Les actions engagées par les activistes du mouvement climat, que ce soit à travers les marches, les occupations de places et de sites industriels ou diverses actions de désobéissance civile, sont régulièrement présentées comme des réactions « impulsives » ou « spontanées ». L’engagement des jeunes activistes surviendrait en réponse au sentiment d’urgence qui les anime, aux affects, aux angoisses et à l’éco-anxiété face aux conséquences du dérèglement climatique.
Le rôle essentiel joué par l’univers familial
Si cette perception des raisons poussant des jeunes à se mobiliser dans ce type de cause peuvent avoir leur part de vérité, elle se révèle toutefois insuffisante dès lors que l’on cherche à comprendre pourquoi, parmi des jeunes exposés aux mêmes risques environnementaux et éprouvant un même degré d’anxiété, certains agiront dans des collectifs ou participeront à des actions, quand d’autres resteront silencieux.
L’enquête réalisée par l’INJEP entre 2021 et 2023 auprès de 52 activistes âgés de 14 à 28 ans répartis dans 11 régions de la France hexagonale fait apparaître le rôle essentiel joué par l’univers familial dans l’entrée dans le mouvement, avec une prise de conscience des enjeux climatiques démarrant le plus souvent dès l’adolescence.
L’imprégnation familiale précoce à la politique fonde et consolide les engagements ultérieurs. Elle fournit de futures clés de lecture sur les débats de société qui les agitent, en les dotant d’outils pour défendre leurs réflexions et points de vue, mais aussi, dans d’autres cas, en les éloignant des orientations politiques défendues par leurs parents à travers certaines velléités émancipatrices susceptibles de générer des « disputes », de légères « prises de tête » ou de plus profonds « ressentiments » selon les propos rapportés par plusieurs activistes.
Socialisation politique par identification
Dans une large majorité des cas, les activistes rencontrés au cours de l’enquête témoignent de l’existence, dès leur adolescence, de discussions politiques au cours des échanges familiaux, lors des « repas de famille », dans le contexte d’échéances électorales ou de certains mouvements sociaux.
La socialisation politique ne s’élabore toutefois pas qu’au travers des discussions politiques. Il apparaît notamment que plus la transmission est explicite et arrimée à des usages concrets au sein de la famille, plus les chances de transmissibilité des choix politiques des parents aux enfants sont importantes.
On retrouve notamment des parents impliqués à différents degrés dans leur quotidien dans des gestes écoresponsables et sensibilisés à des problématiques environnementales.
Dans d’autres foyers, la sensibilisation aux causes écologiques ou politiques voire, pour certains d’entre eux, l’inclination aux modes de vie « alternatifs », peuvent être plus affirmé encore. Elia, 19 ans, activiste dans une antenne locale du collectif Youth for Climate en région Bretagne, évoque à ce sujet le « terreau » dans lequel elle a grandi, avec une mère qu’elle qualifie d’« anticonformiste », productrice et manager de musique pour des groupes émergents, et politiquement engagés contre les « gros acteurs de l’industrie culturelle ». Une mère qui l’a sensibilisée très jeune à ces nombreux espaces alternatifs où se discutent collectivement d’autres modèles de vie et où s’affirment des prises de position fortes contre les inégalités.
L’inversion
L’image répandue d’une socialisation politique qui se ferait de façon descendante des parents politisés vers leurs enfants dépolitisés peut toutefois être mise à mal dès lors que plusieurs d’entre eux affirment à l’inverse avoir « conscientisé » leurs parents « ignorants » aux questions politiques à travers des sujets qu’ils pensaient mieux maîtriser qu’eux, comme le souligne Raphaël, 17 ans, activiste de Dernière rénovation.
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Pauline, 21 ans et activiste à Youth for Climate, estime à ce sujet avoir grandi dans une « bulle apolitique », ses parents considérant ces thématiques inadaptées aux jeunes de son âge. Dans son cas, cette socialisation politique inexistante a paradoxalement contribué à intensifier sa politisation ultérieure.
Dans d’autres cas, il semble que ce soit moins par souci de protection des parents que par une certaine dépolitisation de leur part que certains activistes affirment avoir été tenus éloignés des sujets politiques au cours de leur enfance ou adolescence. Leur curiosité ultérieure peut alors naître du besoin ressenti de rechercher les réponses aux « mystères du fonctionnement du monde » (Rémy, 31 ans, Extinction Rebellion), aux « énigmes » (Prune, 23 ans, Extinction Rebellion) involontairement avancées par des parents parfois indifférents aux problématiques politiques.
Plusieurs affirment de ce point de vue être devenus des « référents », celles et ceux que l’on consulte en période électorale pour mieux connaître leurs points de vue, leurs réflexions ou prédictions sur de prochaines mesures ou nouvelles réformes.
Par souci de « garder le contact » avec leurs enfants émancipés politiquement, certains parents vont accepter ce retournement progressif des rôles au sein de la famille en se résignant à être placés au rang d’« apprentis » sur les questions écologiques face à des enfants devenus experts du sujet, lecteurs assidus des rapports scientifiques et fins éclaireurs des évolutions climatiques prochaines.
Certains activistes confirment être parvenus à modifier le comportement alimentaire de leurs parents « viandards », à limiter « leur bilan carbone désastreux », les avoir sensibilisés au tri sélectif, les avoir incités à se documenter et à s’informer sur le dérèglement climatique, sans toutefois que ces modifications, et plus largement certains retournements de positions entre parents et enfants, ne se fassent sans « tension » au sein de la famille.
L’expérimentation
Si deux tiers des Français (63 %) s’inscrivent dans la continuité des choix idéologiques de leurs parents, il importe toutefois de ne pas sous-estimer la part des cas plus marginaux. L’enquête fait notamment ressortir des positionnements politiques des activistes qui se construisent dans certains cas en dissymétrie avec les valeurs défendues au sein de la famille.
La surexposition familiale à la politique peut aussi devenir un sujet conflictuel avec des valeurs et des positionnements prenant des chemins à l’exact opposé de ceux prônés par les parents. Théo, activiste de 19 ans dans une antenne locale de Youth For Climate de la région Rhône-Alpes, se définit lui-même « anarchiste issu de la petite bourgeoisie », fils de « cadres de multinationales du CAC 40, Total et Renault, réputées pour leur participation à la crise écologique ».
Les rudiments politiques transmis par ses parents sont qualifiés par Théo de « caricaturaux » entre une gauche présentée quand il était enfant comme « laxiste et dépensière » et une droite à l’inverse caractérisée par sa sobriété et sa rigueur. « C’est vraiment l’apolitisme de base avec beaucoup de mauvaise foi. »
Le divorce de ses parents a accéléré sa remise en question de « la famille idéale » et de ses systèmes de valeurs. Il est témoin de modèles de vie et de références politiques qui se transforment. Lorsque sa mère se remet en couple avec un syndicaliste d’EDF « historiquement d’une famille communiste et tout », Théo se familiarise avec les milieux politiques d’extrême gauche.
Réappropriation d’un héritage politique
C’est au cours de cette période de remise en question des valeurs politiques inculquées pendant l’enfance que Théo trouve « une porte de sortie » dans un tiers-lieu militant engagé sur les questions de justice sociale et climatique.
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Ses nouveaux choix de vie et orientations politiques ont été, selon Théo, mieux compris par sa mère que par son père dont les positionnements opposés sont régulièrement facteurs de troubles et de violentes oppositions.
Prendre acte d’un héritage politique et d’une transmission de certaines valeurs ne signifient pas nécessairement reproduction mécanique à l’identique mais peut aussi passer par une transformation des causes de l’engagement et de son déroulement.
Entre affiliation et recherche d’autonomie
La transmission politique intrafamiliale opère au travers d’une double contrainte : le besoin d’affiliation et la revendication d’autonomie, avec des nouvelles générations pouvant à la fois exprimer une continuité idéologique intergénérationnelle et une marge d’innovation en matière d’expression ou de positionnement politique pour faire advenir de nouveaux régimes de citoyenneté plus en phase avec leurs valeurs et pratiques citoyennes.
La jeunesse n’est pas qu’une période de transition dans la formation de l’identité sociale, elle est aussi une étape importante dans le processus de socialisation politique, entendu comme les processus spécifiques qui s’accomplissent au sein d’instances politiques et qui se traduisent par des pratiques et des représentations dans le domaine politique.
Étape charnière entre le temps de l’apprentissage de la vie politique où s’acquièrent et se transmettent les premiers codes et premiers repères pour interpréter le champ politique et celui de la mise à l’épreuve de ceux-ci dans le cours des premiers engagements, c’est dans ce mouvement biographique que les jeunes activistes font leurs premiers pas dans les mouvements climat.
Laurent Lardeux ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.