Le 7 février 2024, le Parlement européen s’est prononcé en faveur de la dérégulation des NGT (nouvelles techniques génomiques), le but étant d’assouplir l’encadrement de la mise sur le marché d’une nouvelle génération d’OGM. Une décision qui va l’encontre, non seulement de l’opinion publique, mais aussi de toute logique scientifique. Si elle est validée par le Conseil européen, elle aura des conséquences irréversibles sur l’environnement et, potentiellement, sur notre santé.
La réglementation européenne des OGM est, à la base, une des plus strictes au monde, protégeant à à la fois l’environnement et nos assiettes. Leur commercialisation nécessite aujourd’hui des évaluations approfondies des risques sanitaires et environnementaux par l’EFSA (Autorité européenne de sécurité des aliments) et, en cas de mise sur le marché européen, la traçabilité ainsi que l’étiquetage sont assurés. Pour l’instant, le seul OGM autorisé à la culture en Europe est le maïs MON810. La France, parmi d’autres pays, interdit la culture d’organismes génétiquement modifiés sur son territoire.
Mais voilà, tout est sur le point de basculer. Suite à la proposition de la Commission européenne en juillet 2023, les députés européens ont récemment voté en faveur de la dérégulation des « nouveaux OGM » avec 307 voix pour, 263 contre et 41 abstentions. Le débat doit maintenant se poursuivre au Conseil de l’Union européenne. Si celui-ci est favorable à cette déréglementation, le texte pourrait être adopté à la fin de l’année.
On résume : l'Agence nationale de sécurité alimentaire recommande une évaluation au cas par cas sur les nouveaux OGM.
Le gouvernement planque son avis et prend la position inverse.
Ces gens gouvernent comme des mafieux et nous mettent en danger. pic.twitter.com/7UwaXzSkl3
— Clément Sénéchal ⏚ (@ClemSenechal) March 6, 2024
OGM : des bénéfices… pour Monsanto
Pour mieux comprendre ce que sont les NGT, revenons avant tout sur les OGM qui, rappelons-le, sont des organismes dont le matériel génétique a été modifié par introduction de gène(s) provenant d’une autre espèce de manière artificielle. On appelle ce processus d’ingénierie génétique « la transgénèse ». Le but est de modifier le matériel génétique d’un organisme (une plante par exemple) de manière ciblée afin d’améliorer par exemple sa résistance aux maladies ou sa tolérance aux herbicides. Leur développement s’est accompagné de promesses environnementales de taille : le résultat promis était notamment une augmentation des rendements et une réduction de l’utilisation des pesticides.
Toutefois, selon une analyse publiée en 2016 par le New York Times, basée notamment sur les données de la FAO (Food and Agriculture Organization) des États-Unis, l’utilisation des OGM en Amérique du Nord durant deux décennies n’a pas engendré de hausse de rendements supérieure à l’Europe de l’Ouest qui avait refusé le développement des organismes génétiquement modifiés. En outre, si l’utilisation de fongicides et d’insecticides a diminué grâce aux OGM (de manière peu notable ceci dit), ceux-ci ont en revanche fait augmenter l’utilisation d’herbicides de 21 %. Une véritable aubaine pour Monstanto ! Notons qu’en France, où les OGM sont interdits, le recours aux pesticides (insecticides, fongicides et herbicides compris) sur les cultures a drastiquement diminué ces vingt dernières années. Une bonne nouvelle pour l’environnement, qui n’est évidemment pas au goût de l’industrie agrochimique et de ses quelques portefeuilles débordants de mort.
NGT : des techniques aux effets incertains, qui profiteront uniquement à l’agro-industrie
Mais que sont donc ces Nouvelles Techniques Génomiques, annoncées comme révolutionnaires ? Quelles différences avec les « anciens OGM » ?
Les NGT permettent aujourd’hui des modifications du matériel génétique plus précises grâce à la technologie CRISPR-Cas9 (ciseaux moléculaires). Cisgénèse et mutagenèse viennent remplacer la transgénèse et permettent d’inactiver un gène ou de transférer un ou plusieurs gènes issus de la même espèce ou d’une espèce apparentée. En clair, il s’agit toujours de modifier le génome d’un organisme de manière artificielle en laboratoire. Sauf que ces techniques sont si avancées qu’elles affectent l’hérédité naturelle par forçage génétique, imposant la transmission du nouveau gène à toutes les nouvelles générations, même si celui est nocif pour l’espèce, modifiant ainsi des populations entières de manière permanente, contrecarrant au passage la loi de l’évolution. Rien que ça !
Mais en fin de compte, quel est l’objectif des NGT ? Comme d’habitude, le but annoncé est une amélioration des rendements, une meilleure résistance des plantes aux maladies et aux insectes, une meilleure adaptabilité au réchauffement climatique, la réduction de l’usage de pesticides, des avantages économiques/sanitaire, etc.
Mais au-delà des infinies promesses de bénéfices (pour la seule perpétuation d’une agriculture industrielle qui ravage tout sur son passage, marginalisant toujours plus les petits agriculteurs), on n’a, en réalité, aucune idée des effets réels qu’aura cette technologie sur l’environnement. Tout ce que l’on sait est qu’ils risquent bel et bien d’être irréversibles. Bien que des recherches soient toujours en cours pour trouver des techniques pouvant contrer le forçage génétique, aucune solution tangible n’a encore été mise en place pour limiter la transmission des gènes modifiés à la descendance qui sera donc entièrement affectée, de génération en génération.
Des apprentis sorciers et leurs technologies bancales face à des écosystèmes complexes
L’agriculture n’est pas le seul secteur auquel « profiteront » les NGT, la médecine et, paradoxalement, le secteur militaire (production d’armes biologiques) sont également concernés. La lutte contre le paludisme fait partie des objectifs annoncés. Le problème dans ce cas précis est qu’en plus de rendre certains pays pauvres entièrement dépendants de ces technologies, et donc de multinationales occidentales, ils pourraient créer des effets délétères en cascade sur des écosystèmes dont le moustique est un maillon essentiel.
Les NGT utilisées sur les plantes, quant à elles, risquent de gravement affecter la vie des pollinisateurs, plus particulièrement les abeilles dont dépend un tiers de l’alimentation mondiale. L’ingestion d’ADN modifié sur les plantes cultivées peut avoir des effets néfastes sur leur santé, leur reproduction, et perturber leur capacité à butiner. Et cela, sans même parler de l’impact des herbicides dont l’usage est facilité par les NGT.
Outre ces exemples, de manière générale, les organismes modifiés par le biais des NGT risquent de se répandre dans l’environnement de manière inarrêtable, causant des dégâts irréversibles sur la biodiversité. Le monde sauvage, déjà meurtri par la folie capitaliste, sera ainsi affecté de manière durable et des écosystèmes entiers d’organismes interdépendants pourraient s’effondrer totalement, conduisant potentiellement à l’extinction de nombreuses espèces. Il est impossible aujourd’hui de prévoir le comportement de ces organismes génétiquement modifiés, celui-ci pouvant être totalement différent des attentes des chercheurs.
Une fois lâchés dans la nature, il n’y aura pas de retour en arrière possible, ce qui fait froid dans le dos quand on constate que nous sommes à ce jour incapables de prédire la manière dont cela affectera des systèmes naturels interconnectés dont la complexité dépasse de loin notre champ de compréhension. Précisons ici que totalité des systèmes agricoles s’en trouveront affectés car l’environnement risque d’être entièrement contaminé, ne laissant plus de place au choix de l’agriculture biologique.
Des risques sanitaires bien réels : quid du principe de précaution ?
Les signaux d’alarme s’enchaînent et montrent chaque jour que l’être humain n’a pas les capacités de mesurer l’ampleur réelle de son impact sur la nature. S’attaquer à l’ADN, base commune à tous les êtres vivants, est un pari extrêmement risqué. Ne serait-il pas nécessaire de tirer des leçons des erreurs similaires faites par le passé ? Est-il légitime qu’un pouvoir tel sur des matériaux génétiques essentiels à la survie de l’humanité appartienne à une poignée d’individus ? Il n’y a aucune garanties scientifique que la loi de l’évolution soit préservée : Étant donné que les gènes modifiés seront transmis à toutes les générations, la disparition de la sélection naturelle pour ces espèces est inévitable.
À ce jour, les recherches sur les conséquences sanitaires des organismes modifiés grâce aux nouvelles technologies génomiques sont clairement insuffisantes. L’ADN modifié, ingéré par le biais de produits alimentaires, pourrait s’avérer toxique pour les cellules humaines. Allergies, intolérances alimentaires, perturbation du microbiote intestinal, propagation de l’antibiorésistance… Tout autant d’impacts probables des NGT sur la santé humaine. Dans ce bain d’incertitudes et de facteurs imprévisibles, comment est-il possible d’envisager la mise sur le marché de produits contenant des organismes génétiquement modifiés ?
Ciao la démocratie
Selon un sondage datant de 2021, seuls 3 % des citoyens européens ayant entendu parler des NGT seraient d’accord pour exempter ce type de produits de tests de sécurité et d’étiquetage. Pourtant, c’est exactement l’inverse qui a été proposé par la Commission européenne qui souhaite une suppression de ces normes. En 2022, une pétition a réuni plus de 400 000 signatures, exhortant l’UE à maintenir les tests de sécurité, la transparence et l’étiquetage pour tous les OGM, même ceux produits avec les nouvelles techniques génomiques.
Nombre de scientifiques, agriculteurs et organisations environnementales sont fermement opposés à cette dérégulation. Dans une lettre ouverte envoyée à des ministres belges, 70 académiques détaillent leurs préoccupations quant à la déréglementation des NGT, ne manquant pas de soulever le fait que :
« Les groupes européens de surveillance des lobbies ont dénoncé à plusieurs reprises le fait que les voix critiques étaient systématiquement ignorées lors de la rédaction de la proposition, alors même qu’elles ne faisaient que défendre des intérêts généraux tels qu’une alimentation saine, une agriculture vivable et un cadre de vie sain. Les acteurs les mieux entendus par la Commission européenne semblent être principalement des acteurs ayant un intérêt financier direct dans la déréglementation. »
Ergo, si on résume les choses, le Parlement européen vient de voter en faveur d’un texte auquel s’oppose la majorité des citoyens, dont il menace la sécurité sanitaire et environnementale. Les décisions sont prises en catimini, sans consultation du public. Le tout clairement destiné à enrichir des multinationales qui ont d’ores et déjà le monopole sur l’agriculture mondiale. Coup dur pour notre démocratie de façade.
Agroécologie : la solution dont les industriels ne veulent pas
Si la dérégulation des NGT est validée par le Conseil de l’Union européenne, cela signifie que il n’y aura absolument plus aucun contrôle sur ce que l’on cultive et l’on mange, dans un environnement envahi de gènes modifiés, fabriqués à l’autre bout du monde par des technologies incertaines qui pourraient précipiter l’effondrement de la biodiversité en perturbant irrémédiablement les écosystèmes. Si l’un des arguments phares des firmes agrochimiques est que les NGT aideront à la lutte contre le réchauffement climatique, le GIEC lui, préconise plutôt l’agroécologie, une approche permettant à la fois de réduire les émissions de gaz à effet de serre et de rendre les systèmes agricoles plus résilients face aux aléas climatiques.
Plutôt que de modifier l’environnement, l’agroécologie vise plutôt l’adaptation, agissant en synergie avec les écosystèmes : des semences paysannes, locales, adaptées à leur environnement, plutôt que des organismes produits en laboratoire à l’autre bout de la planète. La Confédération paysanne, syndicat agricole français, propose ainsi une approche plus holistique de notre rapport à la terre, compatible avec les besoins de la nature, ceux des agriculteurs, et les nôtres.
À l’heure où six des neuf limites planétaires ont d’ores et déjà été dépassées, le système alimentaire dominant en étant une des causes, il est plus que temps de mettre un terme à la folie des industriels qui, en à peine plus d’un siècle, nous ont amenés au bord du gouffre. Et si on évitait le grand saut ?
– Elena M.
Photo de couverture : Pixabay
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