L’hydrologie (du grec hýdōr, « eau » et lógos « étude ») est une discipline incontournable face au dérèglement climatique, tandis que l’eau est au cœur de tensions légitimes. Pour mieux comprendre cette discipline, rencontre avec des spécialistes en hydrologie et en agro-écologie, résolus à transmettre leurs savoirs sur l’eau au plus grand nombre afin d’envisager ensemble les solutions pour mieux gérer cette ressource précieuse, en voie de privatisation.
Le mois d’avril est déjà bien entamé et les niveaux de plusieurs nappes phréatiques sont à un seuil critique dans des régions que l’on croyait pourtant épargnées par la sécheresse, comme en Normandie.
L’agriculture étant le premier secteur consommateur en eau, il représente en outre un volet prioritaire en matière de gestion d’eau ; volet qu’il est crucial de mieux connaître pour lui trouver des alternatives. Toutefois, ce travail d’adaptation ne doit absolument pas éclipser l’importance d’attaquer les problèmes à la source : qu’il s’agisse du réchauffement climatique causé par l’activité humaine thermo-industrielle, du gaspillage de l’eau, de sa privatisation criminelle par des méga-entreprises ou de son accaparement par des installations inégalitaires.
Tout en luttant contre ces fléaux systémiques, quelques pistes d’hydrologie régénérative peuvent ainsi s’avérer potentiellement complémentaires, introduites pour nous par plusieurs chercheurs et chercheuses. Tour d’horizon rapide, à poursuivre.
Qu’est-ce que l’hydrologie régénérative ?
Alain Malard investit ce qu’il appelle l’hydrologie régénérative : « une science de la régénération des cycles d’eau appliqués à l’agriculture ». Initialement technicien en viticulture dans une coopérative agricole d’approvisionnement, puis gérant dès 1994 de sa propre entreprise en viticulture et œnologie, il met un point d’honneur à prévenir les risques parasitaires en vue de réduire l’utilisation de produits phytosanitaires :
« Je voulais que les gens arrêtent de traiter chimiquement leur production. Au hasard de mes lectures, dès 2005, je me suis intéressé à la permaculture. Je me renseigne alors sur l’hydrologie régénérative que j’applique désormais quotidiennement. L’hydrologie régénérative se focalise d’abord sur la circulation de l’eau. Celui qui met en place ce système agricole naturel réfléchit à la manière de canaliser le flux de l’eau, de la ralentir, de l’infiltrer, pour réduire la perte d’eau lors des différentes manœuvres agricoles ».
Marine Riffard-Chenet travaille autant pour des ingénieries de conception de grands aménagements hydrauliques que sur des projets liés à la gestion de l’eau et à l’adaptation des pratiques et usages. « Hydrologue de terrain et de bureau », elle constate l’avantage, voire le privilège, d’avoir accès en France à des données précieuses et indispensables dans la compréhension des systèmes : « Les réseaux de mesure sont denses et bien entretenus en Europe. Dans d’autres pays, c’est une catastrophe par manque de moyens et de stabilité pour les organismes de suivi météorologique. Nous devons acquérir des données et les partager avec la communauté ».
Docteure en géosciences appliquée dans la caractérisation hydrothermale des volcans, Cécile Savin est fondatrice d’un bureau d’études spécialisé dans l’imagerie du sous-sol pour identifier les niveaux d’eau. Elle est désormais présidente de l’ADAF, association drômoise d’agro-foresterie qui intervient dans la plantation d’arbres et dans le domaine de l’agriculture régénérative : « Le problème majeur est l’eau qui tombe de manière intense et concentrée sur de très courtes périodes. Cette eau, à cause de plusieurs facteurs, ne s’infiltre plus suffisamment et durablement pour recharger les nappes phréatiques » surligne Cécile.
Les différents visages de l’hydrologie permettent de comprendre à quel point l’expertise est vaste et complexe, mais cruciale, abordant de multiples dimensions invisibles du cycle de l’eau, notamment ses causes à effets, au sein d’un réseau déjà fortement influencé par l’être humain.
Keyline design, sous-solage… Exemples d’économie d’eau.
Simon Nocard, ingénieur de formation, travaillant dans le génie énergétique puis en reconversion dans la permaculture, a découvert au Mexique une méthode d’aménagement des espaces : le keyline design, une pratique agricole qui permet de limiter les érosions en suivant les courbes de niveaux d’eau. Il s’agit d’étudier la topographie du paysage pour repenser la gestion hydraulique du lieu en fonction de son climat et de ses reliefs, notamment en créant un réseau de marres, de chemins, de tranchées, parfois arborées afin de consolider les sols, et en y adjoignant – selon les besoins – agro-foresterie ou pâturages alternés et autres activités en vue de réinstaurer un écosystème complet (biomimétisme).
Cette découverte depuis l’autre côté de l’Atlantique est un premier pas dans la mise en place, plus tard, de ce dispositif en France : « C’est d’abord au Rancho San Ricardo que j’ai accompagné des projets autour de l’agro-écologie en ayant recours à l’hydrologie. Le Rancho est une ferme pionnière qui investit le keyline design. En 2016, elle est en partie déjà implantée. C’est beaucoup plus tard, que je mets en pratique ce que j’avais appris, en France. Nous avons pu appliquer ces principes d’hydrologie par le biais de projets de moyenne à grande envergure avec l’association et bureau d’études Permalab».
Si la discipline semble prendre en popularité, elle repose en réalité sur des structures hydrologiques pensées depuis des millénaires.
Dans le Sud de la France, on retrouve des vestiges de restanques qui sont des terrasses maintenues par des murs de pierre. L’excédent d’eau de ces terrasses alimentait des petits fossés et les parcelles en dessous. Ces fossés canalisaient souvent l’eau vers la zone la plus basse disposant d’un puits. En ce sens, la technique du bassin versant, associée aux keylines, permet de définir l’espace qui entoure un cours d’eau et d’anticiper les trajectoires des ruissellements de la pluie pour mieux la disperser.
Simon Nocard évoque une autre pratique : « On peut aussi recourir au sous-solage : une charrue va agir sous le sol en creusant plein de microsillons pour drainer les sols, sans les retourner, et permettre l’infiltration de l’eau. Il existe d’autres micro ouvrages qu’on a installé en France pour intercepter l’eau : des fossés fragmentés, des petits murets, des marres, des zones humides,… C’est tout un paysage agricole qu’on est contraints d’aménager ».
Permalab a ainsi créé des micro ouvrages de ce type dans la Drome, le Var et l’Ain : « C’est par l’amélioration du sol que nous pouvons mieux irriguer. Pour moi, il y a un triptyque fondamental à respecter qui est : eau, sol, arbre. Cela va de pair avec les pratiques de l’agronomie liées à la gestion du sol et avec l’agro-foresterie pour tout ce qui concerne les arbres. Il faut avancer sur les trois plans en même temps pour que ce soit efficace ! ».
En aval : la mauvaise gestion globale de l’eau entraîne sécheresses et inondations
« En France, on a longtemps cru que l’eau serait abondante pour toujours. Aujourd’hui, on voit que cela n’est pas le cas » -Marine Riffard-Chenet
L’artificialisation des sols, leur perte en matière organique et les pompages excessifs en profondeur, printemps comme été, sont quelques-unes des causes du dérèglement du cycle de l’eau dont nous subissons de plus en plus les conséquences.
La perte de végétation entraîne également de nombreux dégâts sur l’équilibre des écosystèmes.
Le système racinaire est pourtant la clé de la régénération hydrique des sols : « Souvent, on pense que des sources ne coulent plus mais en fait, si l’on creuse au niveau des racines, on peut retrouver de l’eau ! Les arbres et la végétation produisent de l’eau en évapotranspirant. Ainsi, on peut générer de l’eau avec des couverts végétaux tels que les pois et le fourrager. Si les couverts sont suffisamment denses, ces zones vont accélérer la création d’eau par condensation, au printemps. Plus les racines seront profondes, plus on stockera d’eau en profondeur et plus elle remontera à la surface ».
Alain alerte ainsi à propos des fabricants de semences qui adoptent une position problématique en réduisant le système racinaire des plantes pour augmenter le rendement des cultures…
En été, des arbres avec des grandes racines comme le Murier blanc peuvent alimenter en eau, par capillarité, jusqu’à 15 mètres à la ronde autour de lui, tout comme le Saule. Encore faut-il avoir déjà mis en place ce système régénératif.
Et c’est aussi le constat sans détour de Marine Riffard-Chenet : « A trop vouloir dompter les systèmes naturels, on les dérègle, et les conséquences peuvent être désastreuses. Nous devons nous adapter et utiliser ce que la nature nous offre en quantité et en cyclicité au moment où elle nous l’offre. En France, on a longtemps cru que l’eau serait abondante pour toujours. Aujourd’hui, on voit que cela n’est pas le cas ».
D’après Simon Nocard, nous pourrons mieux gérer l’irrigation et le stockage de l’eau en mettant en pratique une gestion solidaire de l’eau : « J’ai justement sous-titré une vidéo qui se passe en Inde où l’on voit que la population est concernée par des gros problèmes de manque d’eau. Ils ont mis en place un plan en creusant des fossés dans tout le bassin en amont. D’une année à l’autre, de l’eau est à la fois stockée en surface et en sous-sol pour une activité agricole plus régulière ». Un avantage en période de mousson.
L’eau, un bien commun à protéger grâce à l’hydrologie
« Stocker l’eau là où elle tombe est la démarche à suivre. On pourra installer autant qu’on veut des retenues comme les bassines de Sainte Soline, mais rien ne remplacera une véritable réflexion globale du paysage agricole et de son irrigation ! Pour moi, il y a de grandes différences entre puiser l’eau en profondeur dans les nappes phréatiques et penser en amont tout un système hydrologique » rétorque Alain Malard.
Sans compter la pollution de l’eau. Alain a en effet pu observer que, depuis le début des années 90, les réglementations ont tout de même permis un meilleur contrôle : « J’ai connu la viticulture dans les années 80. On avait recours à des produits comme l’arsénite de sodium, dérivé de l’arsenic. Le parathion métyl tuait tous les insectes et parfois même les vignerons qui finissaient par développer un cancer. Depuis le début des années 90, les choses ont peu à peu changé avec plus de règles mises en place ».
Et malgré des perspectives peu reluisantes, ces passionnés d’hydrologie restent plutôt optimistes sur l’avenir de la gestion de l’eau. Marine Riffard-Chenet l’est par la force des choses et parce qu’elle se rend compte que nous commençons à prendre conscience qu’il faut préserver la ressource en eau : « Je crains plus la lenteur de la prise de conscience des décideurs et des politiques. Avec des actions immédiates et une réglementation forte, on pourrait probablement changer notre trajectoire assez rapidement » s’exclame-t-elle.
Cécile Savin est aussi de cet avis. Elle déplore le manque d’action des institutions pour remodeler l’ensemble du territoire en fonction d’un découpage par bassins versants et non pas en fonction des tracés territoriaux. Elle questionne également leurs priorités, soulignant que les avancées techniques comme la création de semences génétiquement modifiées poussant avec peu d’eau en viennent à remplacer des solutions naturelles telle que le développement de cette agriculture régénérative.
A l’image des stations d’épurations insuffisantes pour traiter l’eau si la végétation n’est plus présente, il devient plus que nécessaire de s’attaquer au problème de fond de régénération hydrique des écosystèmes paysagers et agricoles au plus près du fonctionnement naturel des sols et des cycles. En d’autres termes, choisir enfin les solutions respectueuses, locales et de long-terme, plutôt qu’économiques, rentables et de court-terme.
– Audrey Poussines
Illustration de couverture @Milkwood.net/McGaffin_IrrigationStop – Flickr
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