Pour The Conversation France, la chercheuse Fanny Verrax a suivi la conférence de presse d’IMERYS, l’entreprise qui projette d’exploiter des carrières de mica de l’Allier afin de produire du lithium, un matériau essentiel au déploiement des voitures électriques. En mettant en perspective les discours officiels avec son expertise sur les mines, elle pose une question essentielle : une mine responsable, est-ce un contresens sémantique ou un projet réalisable ?
Difficile d’atterrir à Échassières sans avoir une bonne raison pour cela. Ce village de l’Allier est à 50 km de la première gare Intercités et ne présente, au premier coup d’œil, aucune attraction notable. Mais Échassières est désormais devenue une destination incontournable des journalistes régionaux comme nationaux.
En cette matinée de mars, ils sont une vingtaine à assister à la conférence de presse du groupe Imerys concernant le projet de mine de lithium EMILI (Exploitation de Mica LIthinifère), suivie de la visite de l’actuelle carrière de kaolin, une argile blanche utilisée notamment pour l’industrie papetière et céramique, dont Imerys est ici l’exploitant en plus d’en être le premier producteur mondial.
Professeure associée en transition écologique et entrepreneuriat social à l’Emlyon Business School collaborant à The Conversation France, je suis parmi ces journalistes venus de Lyon ou de Paris et j’ouvre grand les oreilles.
Car ce qui se joue à Échassières dépasse largement ses 373 habitants. Ce projet de mine de lithium est présenté comme indispensable à la transition énergétique, ce métal étant principalement utilisé pour les batteries Li-ion des véhicules électriques. S’il se concrétise, ce projet serait également la première mine ouverte en France depuis près de 50 ans dans un contexte de réforme du code minier, et d’assouplissement controversé des garde-fous environnementaux, sanitaires et démocratiques.
Mine verte ou responsable ?
Conscient des questionnements sur les conséquences environnementales du projet, un représentant d’Imerys commence par concéder devant les journalistes : « La mine verte n’existe pas. Mais avec la mine responsable, nous pouvons néanmoins essayer de minimiser les impacts. »
Pour pouvoir se réclamer de ce concept de mine responsable, Imerys met en avant plusieurs engagements volontaires : protection de la biodiversité avec act4nature, et respect de la norme IRMA (Initiative for Responsible Mining Assurance), une norme de performance volontaire créée en 2006, ayant le mérite de rassembler toutes les parties prenantes (entreprises minières, acheteurs, investisseurs, ONG, syndicats, communautés affectées).
Seul bémol : La première étape de la démarche IRMA est une auto-déclaration, et une entreprise minière peut donc se réclamer de la norme IRMA sans se soumettre à un contrôle externe. Par ailleurs, les audits sont parfois bâclés par manque de temps, quand ils ne sont pas édulcorés en raison de conflits d’intérêts
Si le seul label IRMA ne garantit donc pas de bonnes pratiques environnementales ou sociales, qu’en est-il de la législation française ?
À Échassières, IMERYS ne manque pas de revendiquer une responsabilité environnementale et sociale qui serait garantie par le respect des standards européens, et plus encore, du respect du « cadre réglementaire français, parmi les plus stricts au monde ».
Je ne peux alors m’empêcher de penser à ce rapport de l’OCDE montrant que la France est nettement en-dessous de la moyenne des pays de l’OCDE concernant la sévérité de sa politique environnementale. Je pense surtout au rapport de GEODERIS (Groupement d’Intérêt Public (GIP) constitué par le ministère de la transition écologique et solidaire, le BRGM et l’INERIS) identifiant en France 28 « sites de déchets miniers désaffectés ayant des incidences graves sur l’environnement ou risquant, à court ou à moyen terme, de constituer une menace sérieuse pour la santé humaine ou l’environnement. »
Bref, le seul respect de la réglementation française n’est pas pour me rassurer. Mais justement, l’entreprise affirme aller au-delà du cadre réglementaire, en ayant effectué un certain nombre de « choix structurants » garantissant la qualité environnementale du projet.
Des « choix structurants »
« Si on veut que ce projet fonctionne, on sait qu’on doit le faire différemment. C’est pour ça que dès le début, nous avons effectué des choix structurants » affirme Alan Parte, vice-président des projets lithium du groupe.
D’abord celui d’une mine souterraine répartie autour de trois sites : l’extraction du mica à Échassières, sous l’actuelle carrière de kaolin, et sa concentration à Beauvoir, d’où il est ensuite envoyé 17 km à l’est vers une « plateforme de chargement » près de Saint-Bonnet de Rochefort avant d’être expédié par voie ferrée vers « La Lou », dans l’agglomération de Montluçon, où se trouverait un site de conversion en hydroxyde de lithium.
Pour transporter le concentré de mica entre Beauvoir et Saint-Bonnet de Rochefort, Imerys a fait le choix de canalisations souterraines, ce qui permettrait d’éviter l’équivalent d’une centaine de poids lourds par jour.
Ainsi pensée, la mine souterraine à Échassières présente de fait plusieurs avantages, indéniables, par rapport à une mine à ciel ouvert de taille équivalente : une emprise au sol moins importante, le concassage en souterrain qui permet de limiter les nuisances sonores ainsi que l’impact visuel.
Quant à la gestion des résidus miniers, il n’est pas prévu de mobiliser de surface supplémentaire pour les stocker. Comment cela est-il possible ? En valorisant les sous-produits issus de l’extraction de mica lithinifère (notamment le feldspath pour la filière du carrelage et de la céramique), et en procédant à un remblaiement souterrain progressif de la mine (à hauteur de 800 000 tonnes) et de la carrière de kaolin actuelle (pouvant accueillir environ 500 000 tonnes).
Enfin, concernant le point le plus sensible du projet, l’approvisionnement en eau, l’entreprise explique que grâce à un dispositif innovant, 90 % de l’eau serait recyclée dans un circuit fermé, voire 95 % d’après des chiffres plus récents communiqués par l’entreprise. Pour les 10 % restant, soit 1,2 million de m3 d’eau par an, la moitié serait prélevée de la station des eaux usées de Montluçon, et l’autre moitié (600 000 m3) prélevés chaque année dans la Sioule, une rivière à 30 km d’Échassières, ce qui ne représenterait qu’1/1000ème de son débit moyen, et 1/100ème en cas de sécheresse, un ratio qui a de quoi rassurer les élus et les habitants.
Un transport par canalisation et par fret ferroviaire plutôt que par route, une mine souterraine, des déchets miniers utilisés pour remblayer, et une gestion quasi-circulaire de l’eau : voilà donc les principaux arguments, les fameux « choix structurants » qui permettent à Imerys de qualifier le projet de mine de « responsable ». Ces choix représentent un surcoût d’environ 20 % du coût total des opérations – j’apprendrai plus tard dans la conversation que l’entreprise espère obtenir des subventions publiques a minima à hauteur de ces 20 %, une information qui est peu mise en avant.
Après cette présentation institutionnelle, qui se veut rassurante, vient le temps des questions, dont beaucoup ne trouveront pas de réponse satisfaisante.
Pour suivre au plus près les questions environnementales, retrouvez chaque jeudi notre newsletter thématique « Ici la Terre ». Abonnez-vous dès aujourd'hui.
Questions sans réponses
Reprenons deux des principaux arguments : une gestion responsable des déchets miniers et de l’approvisionnement en eau.
Quand on parle de déchets miniers, on distingue les stériles, les roches trop pauvres, écartées pour accéder au gisement d’intérêt, et les résidus miniers, qui sont issus du traitement du minerai.
D’après le dossier du maître d’ouvrage, chaque année EMILI génèrerait :
1 350 000 tonnes de stériles et résidus de concentration sur le site de Beauvoir
600 000 à 800 000 tonnes de résidus solides sur le site de l’usine de conversion de Montluçon
Les stériles et résidus de Beauvoir seraient utilisés comme remblais progressif de la carrière de kaolin et de la mine à Echassières. Mais quid des résidus miniers issus de l’usine de conversion de Montluçon, qui seront nécessairement les plus toxiques, puisque leur traitement requiert de grandes quantités d’acide sulfurique ?
Il faut qu’une journaliste pose spécifiquement cette question pour que ces résidus fassent leur apparition dans le discours de l’entreprise. La réponse se veut pourtant toujours rassurante : « Oui, on les acheminera par train, à raison de trois aller-retour par jour ». « Mais vers où ? » – un silence gêné s’installe. « On ne sait pas encore, nous sommes en train de chercher ». Le Dossier du Maître d’Ouvrage ne nous en apprend pas plus, mais précise que ces 600 à 800 000 tonnes annuelles « seraient si possible valorisés ou utilisés en réhabilitation de carrières existantes », qu’il s’agit donc de trouver. Par un tour de passe-passe sémantique, une zone de décharge de résidus miniers toxiques se retrouve ainsi transformée en « réhabilitation de carrière ».
Quant à l’eau, en admettant que le procédé de recyclage à hauteur de 90 % fonctionne, les chiffres annoncés par Imerys permettent de faire le calcul suivant : si les 10 % restant représentent 1,2 Million de m3, le volume global d’eau nécessaire devrait être de 12 Millions de m3, et l’entreprise devrait avoir un approvisionnement initial en eau de cette taille. Mais d’où viendrait cette eau ?
Je me rapproche pendant le déjeuner du géologue en charge du projet et lui pose la question. Il a l’air surpris et m’assure n’avoir jamais entendu ce chiffre. Il me propose de poser la question à son collègue en charge des études environnementales, ce qu’une collègue journaliste s’empresse de faire. Le salarié semble tout aussi surpris, et affirme : « Je ne sais pas, nous n’y avons jamais réfléchi ».
Deux mois plus tard, l’entreprise publie un complément d’information sur le site de la Commission Nationale du Débat Public (CNDP). Il ne s’agit plus alors de 12 millions, mais de 20 millions de m3 d’eau nécessaires au bon fonctionnement de l’usine de concentration, qui seront prélevés sur différents bassins versants, « bien au-delà du massif de la Bosse. » Je ne peux m’empêcher de m’interroger : cette information aurait-elle été communiquée si nous ne leur avions pas posé la question ?
De l’ingénierie de la promesse à la rhétorique du projet
Les sciences sociales ont bien documenté une ingénierie de la promesse dans le contexte du renouveau minier, pour décrire la façon dont des acteurs privés utilisent des gammes d’arguments et des narratifs différents pour convaincre tantôt des investisseurs qu’il s’agit de projets rentables, tantôt des populations et des élus qu’il s’agit de projets de développement du territoire soutenables.
Si cette ingénierie de la promesse se retrouve sans aucun doute dans le cas du projet EMILI, on peut lui adjoindre une autre stratégie de communication, que l’on pourrait nommer la rhétorique du projet : chaque fois qu’une question d’ordre environnemental appelant légitimement une réponse est soulevée, l’absence de réponse technique est présentée comme un gage de l’ouverture de l’entreprise et de son adhésion au processus démocratique du débat public : « si on avait réponse à tout, c’est que le projet serait déjà entièrement ficelé ».
Les zones d’ombre les plus inquiétantes doivent donc, tour de passe-passe incroyable, être interprétées plutôt comme un gage que le champ des possibles reste ouvert, et qu’il s’agit bien d’un projet auquel la population peut participer en donnant son avis. Gage qui se matérialise également dans la langue : tous les acteurs font bien attention à parler du projet de mine au conditionnel, et non au futur. Et comme la différence ne s’entend pas toujours à l’oral, la directrice de la communication, Claire Garnier, insiste parfois : « je ferais, A-I-S, hein ? »
Un projet en cours, soit. L’entreprise ne dit rien, en revanche, des intérimaires qui ont parcouru le territoire durant l’été 2023 pour sonder l’acceptabilité sociale du projet auprès des riverains, notamment à Saint-Bonnet de Rochefort, une commune majoritairement opposée au projet.
Jacques Morisot, habitant de Saint-Bonnet qui a été interrogé dans ce cadre, explique qu’il s’agissait d’« une technique de « sondage » bien ficelée pour pouvoir argumenter ensuite sur le fait que la population n’est pas vraiment opposée mais, plutôt en attente de quelques réponses techniques. » En effet, les questions fermées ou à choix multiples ne permettent que peu aux sondés d’exprimer leurs doutes. Pour Jacques Morisot, ce « questionnaire partial » commandité par l’entreprise Imerys de façon confidentielle s’apparente à une « transgression au débat public. »
À lire aussi : Mine de lithium dans l’Allier : l’importance du passé minier dans l’accueil local du projet
Un débat asymétrique
Après le déjeuner, nous allons visiter la carrière actuelle de kaolin. Une jeune géologue d’Imerys nous montre une carotte de mica lithinifère. Elle est enthousiasmée par le projet, et plus encore, par le fait qu’il soit en France.
« Quand on est géologue, on sait qu’on va devoir partir loin. C’est inespéré pour moi de pouvoir exercer mon métier en France. »
Plusieurs journalistes notent ses propos : la relance minière, c’est aussi ça, relocaliser des emplois pour lesquels la France offre toujours une formation d’excellence, mais peu de débouchés professionnels ensuite, faute de mine.
Un journaliste pose alors une question :
Donc ça, c’est une carotte de lithium ?
Euh non, pas exactement, c’est une carotte de mica qui contient du lithium.
Mais il est où ? Je ne le vois pas !
C’est que, comme pour la plupart des « métaux de spécialité », la teneur en métal est faible. En l’occurrence, le mica d’Échassières contient de l’oxyde de lithium à hauteur d’environ 0,9 %. Le journaliste a l’air déçu, peut-être s’attendait-il à voir des lingots de lithium ? Cette anecdote met surtout en évidence un élément essentiel : l’irréductible asymétrie du débat.
Si Imerys n’a pas l’habitude en effet d’être sous les projecteurs, l’entreprise maîtrise en revanche la partie technique du projet bien mieux que la majorité des parties prenantes, et pour cause : quel journaliste, quel élu, quel riverain peut se targuer de comprendre les aspects techniques du projet au moins aussi bien que des ingénieurs et géologues formés et travaillant à temps plein sur le sujet ?
Si Imerys n’est bien sûr pas responsable de l’asymétrie du débat, on pourrait en revanche attendre de l’entreprise qu’elle avance clairement tous les éléments du dossier, sans attendre la question technique ou critique qui aurait pu ne jamais être posée.
À lire aussi : Mine de lithium dans l’Allier : un débat déjà tranché ?
Une conception très étroite de la responsabilité
A la rhétorique du projet et au maintien volontaire d’un débat asymétrique s’ajoute enfin un dernier élément dans la stratégie de déresponsabilisation, puisqu’Imerys refuse d’entrer dans le débat sur les usages du lithium qu’elle commercialisera(-it !).
Au début de la conférence de presse, l’entreprise a commencé par rappeler qu’en France, 30 % des émissions de gaz à effet de serre viennent du transport, et qu’il n’y a « pas beaucoup d’autres possibilités pour la mobilité » que de construire des batteries pour des voitures électriques.
En deux phrases, on a glissé de la description à l’opinion, du registre descriptif au registre normatif. Oui, c’est vrai, la mobilité reposant essentiellement sur des véhicules thermiques individuels comme c’est le cas aujourd’hui est insoutenable, mais non, la seule alternative n’est pas de remplacer toutes les voitures thermiques par des voitures électriques, une option qui n’est de toutes les façons pas viable au niveau mondial, quand on sait qu’il y a près d’1,5 milliard de voitures en circulation.
Imerys ajoute néanmoins que « l’électrification n’est pas antinomique avec une réflexion sur les usages », sans pour autant souhaiter s’engager dans cette réflexion, ni pendant la conférence de presse, ni lors de l’ouverture du débat public qui a eu lieu la veille.
Pour rappel, la justification omniprésente et univoque du projet EMILI est de fournir le lithium nécessaire à 700 000 véhicules électriques par an afin de participer à la transition énergétique.
Ce chiffre a été obtenu à partir d’un poids moyen des véhicules et des batteries actuellement sur le marché. Or on sait que le lithium nécessaire pour une batterie de grosse berline ou de SUV (10 kg) est deux fois supérieur au lithium nécessaire pour une citadine de poids moyen (5 kg). Poids qui est lui-même 100 fois supérieur au lithium nécessaire pour une batterie de vélo électrique (50 grammes). La mine de lithium d’Imerys pourrait ainsi servir à équiper annuellement 700 000 voitures électriques, ce qui en 25 ans représenterait moins de la moitié du parc automobile français à usage constant, ou alors par exemple 500 000 voitures électriques, et 20 millions de vélos électriques, ce qui participerait d’une transition énergétique soutenable au niveau européen et prenant en compte les autres contraintes physiques de la transition (consommation d’électricité, approvisionnement en autres métaux).
Mais ces trajectoires alternatives de la transition sont invisibilisées, et ni l’État, ni Imerys ne souhaitent les mettre en débat.
Dans ce contexte, la position d’Imerys peut bien sûr être considérée en partie comme légitime, dans la mesure où la question des usages finaux concerne les clients des clients d’Imerys, qui, comme l’immense majorité des entreprises minières, commercialise ses produits en « B2B2B2C », c’est-à-dire avec plusieurs intermédiaires entre l’entreprise et le client final. Mais refuser d’entrer dans le débat sur les usages du métal que l’on extrait, c’est participer d’un phénomène de dilution de la responsabilité qui ne peut en aucun cas être considéré comme compatible avec un projet de « mine responsable ».
Si les « choix structurants » opérés par Imerys permettent en effet de réduire une partie des nuisances, notamment sonores et visuelles du projet EMILI, un projet de mine véritablement responsable s’appuierait également sur ces trois autres piliers que sont : une transparence de l’information permettant aux parties prenantes de s’approprier le sujet sans avoir à « débusquer » les éléments techniques les plus problématiques ; des réponses claires apportées sur la gestion de l’eau et des résidus miniers dès le début du débat public, sans dissimuler les zones d’ombre derrière une rhétorique du projet faussement démocratique ; enfin et surtout, une mise en débat des usages du lithium avec tous les acteurs du territoire, et plus largement, au niveau national et européen.
Fanny Verrax a été membre puis présidente de l'association SystExt (2017-2020), mentionné dans l'article. Elle est intervenue comme experte dans le cadre du débat public organisé par la CNDP en avril 2024.