La gestion des déchets est un problème majeur dans de nombreuses villes à travers le monde, en particulier dans plusieurs pays en voie de développement, dont l’Inde. À Bengaluru (plus communément connu sous le nom de Bangalore), le collectif citoyen « The Ugly Indian » s’est emparé du problème et nettoie les rues et les trottoirs de la ville.
En Inde, l’intensité de problème de la gestion des déchets est particulièrement évidente, surtout dans les grandes villes où la population est confrontée à des tas d’ordures sur les trottoirs ou au coin des rues. En cause, les habitants qui y déposent leurs déchets, ainsi que le manque de personnel et de ressources des systèmes de collecte.
Ces amoncellements d’ordures dégradent et polluent les environs, une situation parfois aggravée par l’incendie des déchets. Ils attirent également des animaux errants tels que des vaches, des rats et des chiens ; ce qui entraîne parfois des rencontres désagréables.
Au fil du temps, de nombreux programmes d’assainissement comme la campagne [« Inde propre »],(https://swachhbharat.mygov.in/) gérés par le gouvernement ont essayé d’améliorer les infrastructures sanitaires et de sensibiliser le public à l’importance d’un environnement propre.
Toutefois, beaucoup d’entre elles n’ont pas atteint leurs objectifs en raison d’une mauvaise mise en œuvre des programmes, d’un suivi inadéquat, d’une incapacité à garantir des changements de comportement et de défauts de conception qui n’abordent pas les problèmes sous-jacents, tels que le sans-abrisme, la pauvreté, les migrations urbaines massives et les inégalités sociales.
The Ugly Indian, initiative citoyenne de nettoyage
Frustrés par le manque de résultats du programme du gouvernement, certains groupes de citoyens se sont engagés dans des solutions participatives pour résoudre ce problème.
Une étude que j’ai réalisée présente une telle initiative dans la grande ville de Bengaluru. Cette initiative, menée par des bénévoles qui se font appeler par autocritique « TUI » (The Ugly Indian), a pour objectif d’éliminer et d’empêcher les ordures des rues et des trottoirs de cette ville indienne.
Pour cela, les bénévoles ont créé des événements appelés « spot – fix » ou « remis en beauté » pour améliorer l’apparence des lieux. Les bénévoles sont recrutés via les réseaux sociaux (notamment Facebook et Twitter). La plupart d’entre eux ne sont pas réguliers et ne participent qu’une ou deux fois aux spot-fixes qui ont lieu à côté de chez eux.
Concrètement, ils ramassent les ordures, nettoient les rues, peignent les murs et même parfois installent des pots de plantes. Immédiatement après les événements, des photos frappantes avant-après sont publiées sur les réseaux sociaux. Les lieux sont ensuite entretenus par des bénévoles locaux, qui veillent à ce que les endroits restent propres et à ce que toute dégradation supplémentaire soit évitée.
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Les spot-fixes ponctuels ne sont ainsi considérés comme des succès que s’ils restent propres pendant au moins 90 jours. Les commentaires sur la page Facebook indiquent parfois que certains endroits nettoyés se détériorent et que certains sont particulièrement difficiles à améliorer.
Ces discussions indiquent cependant que la plupart de ces endroits restent propres. En 2018, il était ainsi estimé que 400 spot-fixes avaient été effectués en trois ans et qu’environ 95 % d’entre eux sont restés propres.
Ces spot-fixes sont effectués dans différentes localités de la région municipale de Bengaluru. La fréquence peut varier, la page Facebook du groupe annonçant en moyenne deux ou trois événements par semaine. Parfois, des campagnes intensives peuvent viser à atteindre des chiffres plus élevés sur de courtes périodes.
Entre autonomie et normes implicites
Ces événements ont une organisation très sommaire, et les participants sont libres de faire ce qu’ils veulent avec très peu des contraintes. Mélange d’improvisation et de préparation en amont, il n’y a pas d’organisme central qui gère ces initiatives. Ces événements sont ainsi caractérisés par un sens de l’égalitarisme où la hiérarchie est largement absente.
Néanmoins, il existe des normes communes, qui garantissent la coordination de l’action des participants. Ils mettent par exemple souvent l’accent sur le slogan « Taisez-vous, on a du boulot », de telle sorte que les personnes qui s’engagent dans des discussions inutiles sont ignorées et se remettent rapidement au travail.
Il existe également des motifs communs entre les lieux, qui donnent une certaine uniformité aux actions. Par exemple, de nombreux spots présentent des couleurs comme le rouge brique et le blanc. Une autre couleur dominante est le bleu. Nous pouvons également observer la dominance de ces couleurs et des motifs géométriques similaires dans les spots nettoyés de toute la ville.
Ces normes ont évolué de multiples façons. Tout d’abord, beaucoup des mêmes participants se réunissent pour des spot-fixes dans différentes localités et reprennent des éléments similaires. Ensuite, les réseaux sociaux (qui servent de principales plates-formes de communication) présentent le travail et les résultats des événements précédents, ce qui permet de guider les attentes des participants potentiels. Enfin, les outils et les ressources comme les balais, les pinceaux, les peintures, etc. sont réutilisés d’un spot-fix à l’autre.
L’inclusivité grâce à l’anonymat
Les participants ont également une aversion pour l’autopromotion individuelle dans le cadre de cet effort. Bien qu’ils encouragent les médias à mettre en lumière leur travail, permettant d’attirer davantage de participants et de toucher différents quartiers de la ville, ils préfèrent rester des citoyens anonymes.
L’identité personnelle ou l’origine des participants n’est pas précisée dans les spots-fixes. De même, l’appartenance à des groupes plus importants tels que les partis politiques ou les groupes religieux n’est pas mise en évidence. Cela contribue à rendre ces événements ouverts à la participation d’une manière inclusive.
Un travail en coopération avec d’autres acteurs
En outre, le travail est effectué sans blâmer qui que ce soit, en collaboration avec les systèmes existants. Le personnel municipal responsable de la collecte des déchets dans la région est notamment consulté à l’avance des spot-fixes. Ils participent à l’événement et fournissent des ressources, notamment des véhicules utilisés pour l’enlèvement des ordures accumulées. Ainsi, les participants collaborent avec la collectivité et s’assurent de leur soutien.
Il existe également une collaboration avec des organisations locales telles que les sociétés coopératives de logement, les entreprises qui ont des bureaux à proximité et les bases des forces armées qui ont des résidences dans les environs. Toutefois, le matériel publicitaire de ces organisations n’est pas affiché sur le site de l’événement.
Grâce à ces différentes caractéristiques (participation ouverte, égalitarisme, autonomie, normes implicites, anonymat et coopération avec d’autres acteurs), les résultats sont satisfaisants, même avec peu de moyens et en peu de temps. Ces solutions ponctuelles, qui ont survécu à Bengaluru pendant plus de dix ans, inspirent d’ailleurs des efforts similaires ailleurs dans le pays. C’est pourquoi les commentaires sur les réseaux sociaux décrivent TUI comme une « idée » qui se répand, plutôt que comme une organisation.
Il est vrai que cette solution n’aborde pas le problème du traitement des ordures et ne résout pas le problème à la base. Cependant, les différences visibles dans la rue à la suite des réparations ponctuelles ont sensibilisé la population à la propreté des lieux publics.
Cela montre que les efforts communautaires avec très peu de ressources ou avec une organisation structurelle minimale peuvent parfois être efficaces et durables et avoir un impact important.
Jacob Vakkayil ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.