Les paysages glacés et reculés de l’Antarctique sont de plus en plus pollués mais aussi exposés à des espèces étrangères dérivant jusqu’à ce bout du monde via des débris océaniques flottants.
Conscients de cette menace qui pèse sur ce littoral isolé et les écosystèmes marins uniques de l’Antarctique, nous avons voulu savoir d’où venaient tous ces débris. Il s’avère qu’ils voyagent plus loin qu’on ne le pense.
En utilisant des techniques de modélisation des océans, nous avons montré que des objets flottants tels que du varech, du plastique et d’autres débris peuvent dériver jusqu’à l’Antarctique depuis l’Amérique du Sud, l’Afrique du Sud, l’Australie et la Nouvelle-Zélande.
Notre nouvelle recherche montre ainsi que les côtes de l’Antarctique sont plus connectées aux terres de l’hémisphère sud qu’on ne le pensait auparavant. Et si le froid et la glace ont peut-être empêché des organismes étrangers de coloniser les eaux de l’Antarctique jusqu’à présent, ces conditions changent rapidement.
L’environnement unique de l’Antarctique
Les eaux côtières de l’Antarctique sont extrêmement froides et principalement recouvertes de glace de mer. Mais ces eaux abritent néanmoins une gamme étonnamment large d’espèces uniques que l’on ne trouve nulle part ailleurs sur Terre.
Ces dernières années, cependant des espèces non natives ont été découvertes dans les eaux de l’Antarctique. Elles peuvent être arrivées sur des navires, soit via les réservoirs d’eau de grande contenance équipant certains navires, soit en étant incrustées sur les coques des navires, soit sur des débris océaniques à la dérive.
Certaines de ces espèces, dont le varech, sont connues pour dériver depuis des îles situées juste au nord du continent antarctique. Mais jusqu’à présent, on ne savait pas si des espèces pouvaient atteindre l’Antarctique à partir d’une zone plus éloignée.
Des eaux froides refuges pour un certain nombre d’espèces à croissance lente
Dans un monde qui se réchauffe, l’Antarctique est l’un des rares refuges pour les espèces à croissance lente qui prospèrent dans les eaux froides. Mais si des espèces étrangères parvenaient à s’établir dans ces eaux froides polaires, elles pourraient concurrencer les espèces indigènes et modifier radicalement les écosystèmes marins.
De plus, la quantité de plastique et d’autres débris dans les océans augmente chaque année. Cela pourrait donc signifier que de plus en plus d’espèces non natives peuvent désormais atteindre le continent glacé.
Pour nous aider à mieux comprendre ces risques encourus pour les espèces natives de l’Antarctique, il est crucial d’identifier la provenance des débris dérivant vers l’Antarctique.
Les courants de l’océan austral
L’Antarctique est entouré d’un courant océanique géant, le courant circumpolaire antarctique, qui s’écoule vers l’est autour du continent glacé, le séparant des eaux plus chaudes au nord.
On a longtemps pensé que la force de ce courant orienté vers l’est et les fronts océanographiques marqués qui lui sont associés isolaient le continent polaire des objets dérivant vers le nord. Cependant, le courant circumpolaire antarctique est également riche en tourbillons et soumis à de puissants systèmes de tempête. Deux éléments qui constituent des voies de passage possibles pour ces débris flottants.
Des dérives modélisées virtuellement
Par le passé, des débris échoués sur les côtes de l’Antarctique ont été testés génétiquement pour révéler leur lieu d’origine. Ces analyses ont confirmé que le varech pouvait dériver depuis les îles subantarctiques, y compris l’île de Géorgie du Sud et les îles Kerguelen.
Mais tous les objets ne peuvent pas être testés de cette manière. De plus, seule une petite partie du littoral antarctique est visitée par les scientifiques chaque année. Il n’était donc pas possible d’étendre une telle approche pour déterminer toutes les sources possibles.
Nous nous sommes donc tournés vers la modélisation des océans. Nous avons pris en compte les provenances possibles autour des îles de l’océan Austral mais aussi les terres émergées situées plus au Nord, telles que l’Australie, la Nouvelle-Zélande, l’Amérique du Sud et l’Afrique du Sud.
Les courants océaniques comme les vagues de surface contrôlent la dérive des objets dans l’océan Austral en direction de l’Antarctique. Ces deux influences ont donc été prises en compte dans notre modèle.
Dans notre hémisphère sud modélisé, nous avons relâché des millions d’objets à la dérive dans l’océan et nous les avons observés se déplacer autour du globe.
Nous avons virtuellement simulé le suivi de ces objets pendant trois années ou bien jusqu’à ce qu’ils atteignent les côtes de l’Antarctique, si cela advenait avant.
Ces simulations ont révélé que des objets flottants peuvent dériver vers l’Antarctique non seulement depuis les îles subantarctiques, mais aussi depuis la Nouvelle-Zélande, la Tasmanie, l’Amérique du Sud et l’Afrique du Sud.
Certes, seule une infime partie des particules simulées atteignent effectivement l’Antarctique, mais on observe cela chaque année. Cela suggère donc que des débris et déchets flottants arrivent régulièrement sur les côtes de l’Antarctique, et ce depuis un certain temps.
Mais avec le réchauffement de la planète et la fonte des glaces, l’invasion d’organismes étrangers pourrait désormais être plus fructueuse.
Des eaux plus chaudes et une diminution de la glace de mer
La modélisation nous a également permis d’évaluer les régions du littoral antarctique les plus menacées par ces arrivées d’espèces non natives.
La plupart des débris et déchets simulés arrivaient ainsi à la pointe de la péninsule antarctique, ce qui est des plus préoccupants. Car cette région connaît des températures océaniques relativement chaudes ce qui, chaque année, permet au le littoral d’être libre de glace pendant de longues périodes.
Or, nous l’avons vu, jusque-là les températures froides de l’océan et la glace de mer abrasive constituaient une barrière naturelle pour les espèces exotiques qui cherchaient à s’installer autour de l’Antarctique. Mais s’il y a de moins en moins de glace de mer à l’extrémité de la péninsule antarctique, il y a plus de chances que des espèces non natives s’y installent.
Qu’est-ce que cela signifie pour l’avenir ?
La glace de mer de l’Antarctique a connu un déclin dramatique ces dernières années. En outre, la péninsule antarctique s’est déjà réchauffée plus rapidement que la plupart des endroits autour de l’Antarctique, avec des températures record ces dernières années.
La diminution de la glace de mer et le réchauffement du littoral antarctique signifient donc que les espèces exotiques pourraient avoir davantage d’occasions de coloniser le continent glacé. Si cela devait se produire, nous pourrions assister à des changements spectaculaires dans certains écosystèmes côtiers de l’Antarctique.
Hannah Dawson a reçu des financements de l'Australian Research Council.
Adele Morrison a reçu des financements de l'Australian Research Council.
Ceridwen Fraser a reçu des financements du Royal Society of New Zealand.
Matthew England a reçu des financements de l'Australian Research Council.