Il y a quelques années, je me suis retrouvé à monter les marches étroites d’un avion Learjet sur la piste étouffante d’un aéroport désert près de la frontière entre l’Afrique du Sud et le Mozambique. L’humidité était palpable et l’air épais.
Le radar météorologique indiquait un nuage d’orage qui se développait rapidement. Notre mission consistait à traverser la partie la plus active de l’orage, à la mesurer, à la traverser à nouveau tout en déversant un bac de glace sèche, puis à virer de bord et à la traverser une seconde fois pour une dernière mesure.
L’intérieur de l’avion ressemblait à un mixeur tant les turbulences étaient fortes. Des milliers de mètres plus bas, un avion plus petit se faufilait dans les courants descendants de la tempête pour mesurer la quantité de pluie qui tombait. Ce n’est pas quelque chose que l’on fait tous les jours, mais les bosses gigantesques causées par la grêle sur les ailes du Learjet témoignaient de ses missions passées.
Hormis pour me remémorer le plaisir de voler au cœur d’un orage à bord d’un Learjet, je n’ai pas beaucoup repensé à ce projet. Jusqu’à ce que j’entende parler de l’orage exceptionnel qui s’est abattu récemment sur Dubaï.
Le projet auquel je participais, portait le joli nom de RAIN – pour rain augmentation in Nelspruit – était une expérience d’ensemencement des nuages menée depuis plusieurs années. L’ensemencement des nuages consiste à ajouter de minuscules particules à un nuage afin de donner à l’humidité quelque chose à quoi se lier pour former des gouttelettes. Progressivement, ces gouttelettes fusionnent et deviennent suffisamment lourdes pour tomber sous forme de pluie. En théorie, les nuages « ensemencés » produiront davantage de gouttelettes susceptibles de tomber sous forme de pluie.
Aucun vol n’a pu prouver l’efficacité de l’ensemencement. C’est impossible. Il n’existe pas de nuage parfaitement identique auquel comparer le résultat de l’ensemencement d’un nuage précédent. Il est donc nécessaire d’effectuer un grand nombre de missions et de mesurer sans ensemencer sur la moitié d’entre elles. De quoi créer un ensemble de données pour l’expérience elle-même (nuages ensemencés) et son contrôle (nuages non ensemencés).
L’analyse statistique des résultats de RAIN a été pour le moins rigoureuse. Après plusieurs années d’essais, les taux de précipitations de certaines tempêtes ont été modifiés, bien qu’il n’ait jamais été possible de prouver qu’un seul orage avait bien été modifié.
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La tempête parfaite
Tôt dans la matinée du 16 avril, notre groupe de discussion qui regroupe d’anciens camarades de classe dispersés dans le monde depuis 40 ans a commencé à faire état de pluies sans précédent. Ces informations provenaient de Brendan, basé au Bahreïn, et de Ant, à Dubaï. Ant est pilote et partait de Dubaï ce matin-là. Il nous a envoyé des photos de son vol au-dessus du désert saturé.
Certaines parties de la péninsule arabique ont reçu 18 mois de précipitations en 24 heures ce jour-là. L’aéroport ressemblait plutôt à un port. En tant que météorologue du groupe de discussion, j’ai regardé les données satellites et celles des modèles de prévision. Et ce que j’ai vu, c’étaient les ingrédients d’une tempête parfaite.
Ce qui maintient normalement les anciens déserts, tels que ceux de la péninsule arabique, aussi secs, c’est la descente persistante et intense de l’air – tout le contraire de ce qui est nécessaire à la pluie. L’air descendant est très sec, car il provient de la partie supérieure et froide de l’atmosphère. Il est comprimé et réchauffé lors de sa descente, et arrive près de la surface comme dans un sèche-cheveux.
Sous cette couche d’air, en particulier dans les déserts proches des océans chauds, l’évaporation est abondante, mais cette humidité est maintenue captive par l’air descendant qui arrive du dessus. Autrement dit, c’est un chaudron dont le couvercle est bien en place.
Le 16 avril, le couvercle de la marmite a été soulevé par un courant-jet de haute altitude inhabituellement éloigné du Sud. En fait, deux courants-jets, le jet subtropical et le jet polaire, ont uni leurs forces et interrompu la circulation de l’air importé plus frais. L’air descendant – et le couvercle du chaudron au passage – avaient disparu.
Pendant ce temps, un flux d’air chargé d’humidité arrivait en accéléré du nord de l’océan Indien tropical et convergeait vers le désert. Les températures du point de rosée au-dessus des Émirats arabes unis étaient alors similaires à celles que l’on trouve normalement dans les forêts tropicales du bassin du Congo.
Dans ces conditions, les orages se développent très rapidement et, dans ce cas, un type particulier d’orage, un système convectif de méso-échelle, s’est formé et s’est maintenu pendant de nombreuses heures. Les données satellitaires infrarouges ont montré qu’il avait une taille comparable à celle de la France.
L’ensemencement des nuages n’est pas en cause
La puissance, l’intensité et la mise en place d’une telle tempête sont difficiles à comprendre. Ce qui m’a surpris, cependant, ce n’est pas la majesté de la nature, mais l’émergence d’analyses qui attribuaient les fortes pluies à l’ensemencement des nuages. Un journal britannique à grand tirage a même insinué que l’Université de Reading, un vivier d’expertise météorologique, était responsable de ces intempéries.
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Il s’avère que les Émirats arabes unis mènent depuis plusieurs années un projet d’ensemencement des nuages, baptisé en anglais « UAE Research Program for Rain Enhancement Science ». Leur approche consiste à tirer des fusées contenant des sels hygroscopiques (qui attirent l’eau) à partir d’avions dans les nuages cumuliformes (en forme de cumulus) chauds. L’idée, similaire au projet RAIN sur lequel j’ai travaillé, est de favoriser la croissance des gouttelettes de nuages et donc les précipitations. Les grosses gouttelettes tombent plus facilement.
L’ensemencement aurait-il donc pu créer un énorme système de tempête de la taille de la France ? Soyons clairs, ce serait comme une brise qui arrêterait un train interurbain lancé à pleine vitesse. Surtout, aucun vol d’ensemencement n’était prévu ce jour-là. Les nuages épais et de grande taille qui se sont formés le 16 avril n’étaient pas la cible de l’expérience.
Ce qui est intéressant toutefois, c’est que les humains ont encore du mal à accepter le fait que 2 400 milliards de tonnes de carbone (le total de nos émissions depuis l’ère préindustrielle) puissent avoir une incidence sur le climat. Et qu’en même temps, ils puissent accepter si facilement l’idée que quelques tirs de sels hygroscopiques puissent faire tomber en un jour l’équivalent de 18 mois de pluie.
Richard Washington a reçu des financements du Natural Environment Research Council britannique pour étudier les processus climatiques.