urine dans sa chambre et que sa protection n’était pas changée régulièrement.

Elle est décédée le 2 mai 2023. Il faut dénoncer ces faits et les dérives surmontées d’un business de tarifs injustifiés. »

Il entame alors une démarche, celle d’une pétition qui appelle à faire front : « Faisons en sorte que nos aînés aient une fin de vie dans la dignité ». Pétition qu’il introduit ainsi : « Le 29 janvier 2023, l’émission Zone interdite diffusait sur M6 un reportage : « Les Ehpad de nouveau épinglés ». Il a démontré qu’en un an, rien n’avait réellement évolué et qu’il y avait encore de nombreux dysfonctionnements »

Ces dysfonctionnements, qui ont lieu la grande majorité du temps dans l’ignorance des proches, il veut en rappeler la gravité sous-estimée, surtout « dans ce moment si particulier et difficile qu’est l’accompagnement dans le grand âge »

En effet, notre rapport occidental à la vieillesse est de plus en plus préoccupant. L’idéologie capitaliste et néolibérale, considérant la santé d’un point de vue purement utilitariste, voire mercantile, selon un modèle comptable déshumanisant, a mis à distance les principes de dignité et de respect du monde vivant en tant que tel. Aussi, chaque vie est priée de servir la chaîne de production sociétale ou de périr en silence, et ce grâce à des rouages complexes, difficiles à déjouer. 

De fait, quand on ne peut s’extraire un temps suffisant, que l’on n’a ni les moyens ou les conditions physiques, voire psychologiques, d’aider ses proches, on se tourne légitimement vers une aide collective, à travers des institutions habilitées.

« Il faut tout un village pour élever un enfant » dit-on, et ce n’est pas moins vrai concernant l’accompagnement de nos aîné·es. 

Or, comme l’explique parfaitement Thierry : « Faute de ressources humaines suffisantes, et malgré l’engagement quotidien des personnels des EHPAD, la prise en charge des résidents, dans ces structures, ne permet pas une réponse satisfaisante à leurs besoins.

Il faut du personnel soignant avec des salaires décents et formés pour le grand âge. Beaucoup de nos anciens sont en souffrance et cela peut se traduire par des culottes de protections non changées quotidiennement, des toilettes faites seulement une à trois fois par semaine, des levées ou des couchers à des heures irrégulières, des repas expédiés, des soins plus ou moins biens prodigués, cet ensemble aboutissant de fait, à une situation de maltraitance ». 

Pire encore pour l’entourage, à ces abus trop courants déjà signalés par Les Fossoyeurs, s’ajoute celui de l’opacité. En effet, de nombreuses familles ont commencé à suspecter des soins inadaptés au cas de leur parent et des frais de dépendance, d’hébergement et médicaux qui ne correspondent pas aux services prodigués. 

Thierry le confirme : « il est parfois impossible d’obtenir des informations sur l’état de santé de nos ascendants au prétexte du secret médical. Or, il est un peu facile de se retrancher derrière et de laisser les enfants dans l’ignorance » 

Opacité : les témoignages de familles écartées s’accumulent 

Suite à la pétition lancée par Thierry, de nombreuses familles en détresse se sont manifestées pour compléter l’état des lieux déplorable du secteur. 

Une femme, que nous appellerons Odile, raconte à Mr Mondialisation : « Ma mère est décédée il y a deux ans, au bout de plusieurs mois de maltraitances physiques et psychologiques. La raison incriminée toute trouvée a été l’état d’urgence dans lequel nous nous trouvions lors de la pandémie de Covid-19. Cela doit-il nous autoriser à devenir inhumain ? Nous, ses 3 enfants, restons traumatisés par les horreurs vues, entendues, devinées… et par notre impuissance. » 

Odile nous confie les détails : « Lorsque nous avons enfin pu sortir notre mère de l’Ehpad, elle était complètement déshydratée et ne parlait plus. Elle ne pouvait plus se nourrir et est décédée au bout d’une semaine. On nous a suggéré de porter plainte. Cependant, le problème est surtout structurel et favorise l’émergence de petits despotes qui se croient tout puissants ».


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Elle n’est pas la seule à constater une prise en charge délétère libérée de toute responsabilité envers la famille.

Mathilde nous évoque cette lente dépossession : « Mon père a été placé en Ephad alors qu’il était en bonne santé, il marchait même 3 à 4 km par jour. Bien qu’âgé, il parlait et vivait normalement. Peu de temps après son placement, nous sommes allés lui rendre visite, il avait l’air très inquiet et dérouté. Quelque temps plus tard, il a même été placé en Unité Protégée, autrement dit, pour de bon enfermé, aucun droit de sortir sans être accompagné. C’est là qu’il a commencé à faire des crises de forte angoisse, voire à casser ses affaires ». Elle insiste aussi sur des chutes répétées dont l’Ehpad semble peu se soucier.

Le père de « Mathilde » après une chute en 2021 @MrMondialisation

Annie nous dépeint un tableau similaire : « Ma maman a 78 ans, placée en EHPAD privé associatif et sous tutelle en 2015 avant ses 69 ans. Je suis enfant unique, mes parents n’ont aucun bien, depuis le décès de mon papa en 2004. Habitant le même village, j’ai toujours été présente pour ma maman, lui rendant visite tous les jours, jusqu’en 2014 où, pour des raisons personnelles (divorce), j’ai été moins présente, à raison de trois jours par semaine ; c’était provisoire le temps de m’organiser. 

Mes venues espacées ont rendu ma maman assez mal, un médecin traitant a donc décidé de la mettre en unité psy qui connait bien le directeur de l’Ehpad, tout comme le médecin traitant et la tutrice UDAF (Union départementale des associations familiales).

Je suis prête aujourd’hui à partager ce que subit ma maman. J’ai beaucoup de photos montrant un manque d’hygiène capillaire, suite à des mises au lit prolongées abusives, et sous lavage au gant couchée. Par ailleurs, l’Ehpad (avec l’accord du médecin traitant) lui avait prescrit du « mixé et eau gélifiée », or un examen ORL extérieur que j’ai organisé m’a aidé à démontrer que ma maman n’a pas de problème de déglutition. Ma maman n’entendait pas non plus pendant plus de six mois : l’Ehpad mettait en cause de la fatigue, or l’examen ORL a démontré un manque d’hygiène auditive. 

Repas mixés de la mère d' »Annie ». @MrMondialisation

Un an après l’arrivée de ma maman à l’Ehpad, nous nous sommes aperçus qu’elle avait un patch médicamenteux : on m’a répondu de prendre moi-même les références du patch si je voulais en savoir plus et d’aller voir sur internet. C’était un patch pour Alzheimer, maladie que ma maman n’a pas, un scanner cérébral à l’appui. Pendant au moins 3 semaines, ma maman a donc reçu un traitement qui ne lui correspondait pas.

En avril 2021, elle a eu le poignet droit dévié du jour au lendemain, l’Ehpad m’a dit de ne pas m’inquiéter, que c’était de l’arthrose… En avril 2022, le gériatre a diagnostiqué une hémiplégie suite à un AVC non pris en charge pendant plus d’un an. Le gériatre a prescrit un arrêt total et sevrage de psychotropes inutiles. » 

Poignet dévié de la mère de « Annie » @MrMondialisation

Face à ces flots de manquements, comme d’autres enfants, Annie fait donc appel à la justice, mais se heurte alors à un réseau d’institutions modelé autour d’une certaine confiance aux Ehpad :

« La  juge des tutelles cautionne… Disant que, si je ne suis pas satisfaite, ils mettront avec son accord ma Maman en unité longue durée… Alors qu’elle va mieux depuis 2 ans. Nous traversons un cauchemar. Se taire c’est cautionner… »

L’omerta, un terreau fertile pour des réseaux d’abus bien ancrés

Ce silence, voilà ce que dénoncent d’une seule voix ces familles. Plus que la maltraitance, le mot qui revient en boucle chez chaque témoin est l’impuissance.

Et pour cause : se reposant sur des diagnostics techniques et comptant sur notre attachement culturel – et légitime – à la prévention des risques d’abus familiaux, ces centres peuvent également prendre avec une relative liberté des mesures restrictives qui éloignent les familles de leur parent. 

Ces mesures ont pour but de protéger les aînés d’eux-mêmes ou de proches abusifs, mais comme tout pouvoir de régulation, rien ne garantit qu’elles ne seront pas instrumentalisées pour écarter les curieux de stratégies marchandes. Qu’elles soient explicites ou devinées, les maltraitances sont alors souvent impossibles à punir car de nombreux obstacles juridiques se dressent entre les observations des proches et les preuves.

C’est notamment le cas lors d’une mise sous tutelle (mesure de protection juridique ayant le plus de conséquences sur les actes que peut réaliser seule la personne protégée) ou curatelle (sauvegarde de justice limitant plus légèrement la liberté d’action de la personne protégée).

Ce procédé qui touche plus de 700 000 majeurs en France semble en effet poser de nombreuses questions quant aux abus de faiblesse grandissants, notamment à cause de potentiels conflits d’intérêts économiques entre Ehpad et professionnels de la santé, sous le regard inconsciemment complice de mœurs juridiques spécifiques et d’un État peu concerné, aux politiques d’austérité pour les plus pauvres. 

Manifestation Nantes 2018 @doubichlou14/Flickr

Claude Petit, président de l’AFCAT (Association française contre les abus tutélaires) analyse la situation pour La Dépêche : « Les abus tutélaires sont un véritable fléau national et le plus grave, c’est qu’il y a une impunité flagrante même quand les faits sont caractérisés. […] Le dernier texte de loi date de 1968, c’est dire qu’une réforme s’impose. » 

« Un gérant de tutelle doit avoir un rôle de conseil et d’assistance. Or, en fait, il a un rôle de banquier »

Sans nier la problématique des abus intra-familiaux, les tutelles extra-familiales jouissent également d’un certain tabou quant aux limites de leurs habilitations et de leur pouvoir de décision.

Mathilde, par exemple, souhaite nous dénoncer : « une mafia de Préfets, Procureurs, Juges, greffiers, Médecins de l’ARS, dirigeants de cliniques et CHU, Commissaires (huissiers) du gouvernement, Notaires faussaires, Avocats du réseau, Groupe et Directions des Ehpad implantés dans toutes les villes stratégiques et touristiques françaises, souvent sans enregistrement aux RCS où se trouvent leurs immeubles, et où le personnel IDE se voit remplacé par des stagiaires, itinérants et aussi étrangers, souvent non rémunérés car « en formation » pour relayer les diplômés, exténués par les horaires souvent dépassés, et des ordres contraires à leur éthique envers les résidents ». 

Elle demande si « la France est donc gouvernée par un État parallèle qui ne répond plus à l’appel des français ». Une chose est sûre, les défaillances et les manques de moyens dans les contrôles des tutelles et curatelles sont indéniables.

Tutelle et curatelle : un super-pouvoir mal contrôlé

Ce constat d’emprise, de nombreuses familles l’associent à un système entier de mise sous tutelle abusive, comme nous l’explique Sarah : « Il y a quelques années, ma mère a fait une intoxication alimentaire et s’est retrouvée à l’hôpital. Dans la foulée, j’ai alors appris qu’une association l’avait mise sous tutelle. Une situation confirmée par le tribunal de Tours, m’annonçant également que selon leurs documents Cerfa remplis par l’assistante sociale, ma mère n’aurait pas d’enfants… Elle a pourtant bien deux filles et je vivais alors à 30km de chez elle donc lui rendais souvent visite.

J’ai alors dû faire des démarches pour prouver le lien familial. Malgré cela, le juge a refusé de retirer la tutelle et de la donner aux enfants, alors que 10 accusations visaient déjà l’association en question ». 

C’est alors le début d’un chemin de croix pour Sarah : « Placée dans un centre O. à Tours, ma mère m’avait confié vouloir en partir à tout prix. Refus de la tutrice, contre lequel je ne peux rien faire. Motif ? « Ma mère ne veut pas vraiment partir » selon elle. » 

Sarah nous précise que, dans ce cas, l’enfer est quotidien. Il s’agit d’une accumulation de faits ambigus, difficiles à prouver, mais oppressants, donnant le sentiment de lentement tomber sous une emprise pernicieuse… jusqu’au drame : « L’année dernière, la sœur de ma mère dont elle est très proche m’appelle. Il faut aller en catastrophe à Choiseul, me dit-elle : « Ta mère a été violée ». Ma tante avait déjà téléphoné à la police qui n’a pas voulu se déplacer. Premier constat : sa jambe avait été blessée. Selon le centre, ma mère était simplement tombée de son lit, et refusait donc de la faire examiner. 

Or, un jour, nous marchons avec ma mère et elle dit apercevoir son agresseur. La tutrice n’a pas trouvé pertinent de lancer une enquête, mais une semaine après, ils l’ont cependant emmenée devant un psychiatre qui a conclu à un « délire de persécution paranoïaque ». Le diagnostic m’a été révélé par la directrice, mais sans que je ne puisse avoir accès à son dossier médical. » 

Et cela, c’est sans parler des douches une fois par semaine seulement, du personnel en sous-effectif, des dépenses injustifiées avec le compte de son parent, que nous énumère Sarah, évoquant un véritable business de « l’or blanc » pour parler des personnes âgées.  

« Aujourd’hui, ma mère a 89 ans. Je me souviendrai toujours du jour où l’hôpital m’a appelée pour m’annoncer qu’elle venait de faire une péritonite aiguë, se ravisant soudainement de m’en dire plus en constatant que je n’étais pas la tutrice « légale »… ». 

C’est alors au tour d’une autre femme, Arielle, de nous dresser le même état des lieux : « Ma mère a fait l’objet d’une récupération de ses biens et de sa personne par une juge et un mandataire complices d’abus de pouvoir afin d’imposer des décisions qui l’ont menée à sa ruine, puis sa mort.

En effet, ma sœur et moi avons fait une demande de protection pour notre mère. Malheureusement, nous sommes tombées sur une juge malhonnête qui, au lieu de cela, a nommé un homme de son réseau. Il se trouve que le but non avoué était de placer ma mère afin de l’épuiser financièrement. L’objet était de vider ses comptes au plus vite et de vendre sa maison pour payer l’EHPAD dans lequel ils l’avaient placée de force. 

Ils ont commencé par fermer son assurance vie et transférer l’argent sur son compte courant. Puis, ils l’ont placé en Ehpad, et ont utilisé cet argent pour payer son placement, sa retraite ne lui permettant pas de financer le coût de l’établissement. Ils ont ensuite refusé de louer la maison qui est donc restée vide durant plus d’un an (néanmoins chauffée avec entretien du terrain par un prestataire de service).

Alors que ma mère avait, en septembre 2019, une certaine somme d’argent sur son assurance vie, il ne restait pour ainsi dire plus rien au moment du changement de mandataire en octobre 2021. Ils étaient presque parvenus à leur fin !

Ils ont ensuite aggravé la mesure de protection afin de n’être plus gêné par nos interventions. Nous avons entrepris de faire appel aux décisions prises mais la justice n’a pas jugé bon de nous confier la mesure. La juge a toutefois nommée un autre tuteur, une femme qui ne fait pas partie de son réseau et qui a mis la maison en location pour arrêter l’hémorragie financière ».

Selon Arielle, le plus dur est qu’il s’agit d’un milieu organisé : « Nous avons dénoncé à plusieurs reprises ces choix délétères pour essayer de sortir notre mère des griffes de ce binôme mafieux : rien n’y a fait, la juge étant, bien sûr, pleinement impliquée dans ce trafic dont le but était, dès le premier contact, déjà tout tracé. 

L’EHPAD, lui, est entré bien volontiers dans le jeu du mandataire alors que ma mère manifestait clairement qu’elle voulait retourner vivre chez elle, entourée des aides qu’elle avait mis en place avant sa curatelle. Mais le réseau de cette juge, n’aurait pas été complet s’il n’y avait pas eu un médecin complaisant près à rédiger l’ordonnance de placement.

Bien sûr, les instances restent très silencieuses et discrètes sur ce sujet. Alors que nous sommes les victimes de ces abus, elles ne nous prennent pas en considération : nous ne sommes ni questionnées, ni informées ». 

Arielle conclue : « Aujourd’hui, ma mère est décédée et, l’on peut témoigner que sa fin de vie a été d’une violence inouïe. Voilà où en est le système de protection des personnes vulnérables actuellement : les loups s’y sont infiltrés et profitent de leur statut pour commettre leurs méfaits en toute impunité ». 

Néanmoins, quelques victoires sont possibles reprend Arielle : « Il se trouve que ce mandataire, relevant du tribunal et nommé par la juge, a finalement été pris la main dans le pot de confiture pour près d’un million d’euros soutirés à ses protégés. Mais qu’en est-il de cette juge ? Le mandataire est un fusible, c’est plus haut qu’il faut taper mais comment faire ? Vers qui se tourner ? Personnellement, je serais tout à fait d’accord pour participer à une action collective auprès de la justice pour que puissent être condamnés ces juges mafieux ». 

Isolement progressif, tutelle, abus : les témoignages d’un mode opératoire se recoupent

@Pascal Maga/Flickr

Une autre parente que nous présenteront sous le nom de Myriam parle également d’épreuves insoutenables : « Tous les Ehpad ne sont peut-être pas à mettre dans le même panier… mais quand ils sont défaillants, il devient vite impossible de revenir à domicile et de rendre visite à son parent. C’est ce que j’ai vécu avec trois établissements du sud de la France.

Ils savent pertinemment ce qu’ils font et ne font pas. Manifestement ils préfèrent les résidents sans famille pour n’avoir pas de comptes à rendre. Quelle famille prendrait le risque de faire enfermer son parent ainsi, si elle était valablement informée ? Personne ! C’est pourquoi les Ehpad ont organisé progressivement l’omerta et les connivences avec l’ARS (Agence Régionale de Santé) et la justice tutélaire… puis ont réduit les prestations au-delà de l’imaginable. » 

Myriam nous décrit alors le même procédé d’isolement progressif des aînés et de lente dépossession des droits des familles à entretenir un lien quel qu’il soit avec ces derniers : « J’atteste qu’au premier Ehpad, je venais voir ma mère toute les après-midi, mais ce n’était pas du goût du personnel qui me disait : « Vous l’empêchez de s’acclimater, si vous êtes trop présente ». 

Deuxième stade : dénigrer d’autres membres de la famille pour vous isoler. Par exemple, la sœur de ma mère venait une fois par semaine, mais le personnel m’a rapportée « une attitude inadaptée et violente envers le personnel » ce dont je doute.

Troisième stade : recommander des « dames de compagnie » extérieures, soit disant plus adaptées que la famille… ». 

Un éloignement qui, selon Myriam, sert surtout à camoufler les mauvais traitements induits par la recherche de profits : « J’ai voulu tester le repas à l’Ehpad avec ma mère… La partie famille est nappée et les assiettes mieux présentées, mais cela reste des repas de cantine et des portions minimalistes. J’ai pu me rendre compte que certaines normes classiques en restauration ne sont pas respectées.

Aucune des prestations annoncées et incluses (psychologue, gymnastique, etc.) n’a été délivrée pendant les 3 mois d’hébergement et le directeur s’est justifié « il ne faut pas tout comparer à la plaquette ou au site internet…  c’est de la pub ! » ».

« Nos aînés font l’objet de conditions de vie déplorables au nom du profit »

Las de ne pas réussir à mettre la main sur ce qu’elle pressent, Myriam observe pourtant des événements notables :  « J’atteste que dans l’un des Ehpad, ma mère aimait se promener une grande partie des journées avec son déambulateur. Le jour où elle a refusé de faire le tour du jardin avec ses petits-enfants de 33 et 36 ans, elle n’a pas pu s’expliquer et semblait très tendue. Le personnel nous a fait croire qu’il ne s’était rien passé, attestant que la visite du médecin n’avait rien mis en évidence, « pas même un hématome ! ». Cette comédie a duré 5 jours avant que j’exige une radio de contrôle… qui a révélé une fracture du col du fémur stade 4.

Non seulement nous n’avons eu ni explication, ni excuse, mais j’ai été agressé verbalement par le directeur de l’Ehpad, toute la semaine qui a suivi le retour de notre mère après l’opération. J’ai été menacé d’interdiction et il s’est permis de me rayer du dossier d’admission de ma mère, alors que j’étais « personne de confiance » et seul enfant vivant à Nice.

Le chirurgien orthopédique a préconisé de la kiné post-opératoire dans un centre spécialisé, le médecin libéral référant et le médecin coordinateur ont validé, mais le directeur s’y est opposé pour ajouter ces prestations à son chiffre d’affaires. Malgré toutes ces fautes et les conventions existant entre établissements d’un même groupe, le directeur s’est également opposé au départ de notre mère.

À ce jour, ma mère est toujours séquestrée chez O. et le directeur de l’éthique du groupe O. ne trouve pas incongrue de garder une patiente dont la famille a obtenu, en mars 2022, un jugement pour son maintien à domicile » 

Myriam en a fini par tirer certaines conclusions : « À propos des Ehpad dont la motivation est essentiellement le profit, il est justifié de parler d’abus de confiance et de maltraitance institutionnelle, puisque : d’abord, l’État a créé l’ARS (Agence régionale de santé) qui aide les Ehpad à camoufler les dérives… »

Pour contextualiser, l’ARS est un organe de l’État à caractère administratif placé, entre autres, sous la tutelle du ministère de la santé. Cet établissement finance notamment, via les fonds de l’Assurance maladie, le budget des dépenses relatives aux soins prodigués en Ehpad, incluant le financement du personnel soignant ainsi que du matériel médical et des médicaments.

Sous un gouvernement qui cherche à économiser 3,5 milliards d’euros sur le budget sécurité sociale, la question semble légitime : quelles directives néolibérales communes peuvent indirectement associer l’ARS et les Ehpad en défaveur des résident·es ?

Actuellement, le projet de loi « Bien Vieillir » d’Emmanuel Macron dont l’expérimentation est prévue jusqu’en 2027 se voudrait rassurant, s’engageant sur une de simplification du financement public des Ehpad, ainsi que par la revalorisation du soin à domicile. Des nouvelles bien accueillies par certains centres, mais un écran de fumée selon d’autres, comme Pascal Champvert, président de l’association des directeurs au service des personnes âgées (AD-AP) : « Le gouvernement dit « on finance différemment, cela ira mieux », mais ce n’est pas changer le mode de financement qu’il faut faire. C’est financer plus » dénonce-t-il ainsi sur Capital. 

C’est le cas également de Laurent Garcia, président de l’Observatoire du Grand Âge, invité sur C’est à Vous :

Myriam observe aussi et surtout une stratégie globalisée que beaucoup de familles ne voient pas venir : « les établissements conseillent de moins visiter son parent, divisent les fratries pour mieux régner et préconisent des tuteur « professionnels » » surtout que pour elle « les tribunaux sont partisans des MJPM (Mandataire Judiciaire à la Protection des Majeurs) sans réelle enquête de la situation. » 

Autrement dit, si un budget public doit être évidemment alloué aux soins de nos aînés loin des stratégies économiques privées, il ne saurait garantir leur protection sans un appareil de surveillance et de séparation claire des pouvoirs en vue de limiter les risques de conflits d’intérêt.

Il est urgent de changer de modèles avec des mesures claires

Thierry nous retourne les mêmes perspectives, avec l’envie de faire bouger les choses. Même si pour beaucoup, ce n’est pas chose évidente. Arielle évoque un réseau puissant : « J’aimerais tenter une action contre ces deux personnes, mais beaucoup m’en dissuadent en parlant d’intouchables ».

Ils et elles réclament cependant plusieurs mesures, comme des contrôles véritablement inopinés, au sein des Ehpad privés comme publics : ces derniers étant également soumis, sinon à des objectifs, du moins à des restrictions financières pressurisantes. 

« Nous exigeons que le personnel politique, tant au niveau exécutif que législatif, visite de façon inopinée les EHPAD afin de voir les conditions de vie de nos aînés. Ces contrôles, parmi d’autres qui seraient d’ordre administratif et médical, permettraient de garantir la notion du « bien vieillir avec dignité ». Ils seraient la manifestation de l’expression d’une solidarité nationale voire européenne, dont ont tant besoin nos seniors » 

Par ailleurs, selon eux, les établissements doivent impérativement être soumis à des obligations strictes de transparence et fournir un suivi plus poussé des résidents sur leurs bilans médicaux  : « Ils doivent justifier et détailler leurs prestations ainsi que les soins qu’ils prodiguent en direction de leurs résidents… Que fait-on réellement payer à nos aînés en milieu médicalisé ? »  

Leur appel est on ne peut plus clair :

« Ensemble, faisons en sorte que le sujet du bien vieillir soit pris en compte par le pouvoir exécutif afin que les sourires puissent renaître sur les visages des personnes âgées. Le bien vieillir doit être une priorité absolue. » 

Si pour vous aussi la question du bien vieillir et de la transparence des EHPAD est importante, rejoignez ces familles dans leur mobilisation en signant et en partageant leur pétition : « Ras le bol des abus !  Agissons pour plus de transparence sur le fonctionnement des Ehpad, dès aujourd’hui ! » 

– S.H.


Photo d’entête : « Mathilde » et son père, lors d’une visite  @MrMondialisation

Sources :

« Ma croisade contre les abus tutélaires » / La Dépêche

Enquête : les abus et les arnaques des tutelles / France Info

Pourquoi les personnes sous tutelle sont-elles victimes d’abus ? /Cellule investigation de Radio France

Avec 520 euros pour vivre par mois, un Montpelliérain dénonce un abus de curatelle / Midi Libre

Grand âge : quel prix sommes-nous prêts à payer pour nos vieux ? / 28 Minutes – ARTE

Ehpad. Le consentement des aînés, un véritable casse-tête / L’HUMANITÉ

Faut-il plus d’autonomie pour les personnes âgées ? / ARTE

Vers une simplification du financement des Ehpad / Les Echos

Budget sécu : comment le gouvernement compte économiser 3,5 milliards d’euros / La Tribune

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