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Rébellions armées, coups d’État et guerres civiles ravagent différentes régions de l’Afrique, et ce, depuis des décennies. Chefs rebelles, seigneurs de guerre et personnalités notoires attaquent les gouvernements, prétendant agir au nom de partisans qui auraient été privés de leurs droits. En République démocratique du Congo (RDC), la fameuse faction M23 et les Forces démocratiques pour la libération du Rwanda font partie des nombreux groupes accusés par des organisations de défense des droits de l’homme d’avoir commis des atrocités. En Libye, des factions rivales contrôlent différentes régions du pays. Au Soudan et au Soudan du Sud, des milices armées mènent des attaques meurtrières contre leurs rivaux en raison de leur ethnie ou encore pour contrôler certains territoires et certaines ressources.
Pour survivre, les milices et groupes terroristes dépendent de la contrebande, de l’extorsion de fonds, du marché noir des armes et d’autres activités criminellesCes 15 dernières années ont également vu émerger des groupes djihadistes armés. Les idéologies qui alimentent ces conflits ont des portées internationales, mais les personnes qui les incarnent sont bien locales. Leur objectif est simple : créer un ordre politique et social basé sur le fondamentalisme religieux.
Parmi les principaux groupes armés djihadistes en Afrique, on peut notamment citer al-Shabab, le plus grand groupe afilié à d’Al-Qaida dans le monde, qui mène des attaques en Somalie, au Kenya et en Éthiopie ; Al-Qaida au Maghreb islamique ; Jama’at Nasr al-Islam Wal Muslimin (JNIM) au Maghreb et en Afrique de l’Ouest ; Boko Haram, l’État islamique en Afrique de l’Ouest ; l’État islamique dans le Grand Sahara ; l’État islamique au Mozambique ; et l’État islamique en Afrique centrale.
Pour survivre, ces milices et groupes terroristes très divers dépendent de la contrebande, de l’extorsion de fonds, du marché noir des armes et d’autres activités criminelles. Certains contrôlent des mines illégales de métaux précieux ou encore des routes commerciales. En Somalie et en Afrique de l’Ouest, comme ailleurs, des groupes armés facilitent les crimes d’autres acteurs, notamment des prises d’otages, des faits de piraterie, du trafic de drogues et de personnes, afin de percevoir une commission. L’essor de ces groupes génère de l’instabilité, des violations des droits humains et la plus haute concentration d’actes terroristes au monde.
“La vaste région du Sahel, en particulier, est devenue le foyer de certains des groupes terroristes les plus actifs et les plus meurtriers”, observe l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC). “Près de la moitié des victimes du terrorisme dans le monde sont africaines.” Les données du Global Terrorism Index indiquent que quatre des cinq pays les plus touchés en 2021 sont en Afrique.
Conseils et outils
Étudier chaque groupe, comprendre ce qui le motive. Les journalistes qui enquêtent sur les crimes perpétrés par ces groupes doivent impérativement comprendre l’identité de l’organisation qui les intéressent, les causes qu’elle défend, ses tactiques comme ses objectifs.
En Afrique, les groupes djihadistes se battent pour des idéologies transnationales. Ils ont toutefois aussi une dimension nationale, puisqu’ils exploitent les griefs des communautés marginalisées dans chaque pays. Ainsi, les actes de violence éclatent lorsque des tribus puissantes et des individus proches du pouvoir accaparent les terres – notamment arables – de communautés rurales. La pauvreté, le manque d’infrastructures, le chômage et l’absence d’éducation peuvent aussi pousser certains individus à rejoindre les groupes armés. Ces groupes exploitent la souffrance des personnes avec lesquelles ils partagent une identité religieuse, par exemple dans des régions éloignées comme la Palestine et le Cachemire. Ailleurs, les luttes pour le contrôle des ressources naturelles d’un pays alimentent les conflits et les milices locales.
Étudier comment ces groupes interagissent avec les populations locales. Les groupes armés sont obsédés par le contrôle des masses. Certains offrent des services aux communautés qu’elles côtoient : la sécurité, des tribunaux locaux, une médiation pour résoudre les conflits fonciers.
“Les groupes armés non-étatiques n’ont pas nécessairement besoin d’un soutien actif pour exister, pour prospérer, ils ont seulement besoin d’éviter des soulèvements massifs de la population civile”, explique le professeur Christopher Anzalone, dont les recherches au sein de la Marine Corps University des États-Unis portent sur l’islamisme radical. “Pour comprendre l’influence et l’activité des groupes armés non-étatiques, il faut examiner la faillite des gouvernements et des structures de gouvernance à l’échelle nationale, régionale et locale. C’est-à-dire : à quel besoin le groupe non-étatique apporte-t-il des réponses ?”
S’intéresser aux tactiques employées. Pour atteindre leurs objectifs, les groupes djihadistes ont recours à l’intimidation, aux bombardements aveugles, aux exécutions, aux décapitations, aux assassinats, aux tactiques de guérilla et au chaos. Par exemple, le groupe nigérian Boko Haram ne se contente pas de mener des attaques violentes, il enlève également des civils, notamment des élèves. Ainsi, en 2014, Boko Haram a enlevé des écolières de Chibok, évènement couvert par de nombreux médias internationaux.
Au Sahel, le JNIM et l’État islamique dans le Grand Sahara (EISG) visent des civils lors de représailles, tuant des dizaines de personnes. L’État islamique au Mozambique brûle des villages, détruisant ainsi le tissu social. En Somalie, Al-Shabab fait exploser des puits d’eau, aggravant ainsi la sécheresse et la famine, et attaque des centres de télécommunication, indispensables aux citoyens qui utilisent de transfert d’argent sur mobile.
Le Service de lutte anti-mine des Nations unies est une excellente source d’informations sur les armes et les dispositifs utilisés par les groupes armés. Concernant la région du Sahel, consultez ce rapport.
Enquêter sur les crimes commis. Les groupes armés sont souvent accusés d’avoir commis de graves crimes. Renseignez-vous sur la signification de chaque terme. Voici les définitions proposées par l’ONU des mots génocide, crimes de guerre, crimes contre l’humanité et nettoyage ethnique.
Certains groupes non-jihadistes invitent les médias à diffuser les causes politiques qu’ils défendent. Sans devenir des instruments de cette propagande, les journalistes peuvent se servir de cette communication pour enquêter sur les abus commis. Trouvez des groupes d’observateurs locaux et des chercheurs en droits de l’homme qui collectent des données sur ces crimes. Le département d’État américain publie des rapports annuels sur les violations des droits de l’homme – ceux-ci contiennent des informations sur les crimes commis par les groupes armés. Les États-Unis disposent également d’une base de données de personnes recherchées, dont plusieurs se trouvent en Afrique. INTERPOL dispose d’une liste similaire pour les personnes recherchées. L’Office of Foreign Assets Control du Trésor américain dispose également d’une liste d’individus sanctionnés pour terrorisme, trafic et autres crimes.
En outre, recherchez les violations documentées par des organisations internationales comme locales de défense des droits de l’homme, notamment l’International Crisis Group, Armed Conflict Location & Event Data Project, Amnesty International, Human Rights Watch et Kivu Security Tracker.
Traquez l’argent. La grande majorité des groupes militants dépendent de fonds, souvent obtenus par la force, issus de communautés et d’entreprises locales. Il arrive également qu’ils élèvent ou volent du bétail dont la vente permet de financer leurs opérations et l’achat d’armes. Selon un rapport du Groupe d’action financière (GAFI), un organisme intergouvernemental indépendant : “Il semblerait que Boko Haram soit principalement financé localement, tandis que les affiliés d’Al-Qaida bénéficieraient également de dons étrangers.”
Ceux qui refusent de financer ces groupes peuvent faire l’objet d’attentats ou voir leurs entreprises attaquées. Les commerçants et les hommes d’affaires travaillant dans l’import-export de marchandises dans les zones contrôlées par un groupe armé sont une source d’information clé pour comprendre ces menaces.
Parlez également aux camionneurs qui doivent probablement payer une “taxe” à ces groupes pour passer leurs postes de contrôle. Parlez aux agriculteurs qui peuvent être amenés à soudoyer les milices locales pour avoir le droit de récolter leurs propres cultures, ou aux gens du bâtiment qui veulent construire une maison. Assurez-vous de ne pas mettre vos sources en danger.
De multiples rapports font également état de financements provenant de sociétés internationales. Selon l’ONG Global Witness, des entreprises européennes de bois ont contribué à financer la guerre en République (RCA) grâce à des accords lucratifs avec des entreprises locales qui ont profité aux rebelles à hauteur de plusieurs millions de dollars.
Examiner comment les autorités interagissent avec ces groupes. Les conflits les plus importants du continent se sont soldés par l’intervention militaire de pays voisins comme au Mozambique et en Somalie, sous l’égide de l’Union africaine. En RDC, le Kenya a expédié des troupes pour faire barrage à l’avancée des rebelles du M23. En Afrique de l’Ouest, les gouvernements ont sollicité le soutien de puissances européennes. Au Mali et en Libye, une société de sécurité privée russe, Wagner, a été invitée à intervenir.
En tentant de réprimer ces groupes, les autorités et leurs alliés pourraient également en venir à violer les droits de l’homme et se livrer eux-mêmes à des activités criminelles. Parmi les crimes qui ont été signalés, on dénombre des exécutions extrajudiciaires, des violences sexuelles, des disparitions forcées, des arrestations et des détentions arbitraires.
Même les individus les plus difficiles à interviewer ont des amis d’enfance et d’anciens collègues, ainsi qu’une famille. Ces proches peuvent être disposés à parler.Approcher tout groupe armé avec prudence. La plupart des militants de groupes armés ne s’expriment pas dans les médias. En réalité, ils détestent les journalistes. Comment contourner ce problème ? Avoir un vaste réseau de contacts sur le terrain – y compris des journalistes locaux, des activistes, des chercheurs et des sources au sein de l’appareil sécuritaire – peut ouvrir des portes. Même les individus les plus difficiles à interviewer ont des amis d’enfance et d’anciens collègues, ainsi qu’une famille. Ces proches peuvent être disposés à parler.
Sachez que certains de ces groupes ont été accusés d’assassinats de journalistes. Assurez-vous donc de ne pas mettre votre vie ou celle des personnes qui vous aident en danger.
N’oubliez pas que les groupes armés sont discrets par nature. Leurs chefs évitent de se montrer, ils utilisent souvent plusieurs pseudonymes. Cela les aide à éviter d’être détectés, voire capturés lorsqu’ils commettent des attaques. Lorsque vous interrogez un militant ou un chef de groupe, restez professionnel. Assurez-lui toujours que vous faites un travail strictement journalistique. Ne promettez rien d’autre qu’un reportage équitable.
Interroger les victimes et la population locale. Cherchez à savoir comment les communautés locales sont affectées. À Cabo Delgado, au Mozambique, les insurgés ont cherché à détruire le tissu social, selon Jasmine Opperman, une experte en sécurité qui suit ce conflit de près. “Ils enlèvent les femmes, ils enlèvent les enfants”, explique-t-elle. La population locale est “intimidée par les décapitations, qui ont lieu tous les jours. L’intimidation joue un rôle crucial.”
Trouvez des victimes dans les camps de personnes déplacées, dans les grandes villes ou encore dans les pays voisins où elles ont fui. Étant donné les violences qu’ils ont observés ou subis, il est probable que les victimes et les témoins aient peur de témoigner.
Intéressez-vous en priorité aux victimes, montrez-leur que vous vous souciez de leur bien-être. En raison des traumatismes vécus, les témoins et les victimes ne se souviendront pas forcément des détails, notamment des dates. Pour trouver la date d’une violence dont vous avez recueilli des témoignages, pensez à poser des questions sur les principaux incidents et événements qui ont eu lieu à la même période. (Pour en savoir plus, consultez la fiche de conseils de GIJN sur les entretiens avec les témoins, les rescapés et les victimes de tragédies.)
Suivre les médias militants. Les groupes armés veulent que leurs opérations fassent l’objet d’un relai médiatique.
Presque tous ces groupes mettent à profit les réseaux sociaux, certains gèrent même leurs propres stations de radio et sites web. Leurs propres services de communication, souvent sophistiqués, diffusent des vidéos de qualités de leurs attaques, des discours de leurs dirigeants et des déclarations destinées à un public local comme international. Il peut donc être utile de suivre ce que publient ces groupes. Certains médias locaux et organisations internationales travaillant dans la région disposent de listes des médias militants à consulter.
Tout vérifier. Utilisez des outils numériques pour vérifier l’authenticité de vidéos et d’images et soyez attentif aux types d’armes utilisées et aux insignes portés. Voyez, par exemple, comment le journaliste Evan Williams a vérifié l’authenticité de vidéos de soldats nigérians procédant à des interrogatoires musclés de membres présumés de Boko Haram. Regardez également cette enquête du quotidien français Le Monde sur la vérification des images de groupes militants au Sahel.
“Faites preuve de scepticisme”, conseille Mary Harper, une journaliste sénior de BBC Africa, qui a couvert les groupes militants. “Il y a énormément de désinformation, que ce soit de la part des autorités qui tentent d’écraser ces groupes, des personnes affectées par leurs activités ou des groupes eux-mêmes. Vérifiez, vérifiez et revérifiez vos informations. Ne prenez rien pour argent comptant”.
Dans la mesure du possible, insistez pour obtenir des preuves tangibles – par exemple, des photographies, des rapports d’expertise ou des comptes financiers – afin de corroborer tout événement faisant l’objet d’une enquêteObtenir des données et des informations officielles. Dans la mesure du possible, insistez pour obtenir des preuves tangibles – par exemple, des photographies, des rapports d’expertise ou des comptes financiers – afin de corroborer tout événement faisant l’objet d’une enquête. Parlez aux unités d’enquête au sein de la police, au personnel des services de renseignement et aux fonctionnaires des tribunaux. Leur travail consiste à enquêter sur ces affaires et à poursuivre les suspects, ce qui leur donne un accès privilégié aux témoins directs de ces événements. Il est souvent intéressant de parler à la police locale. Leurs rapports peuvent contenir de nombreuses informations exclusives sur les attaques et les crimes commis. N’hésitez pas à élargir le champ de vos recherches. “Il sera souvent nécessaire d’accepter l’aide d’une personne même si elle pourrait être impartiale – par exemple, d’un gouvernement hôte – lors d’une enquête sur un groupe militant”, explique Jay Bahadur, chercheur indépendant basé à Nairobi et auteur du livre “The Pirates of Somalia” (Les Pirates somaliens).
Trouver les transfuges. Visitez les centres de réhabilitation et les maisons de refuge pour d’anciens militants de ces groupes afin de les interroger. Ces centres recueillent également des informations sur ces personnes, notamment leur passé de militant, l’identité de leurs parents, ainsi que leur date et leur lieu de naissance. Vous pouvez recouper ces données avec les dossiers de la police et des tribunaux. Même si les membres d’une milice utilisent un pseudonyme, ils ne changeront pas nécessairement toutes les informations personnelles contenues dans ces registres. N’oubliez pas que, dans de nombreux pays, il est normal d’utiliser non seulement son prénom, mais aussi celui de son père et de son grand-père. Certains dossiers policiers et judiciaires incluent également le nom de la mère à des fins d’identification supplémentaire.
Études de cas
Des combattants de l’État islamique terrorisent le Mozambique et menacent l’approvisionnement en gaz alors que la guerre en Ukraine fait rage. The Washington Post (2022)
Le journaliste Sudarsan Raghavan a enquêté sur les atrocités commises par l’État islamique au Mozambique. Les victimes interrogées ont été torturées, les femmes réduites en esclavage sexuel. Les témoignages de personnes ayant assisté à des viols et à des décapitations ont été recueillis.
Des jeunes du Minnesota ayant rejoint Al-Shabab, plein de remords -Voice of America (2020).
Les centres de réhabilitation pour transfuges se sont révélés particulièrement utiles à l’auteur de cette enquête. Pour cet article, il s’est entretenu avec deux anciens membres d’Al-Shabab qui offrent un récit déchirant de la vie au sein de l’organisation.
L’organisation État islamique tentée par l’Afrique de l’Ouest – CENOZO (2018). Dans cette enquête de l’organisation à but non-lucratif CENOZO, les journalistes ont combiné les données qu’ils ont trouvées dans une base de données internationales sur des militants de l’État islamique en Syrie avec des informations provenant de sources officielles locales, pour dresser le profil des premiers militants de l’État islamique en Afrique de l’Ouest.
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Ressources additionnelles
15 conseils pour enquêter sur les crimes de guerre
15 conseils pour interviewer les victimes et témoins de drames
Sûreté et sécurité pour les journalistes
Harun Maruf est journaliste au sein de la rédaction de Voice of America et co-auteur de “Inside Al-Shabaab, the Secret History of Al-Qaeda’s Most Powerful Ally” (Dans les coulisses d’Al-Shabab : l’histoire secrète de l’allié le plus puissant d’Al-Qaida). Il travaille pour des médias locaux et internationaux depuis plus de 30 ans. En 2018, il lance l’émission d’investigation The Investigative Dossier sur VOA, la première du genre sur la Somalie.
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