Table des Matières | Introduction | Chapitre 1 | Chapitre 2 | Chapitre 3 | Chapitre 4 | Chapitre 5 | Chapitre 6 |Chapitre 7 | Chapitre 8 |
La liste des activités criminelles qui gangrènent l’Afrique est bien plus longue que les chapitres qui composent ce guide. Le crime organisé se cache derrière les images terribles des milliers de personnes qui périssent en Méditerranée, la route migratoire la plus meurtrière à travers le monde. On le retrouve aussi derrière la tragédie des Africaines, femmes et jeunes filles, réduites en esclavage sexuel ou domestique. Avez-vous entendu parler des brouteurs ? Il s’agit de réseaux notoires de cybercriminels qui écument les cybercafés de certaines grandes villes en Afrique, semant la tragédie de l’autre côté de la ligne. Croyez-vous vraiment que le trafic de drogue soit la seule activité commerciale lucrative des organisations criminelles ? Et que dire de la contrebande de cigarettes, de la contrefaçon de marchandises et du vol d’antiquités ? Dans ce chapitre, nous évoquerons brièvement quelques autres activités criminelles et les meilleurs moyens d’enquêter à leur sujet.
Traite des êtres humains et trafic des migrants
L’Organisation internationale pour les migrations (OIM) définit le trafic des migrants comme “le fait d’assurer, afin d’en tirer, directement ou indirectement, un avantage financier ou un autre avantage matériel, l’entrée irrégulière dans un Etat partie d’une personne qui n’est ni un ressortissant ni un résident permanent de cet Etat”.
Quand on évoque de telles pratiques, on parle le plus souvent de traite des personnes ou de traite des êtres humains. L’OIM fait remarquer que d’autres délits y sont souvent associés, comme “la prostitution d’autrui ou d’autres formes d’exploitation sexuelle, de travail ou de services forcés, d’esclavage ou de pratiques analogues à l’esclavage, de servitude ou de prélèvements d’organes”.
Des travailleuses du sexe aux domestiques, en passant par les réfugiés et les joueurs de football, des milliers de femmes et d’hommes originaires d’Afrique sont pris chaque année dans les filets des trafiquants. Un exemple courant de traite des êtres humains : les réseaux qui exigent des sommes exorbitantes pour aider des migrants africains à traverser la Méditerranée dans le but d’atteindre l’Europe. Autre cas tragique : celui des migrants africains qui sont vendus dans le cadre de l’esclavage moderne en Libye, comme l’a révélé en 2017 une enquête de CNN qui a suscité l’indignation dans le monde entier.
Pour mieux comprendre la terminologie relative aux migrations, ce glossaire de l’OIM peut être utile.
Conseils et outils
La journaliste Maggie Michael, lauréate du prix Pulitzer qui a couvert la traite des êtres humains en Afrique du nord et au Proche-Orient, suggère de commencer votre enquête par les sources suivantes :
Les agences de lutte contre la traite des êtres humains dans les pays d’origine et dans les pays de destination. Par exemple, l’Agence nigériane pour l’interdiction de la traite des êtres humains, l’Agence gambienne contre la traite des êtres humains ou la Commission des Emirats arabes unis pour la lutte contre la traite des êtres humains. Les procès en rapport avec la traite des êtres humains. Ils peuvent aider les journalistes à se faire une idée des responsables et des complices impliqués dans la traite dans leur pays ; de la manière dont ces personnes travaillent ; des personnes qui ont été reconnues coupables ; de leurs anciennes victimes, etc. Les ONG spécialisées dans l’assistance aux victimes de la traite des êtres humains peuvent aussi aider les journalistes à recueillir des témoignages pour mieux comprendre les différents modes opératoires de la traite des êtres humains et du trafic de migrants. On compte parmi ces agences Yocht, au Yémen, Horizon Sans Frontières, au Sénégal, l’Association Iroko Onlus, en Italie, et Do Bold, aux Pays-Bas. Les chercheurs qui ont eu l’occasion de contacter d’anciens trafiquants, par exemple le Centre africain d’études et de recherches sur les migrations ou le Groupe d’études et de recherches sur les migrations, un organisme universitaire au Sénégal. Demandez au ministère du travail du pays qui vous intéresse la liste des agences de recrutement (immatriculées à la fois dans le pays d’origine et celui de destination) et identifiez les parties prenantes pour déterminer si des responsables politiques ou d’autres personnalités influentes se cachent derrière ces sociétés. Certaines de ces agences ont-elles été suspendues ou sanctionnées, et si oui, pourquoi ? Cherchez à identifier leurs partenaires dans le pays de destination et à déterminer ce que sont devenues les personnes recrutées. Les réseaux sociaux peuvent aider les journalistes à mettre au jour les méthodes de recrutement de ces agences. Interviewez les personnes qui travaillent avec ces agences. Utilisez LinkedIn pour identifier d’anciens responsables de ces sociétés. Voir les conseils de GIJN pour effectuer des recherches sur les réseaux sociaux.Surveillez les dernières tendances et nouvelles
En Afrique, des journalistes ont eu recours à des opérations d’infiltration pour réaliser des enquêtes innovantes sur la traite des êtres humains.Certaines organisations internationales et agences gouvernementales s’intéressent de près au trafic des migrants et à la traite des êtres humains. Elles peuvent vous être utiles pour trouver des données, des sources et des pistes de reportages pertinentes.
Des ONG qui suivent avec attention tout ce qui touche à la traite des êtres humains : la fondation Minderoo (Walk Free), le projet Polaris, International Justice Mission (“Mission pour la justice dans le monde”), Free the Slaves (“Libérez les esclaves”) et des organisations caritatives catholiques. Certaines d’entre elles sont représentées dans les pays concernés et peuvent proposer de l’aide aux journalistes. Une grande partie du travail des journalistes qui couvrent la traite des êtres humains consiste à “suivre l’argent” et les chaînes d’approvisionnement. L’Indice de l’esclavage dans le monde (Global Slavery Index) propose un tour d’horizon des tout derniers modes opératoires de la traite des êtres humains partout dans le monde, ainsi que des statistiques concernant les migrations. L’Organisation internationale des Nations unies pour les migrations “conduit et soutient des recherches et la production de données” sur les politiques et les pratiques migratoires dans le monde. Le Centre des migrations mixtes (Mixed Migration Centre) propose de nombreuses études et autres rapports, parce qu’il dispose d’agents sur le terrain qui suivent les mouvements de personnes. Pour en savoir plus sur la manière dont le trafic des migrants contribue au blanchiment d’argent et aux risques de financement du terrorisme, ce rapport de 2022 du Groupe d’action financière (GAFI), un organisme intergouvernemental, peut se révéler utile.Suivez le travail d’autres journalistes
Suivez les médias spécialisés, par exemple The New Humanitarian, membre de GIJN, ainsi que la plateforme financée par l’UE, InfoMigrants, fruit de la collaboration entre trois grands médias européens (RFI, Deutsche Welle et ANSA). Enass est une autre source utile. Il s’agit d’un site d’informations en ligne qui couvre les questions de migration de manière intensive, et qui met l’accent sur le sort des migrants venus de l’Afrique au Sud du Sahara et qui transitent par le Maroc pour tenter d’atteindre l’Europe.
Opérations d’infiltration
En Afrique, des journalistes ont eu recours à des opérations d’infiltration pour réaliser des enquêtes innovantes sur la traite des êtres humains. En raison du grand nombre de personnes que les trafiquants espèrent attirer pour se faire de l’argent, la technique de l’infiltration permet aux journalistes de faire des révélations de manière ingénieuse, en produisant des images choc et en apportant des preuves de première main. Voir, par exemple, cette série réalisée par une journaliste de New Vision, en Ouganda. Cette journaliste a fait l’objet d’un trafic, a été vendue aux Emirats arabes unis avant d’être mise en vente sur un marché en Arabie saoudite puis d’être expulsée après avoir été soupçonnée d’espionnage. Ou ce reportage d’Africa Eye, de la BBC, qui porte sur le commerce d’Africaines attirées en Inde pour y être réduites en esclavage sexuel. Ou encore ce documentaire perturbant (voir la vidéo ci-dessous) où l’on voit des enfants en situation de handicap qui sont victimes de trafic : ils sont emmenés de Nairobi, au Kenya, jusqu’en Tanzanie pour mendier dans la rue, tout en étant maintenus en captivité par des esclavagistes. (Attention : les opérations d’infiltration posent de nombreux risques en termes de déontologie et de sécurité. Pour en savoir plus sur la meilleure façon de procéder, consultez le Guide de GIJN sur les opérations d’infiltration (GIJN’s Guide to Undercover Reporting).
Demandez des comptes aux institutions qui apportent de l’aide
Des institutions internationales comme l’UE accordent de l’aide aux pays africains — notamment au Sénégal, au Niger et à la Libye — pour tenter d’enrayer le flux migratoire vers l’Europe. Mais bien souvent, la destination finale de ces fonds fait l’objet de peu de mesures de contrôle, et il est possible que l’aide n’arrive jamais jusqu’aux personnes qui en ont besoin. Consultez cette liste de pays africains et d’agences africaines qui reçoivent des aides de l’UE.
De même, n’hésitez pas à avoir recours à l‘outil de suivi financier du Bureau des Nations unies pour la coordination des affaires humanitaires, pour savoir quelles ONG reçoivent de l’aide de l’UE et de l’Agence américaine pour le développement international (USAID), et à quels projets sont consacrés les fonds alloués. Intéressez-vous à ces projets sur le terrain pour vérifier si les fonds qu’ils reçoivent sont utilisés à bon escient.
Lorsque les pays de destination tentent de stopper les flux migratoires, ils bafouent souvent les droits des migrants. La pratique de refoulement illégal, est devenue fréquente. Voir, par exemple, ces révélations par un consortium transfrontalier qui a enquêté sur l’agence frontalière de l’UE, Frontex, ou cette enquête réalisée par Enass suite à un incident dans l’enclave espagnole de Melilla, à la frontière avec le Maroc, qui a fait plusieurs morts parmi les migrants.
Cybercriminalité
La cybercriminalité est définie par l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (UNODC) comme un acte illégal perpétré en utilisant les technologies de l’information et de la communication (TIC) pour attaquer des réseaux, des systèmes, des données, des sites web et des technologies ou encore pour faciliter le crime. Selon la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique, la cyber-criminalité est “l’un des principaux facteurs de risque susceptibles de mettre l’économie africaine en danger”. La société kényane de cybersécurité informatique, Serianu, a estimé qu’en 2021, “la cyber-criminalité a réduit le PIB en Afrique de plus de 10%, avec un manque à gagner estimé à 4,12 milliards de dollars.” De même, le quotidien français Le Monde considère que l’Afrique est sous la menace d’un “chaos numérique”.
À partir d’informations communiquées par des pays membres africains, Interpol a identifié cinq cybermenaces majeures pour le continent : les tentatives d’escroquerie en ligne (considérées comme les cybermenaces les plus souvent signalées et qui doivent être contrées en priorité dans la région), l’extorsion numérique, les attaques des messageries d’entreprises, les rançongiciels et les botnets (réseaux de machines compromises utilisés pour des campagnes à grande échelle comme des attaques par déni de service, l’hameçonnage et les logiciels malveillants).
Commencez par les victimes et les fichiers de la police
Des journalistes de Radio-Canada, en collaboration avec un collègue de Côte d’Ivoire, on enquêté sur une ‘tentative d’arnaque à l’amour’ en ligne qui émanait de Côte d’Ivoire et avait fait des dizaines de victimes au Canada. Michael Deetjens, un membre de l’équipe qui a réalisé l’enquête en 2021, a livré quelques conseils à GIJN pour aider les journalistes à enquêter de manière plus approfondie sur d’autres tentatives d’arnaque en ligne.
Quand vous enquêtez sur des profils en ligne qui vous semblent suspects, sauvegardez régulièrement des captures d’écran de ces comptes, des messages et des commentaires.“Nous avions entamé nos recherches à partir de quelques données brutes fournies par les familles des victimes et certains documents policiers”, explique Michael Deetjens. Comme toujours dans ce genre de tentative d’arnaque, la victime ignore que la personne pour laquelle elle a des sentiments est un.e arnaqueur.euse. “Par conséquent, il est donc essentiel de commencer l’enquête en démontrant, preuves à l’appui, qu’il s’agit d’un faux profil”, ajoute-t-il.
Les escrocs utilisent souvent des photos qui circulent déjà sur le net. “Nous pouvons donc vérifier si la même photo se trouve ailleurs sur internet”, indique Michael Deetjens. Les journalistes utilisent ensuite des techniques de recherche en ligne comme la recherche d’image inversée. Pour en savoir plus sur les techniques de recherche en ligne, consultez cette ressource de GIJN.
Quand les journalistes suivent la piste des escrocs en ligne, Michael Deetjens leur conseille aussi de prêter attention aux moindres détails : les fraudeurs modifient souvent leurs faux comptes en changeant la photo de profil, l’album photos et le nom du profil. Cependant, plusieurs oublient de changer également le nom qui s’affiche dans l’adresse URL du profil, qui peut donner aux journalistes une idée du nom que l’arnaqueur a utilisé auparavant.
Dans l’enquête de Michael Deetjens, l’escroc se faisait passer pour un soldat américain, Mark D. Kelly. Mais quand Deetjens a vérifié l’adresse URL du profil, il a remarqué que le nom indiqué était celui d’une autre personne, associée à un profil au Nigeria. Pour le journaliste, c’était là “un indice important : nous avons affaire à un faux compte”.
Un autre conseil : quand vous enquêtez sur des profils en ligne qui vous semblent suspects, sauvegardez régulièrement des captures d’écran de ces comptes, des messages et des commentaires, avant que les escrocs ne les effacent. L’équipe de Radio-Canada utilise aussi un outil comme DumpItBlue+ (disponibles sur Chrome) pour dérouler les commentaires sur une page Facebook avant de la capturer avec Fireshot.
Michael Deetjens fait aussi remarquer que les escrocs veulent gagner du temps, alors ils utilisent toujours la même approche et envoient les mêmes messages à des victimes potentielles. En cherchant (entre guillemets) le message entier ou une partie du message sur Google ou sur le moteur de recherche de Facebook, il est possible de retrouver d’autres publications du même fraudeur. Il est alors possible de trouver d’autres comptes potentiellement utilisés par le même fraudeur, d’autres indices sur ses activités ou bien d’autres sites internet qui dénoncent la même fraude ou fraudeur.
En se focalisant sur l’orthographe et la syntaxe de ce faux compte, Michael Deetjens et ses collègues ont été en mesure de déduire si un faux compte était géré par une seule personne ou par toute une équipe. Par exemple, ils ont eu accès à des échanges entre une victime et un arnaqueur.
“Le suspect principal dans l’enquête était un homme formé dans une université francophone au Québec”, explique Michael Deetjens. “Cependant, à la lecture des échanges, l’écriture montrait que le fraudeur maîtrisait à peine le français, ce qui ne concordait pas avec le profil du suspect principal. Nous avons appris par la suite que le fraudeur derrière les échanges était en fait un autre complice basé en Côte d’Ivoire et qui ne maîtrisait pas tout à fait le français écrit.”
Une série de reportages édifiants sur la cyber-criminalité en Afrique, réalisée par le site d’information scientifique Scidev en 2016, peut aussi vous donner des idées sur la manière de retrouver la trace de cybercriminels sur le continent.
Une autre ressource : Africa CyberSecurity Mag, un site spécialisé, publie des informations ainsi que des tendances et des statistiques sur la sécurité en ligne.
La Réponse de l’Afrique de l’Ouest sur la cybersécurité et lutte contre la cyber-criminalité (OCWAR-C), financée par l’EU, et le Centre de cybersécurité pour l’Afrique australe (Cybersecurity Capacity Centre for Southern Africa, C3SA) peuvent aussi vous être utiles : vous y trouverez des données, des conseils d’experts et des modules de formation. Certains pays africains confrontés à l’étendue du phénomène et à la rapidité avec laquelle il se propage ont mis en place des agences spécialisées, comme au Kenya, en Ethiopie, au Nigeria, en Afrique du Sud et au Togo.
Contrebande de cigarettes
La contrebande de cigarettes — que les escrocs pratiquent pour faire fortune et éviter les taxes — est l’un des marchés parallèles les plus juteux au monde. Ce trafic a un impact énorme, pour les fumeurs et pour les finances des pays : il fait grimper les frais de soins de santé, et les pays déplorent un manque à gagner de plusieurs milliards de dollars en termes de recettes fiscales. Cette contrebande est aussi un élément moteur du crime organisé, car elle fait gagner énormément d’argent aux trafiquants, qui estiment les risques peu élevés et les gains faramineux.
En Afrique, le marché parallèle du tabac est immense. Selon un rapport de la Banque mondiale de 2019, le commerce illicite du tabac en Afrique concernerait quelque “43 milliards de cigarettes par an”. Cette année-là, ce commerce représentait pas moins de 41% du tabac vendu au Cameroun, 38% en Ethiopie et 25% en Algérie, au Nigeria, en Afrique du Sud et en Zambie. Le manque à gagner en termes de recettes fiscales : quelque 10 milliards de dollars par an dans toute l’Afrique au sud du Sahara.
Une enquête réalisée par le réseau d’information à but non-lucratif CENOZO a montré comment la contrebande de tabac trace des sillons pour le trafic de cocaïne et comment ce trafic a, à son tour, alimenté le terrorisme au Sahel, aujourd’hui en proie aux groupes armés. Plus important, toujours selon ce reportage : un homme d’affaires influent, considéré comme le plus riche du Burkina Faso, est lié à un vaste réseau de contrebande qui s’étend sur 5 000 kilomètres, de la Côte d’Ivoire à la Libye.
Pensez à procéder à des vérifications auprès des services des douanes et des impôts, qui enquêtent peut-être aussi sur le commerce illicite du tabac.“On ne dirait pas, à première vue, que la contrebande de cigarette a de graves répercussions, mais j’ai l’impression que c’est le trafic le plus lucratif dans la région du Sahel, déchirée par la guerre”, fait observer Gaston Sawadogo, co-auteur de l’enquête de CENOZO. “En enquêtant, je suis arrivé à la conclusion qu’un paquet de cigarettes est autant valable qu’une balle, qu’une cartouche de cigarettes l’est autant que le chargeur d’une arme avec des munitions, et qu’un container de cartouches de cigarettes se compare à une 12.7” [Ici 12,7 fait référence à une mitrailleuse lourde qui tire des munitions de 12,7 mm].
Une deuxième enquête réalisée par CENOZO a porté sur la contrebande de cigarettes au Mali. Selon cette enquête, malgré les saisies effectuées par les autorités compétentes, l’implication de responsables politiques et économiques “complique la lutte contre la vente illicite de tabac” et a coûté au gouvernement près de trois milliards de francs CFA (environ 5 millions de dollars) en 2017.
Conseils pour enquêter sur les trafiquants de cigarettes
Gaston Sawadogo conseille aux journalistes de prendre le temps de vérifier les autorisations d’importation délivrées aux marchands de tabac, qui sont généralement émises par le ministère du commerce. Dans certains pays comme le Burkina Faso, ces autorisations sont renouvelées chaque année. Ces documents doivent comporter les noms de la société, du fabricant et de la marque de cigarette autorisée. La marque spécifiée a son importance, parce que certaines sociétés n’en tiennent pas compte : elles importent d’autres marques ou utilisent tout simplement un emballage portant la marque autorisée, mais avec d’autres cigarettes à l’intérieur. Avoir accès aux licences d’importation peut être un bon point de départ pour une enquête.
Pensez aussi à procéder à des vérifications auprès des services des douanes et des impôts, qui enquêtent peut-être aussi sur le commerce illicite du tabac. Demandez à consulter les documents qui comprennent les informations sur la nature de la cargaison, la quantité et la valeur des marchandises, leur origine (pour savoir si elles sont suspectes), l’importateur et leur destination. Vous trouverez aussi des experts, des données et des analyses auprès de l’Alliance pour le contrôle du tabac en Afrique. L’ATCA est représentée dans 39 pays membres sur le continent. Le Centre pour le contrôle du tabac en Afrique peut aussi se révéler utile.
De plus, cela vaut la peine d’identifier des contacts au sein de l’industrie du tabac : toutes les grandes sociétés disposent de services de sécurité chargés de lutter contre la contrebande et la contrefaçon. Mais l’industrie mondiale du tabac est elle-même impliquée de longue date dans ce trafic, principalement pour rendre davantage de personnes dépendantes à la nicotine en inondant certaines régions de cigarettes bon marché. Les journalistes peuvent néanmoins solliciter cette industrie dans l’utilisation du Codentify, un système numérique de marquage et de traçabilité élaboré par Philip Morris International, adopté plus tard par d’autres grandes sociétés, et mis en avant parmi les mesures qu’elles prennent aujourd’hui pour lutter contre ce trafic.
Vol d’antiquités
Le débat au sujet des antiquités africaines a été alimenté ces dernières années par les campagnes pour la restitution des œuvres pillées en Afrique à l’époque de la colonisation, et conservées dans des musées occidentaux. Le commerce illicite des antiquités est très lucratif : il porterait sur des millions de dollars. Il présente aussi un intérêt certain pour le crime organisé et les contrebandiers sur le continent.
Ce rapport sur la restitution de l’héritage culturel africain, commandé par le gouvernement français et établi par deux chercheurs – une Française et un Sénégalais – offre des perspectives sur l’histoire des antiquités africaines qui ont été pillées. Selon leurs conclusions, 90% des objets constituant l’héritage culturel africain sont exposés dans des musées en dehors du continent.
Et le pire, c’est que le pillage et le trafic des antiquités ne se sont pas arrêtés avec l’indépendance des pays africains. Ils se sont poursuivis, les réseaux criminels dégageant d’immenses profits de ces activités.
“Ce commerce illégal alimente la corruption, assure un revenu aux trafiquants et, dans plusieurs pays, il fait partie intégrante des économies criminelles qui sont issues de conflits violents”, selon une étude réalisée en 2020 par ENACT, un groupe qui bénéficie du soutien de l’Institut d’études de sécurité (Institute for Security Studies) et d’INTERPOL. L’étude, intitulée Culture en ruines : le commerce illégal de biens culturels en Afrique du nord et en Afrique de l’ouest (Culture in Ruins: The Illegal Trade in Cultural Property Across North and West Africa), fait une mise en garde : ce commerce illégal “continue à causer des dégâts incommensurables aux sites et aux monuments, dépouillant le continent de son histoire collective”.
Les journalistes qui souhaitent enquêter sur la question trouveront des conseils et des ressources dans ce guide de GIJN : Enquêter sur le trafic d’antiquités dans le monde.
Contrefaçon
Selon l’UNODC, les contrefaçons d’antipaludéens pourraient causer la mort de 270 000 personnes supplémentaires chaque année en Afrique au sud du Sahara.On sait que la contrefaçon rapporte beaucoup d’argent et que, par conséquent, elle attire les réseaux criminels et les alimente. En raison de la faiblesse des organes de répression en Afrique, le continent est un terrain fertile pour les organisations criminelles qui font un trafic de contrefaçons à des prix défiant toute concurrence ; et ce dans tous les domaines, depuis les objets de luxe jusqu’aux produits plus sensibles comme les produits pharmaceutiques.
La contrefaçon de médicaments est un problème particulièrement grave en Afrique. Certaines contrefaçons de médicaments sont plus rentables au kilogramme que des stupéfiants, selon l’UNODC.
L’Afrique est le continent le plus durement touché par les contrefaçons de médicaments : 42% des saisies y sont effectuées. L’impact de ce fléau sur la santé publique est considérable. Selon l’UNODC, les contrefaçons d’antipaludéens pourraient causer la mort de 270 000 personnes supplémentaires chaque année en Afrique au sud du Sahara.
La Fondation Brazzaville, qui concentre son action sur la contrefaçon des médicaments sur le continent, a fait remarquer que “le trafic de ces médicaments sur le marché fonctionne de la même manière que le trafic de drogue, le trafic des armes et la traite des êtres humains”. En 2020, la fondation a réuni six chefs d’Etat africains, le directeur général de l’Organisation mondiale de la santé et autres responsables lors d’une conférence appelée le Sommet de Lomé, pour lutter contre la véritable épidémie que constitue la contrefaçon de médicaments. Les participants ont conclu que l’application de la loi joue un rôle crucial. Ils ont fait remarquer que les médicaments contrefaits représentaient entre 30% et 60% de tous les produits médicaux dans les pays africains qui disposent de réglementations insuffisantes en la matière, tandis que ce chiffre n’atteignait que 1% dans les pays où la réglementation était strictement appliquée.
Sur le continent, des reporters et des journalistes citoyens ont réalisé des enquêtes sur ces questions dans leurs différents pays, notamment au Mali, au Bénin et au Cameroun.
Les organisations suivantes proposent des données et des informations qui pourraient être utiles aux journalistes qui souhaitent enquêter sur les contrefaçons de médicaments.
Medisafe est un projet financé par l’UE pour lutter contre la contrefaçon de médicaments dans 11 pays partenaires : le Burundi, la République démocratique du Congo, l’Ethiopie, le Ghana, le Kenya, le Malawi, le Rwanda, les Seychelles, la Tanzanie, l’Ouganda et la Zambie. L’Association des industriels pharmaceutiques en Afrique francophone subsaharienne représente et défend l’industrie pharmaceutique, mais elle joue aussi un rôle prépondérant dans la lutte contre la contrefaçon et les ‘pharmacies par terre’, comme on les appelle dans certains pays. Des organisations comme l’UNODC et l’Organisation africaine de la propriété intellectuelle (OAPI) peuvent aussi être des sources très utiles pour enquêter sur la contrefaçon en Afrique.Table des Matières | Introduction | Chapitre 1 | Chapitre 2 | Chapitre 3 | Chapitre 4 | Chapitre 5 | Chapitre 6 |Chapitre 7 | Chapitre 8 |
Ressources additionnelles
Conseils pour enquêter sur la traite des êtres humains et le travail forcé
Enquêter sur le trafic d’antiquités
8 conseils d’experts pour remonter la chaîne d’approvisionnement
Maxime Koami Domegni est le responsable de GIJN pour l’Afrique francophone et un journaliste d’investigation primé. Il a travaillé comme rédacteur en chef du journal togolais L’Alternative et, basé à Dakar, au Sénégal, pour la BBC Africa en tant que journaliste producteur et planificateur de reportages magazines pour l’Afrique francophone.
Aïssatou Fofana est assistante éditoriale de GIJN en Afrique francophone. Elle est basée à Abidjan, en Côte d’Ivoire, et est également spécialiste en communication, blogueuse et journaliste indépendante avec une solide expérience en journalisme environnemental. En tant qu’entrepreneuse média, elle a récemment cofondé un média en ligne, L’écologiste, pour amplifier la couverture de l’information environnementale.
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