On a vu récemment plusieurs pays remettre en cause leur constitution et appeler à l’écriture de nouvelles règles suprêmes. C’est par exemple le cas au Chili où le peuple a réclamé un changement. La France, quant à elle, est cependant toujours régie par le même vieux texte de 1958, constitutif de la Cinquième République.
La légitimité de la Cinquième République peut être aujourd’hui largement questionnée. D’abord, parce qu’elle a plus de six décennies d’exercice. Ensuite, parce que sa Constitution n’a pas été écrite de manière démocratique, mais par une petite minorité de hauts fonctionnaires. Enfin, parce que son contenu ne semble pas en phase avec les enjeux d’aujourd’hui.
Un texte vieux de 64 ans
Si l’on voulait faire une pointe d’humour, on pourrait dire qu’à cet âge, il serait largement temps de partir à la retraite. Et pourtant, notre constitution, mise en place il y a plus de 64 ans, est bien toujours en vigueur aujourd’hui.
Certains diront qu’elle est parfaitement légitime, après avoir été votée à l’époque par plus de 31 millions de Français lors d’un référendum. Pour autant, notons que la plupart des Français de 2023 n’ont pas participé à ce scrutin. Rien de surprenant puisque pour l’avoir fait, il faut être âgé d’au moins 86 ans. Or, aujourd’hui, il n’y a à peine plus que 1,6 million de Français de plus de 85 ans. Il est de plus impossible de savoir la part de personnes ayant voté contre dans la population encore en vie.
Toujours est-il que le pourcentage de citoyens en vie ayant validé cette cinquième république ne doit guère excéder les 2,5 % des Français. Il est pourtant indispensable qu’une Constitution soit approuvée au minimum par la majorité de la population. Or, un sondage de 2021 indiquait que 63 % des interrogés souhaitaient passer à une sixième république. Il est vrai qu’il n’y a sans doute plus aucune logique à ce que nous soyons dirigés par un texte écrit et accepté par des personnes d’un autre temps.
Un manque criant de démocratie
Même si l’on se réfère à l’époque de la mise en place de notre loi suprême, il y a de quoi pester sur l’absence d’intervention populaire dans la rédaction de ce texte. Et cette critique n’est d’ailleurs pas propre à la France. Classiquement, une constitution démocratique est conçue par une assemblée constituante composée de représentants du peuple. Ceux-ci peuvent être tirés au sort ou élus, comme ce fut le cas pour l’élaboration de la quatrième république en 1946.
Mais dans le cas du texte encore en vigueur aujourd’hui, il n’y a tout simplement jamais eu d’assemblée constituante. À l’inverse, c’est un petit groupe autour du Général de Gaulle et de Michel Debré qui s’était chargé de sa construction. À l’époque, il est d’ailleurs surtout question de répondre en urgence à l’instabilité créée par la guerre d’Algérie. Personne n’imaginait alors que ce document serait toujours d’actualité au vingt et unième siècle. Toujours est-il que, même si elle a été validée par référendum, cette constitution n’a aucune légitimité puisque ce n’est pas le peuple qui l’a rédigée.
En réalité, confier aux personnes à la tête de l’État le soin de concevoir les règles suprêmes de notre pays équivaut à un véritable suicide démocratique. En effet, la constitution devrait avant tout protéger les Français des abus de ses représentants. En d’autres termes, elle fixe les limites à ne pas franchir dans l’élaboration des lois.
Une monarchie présidentielle
En ne passant pas par une assemblée constituante populaire, on a donc logiquement abouti à un texte qui confère énormément d’autorité aux élus. Dans ce cas précis, il est d’ailleurs extrêmement concentré sur la personne du président de la République. À tel point que beaucoup d’observateurs ont qualifié notre système de monarchie présidentielle. Il faut dire que fondamentalement, le chef de l’État dispose en effet de pouvoirs considérables.
Bien qu’en théorie les pouvoirs exécutif (le gouvernement) et législatif (l’assemblée) sont totalement indépendants l’un de l’autre, le second est dans les faits complètement soumis au premier. Tout au moins si la majorité des députés sont de la même couleur que le chef de l’État, comme ce fut le cas dans la précédente mandature.
Seul le Conseil Constitutionnel veille au bon respect de la Constitution, mais tant qu’il reste dans le cadre de la Cinquième République, le président dispose presque de toute liberté. Il en résulte par exemple que la composition même du Conseil Constitutionnel est à l’image de la majorité présidentielle.
L’attente d’un homme providentiel
Le gros problème de ce système, avec un chef de l’État tout puissant, c’est aussi qu’il biaise complètement les élections par une hyper personnalisation du scrutin. On ne vote pas pour les idées d’un candidat, mais pour sa personne.
Un mode d’action absurde puisqu’il est impossible de connaître réellement les candidats. Nous nous fions simplement à l’image que nous construisons à partir de ce qu’ils laissent transparaître ou de par le portrait qu’en brossent les médias.
En se focalisant sur l’individu, on s’intéresse beaucoup moins à son programme. Or ce raisonnement va à l’inverse d’une décision éclairée. Ainsi un personnage très charismatique ou décrit positivement par les médias, mais avec de mauvaises idées aura beaucoup plus de chances qu’un candidat avec un bon projet, mais transparent ou représenté comme antipathique par la presse.
Changer pour se protéger
La situation est d’autant plus terrible que le gouvernement n’a aucun compte à rendre pour ses actions, ni devant le parlement, ni face aux électeurs. Cet état de fait laisse donc la porte ouverte à toute sorte de lois contraires à l’intérêt général, plongeant un peu plus de gens dans la misère chaque année.
Or, avec une constitution solide et écrite par une assemblée populaire, les Français pourraient se protéger de ce genre de mésaventure. Imaginons, par exemple, que la retraite à 60 ans soit établie comme un droit constitutionnel et qu’il devienne impossible de modifier les lois suprêmes sans référendum.
Alors, y compris avec un gouvernement malfaisant aux manettes, il serait très compliqué d’attenter à cet acquis. De la même façon, avec une sixième république démocratique, il serait envisageable de sacraliser toute sorte d’avantages semblables : référendum d’initiative citoyenne, IVG, temps de travail, mesures de défense de l’environnement, revenus garantis, etc.
Un besoin de renouveau
Cette volonté de démocratie grandissante se constate d’ailleurs chaque jour un peu plus au sein de la population. On l’a particulièrement vu chez les Gilets jaunes pour qui le RIC était devenu une revendication majeure.
Mais on peut également le constater par divers signaux d’alerte. L’explosion de l’abstention est sans doute l’un des principaux indicateurs. Au moment où les citoyens se désintéressent chaque jour un peu plus de la politique et où la résignation ne fait que grandir, il devient donc urgent de tout faire pour impliquer de nouveau un maximum de personnes. Un processus qui passe nécessairement par plus de démocratie, et impérativement par l’abolition de la Cinquième République.
– Simon Verdière
Photo de couverture : Rassemblement populaire Nuit debout place de la République à Paris en avril 2016.
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