L’étude de l’apnée, un voyage aux confins des limites humaines

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L’apnée est un modèle physiologique précieux pour explorer les limites humaines.

Le rêve nourri par l’humain d’explorer le fond des mers ne date pas d’hier. Au XIXe siècle av. J.-C., Homère évoquait déjà des plongeurs récoltant des coquillages dans l’Iliade. Et Aristote au IVe siècle av. J.-C. s’interrogeait sur la plongée.

Bien plus tard, la course aux abysses fut marquée par le duel entre Jacques Mayol et Enzo Maiorca à l’origine du film Le Grand Bleu avec un record du monde en apnée à -105 mètres (octobre 1983). Par la suite, la pratique s’est structurée et différentes disciplines sont apparues en piscine et en mer, avec ou sans palmes.

Les performances ont depuis été repoussées avec 300 mètres en apnée dynamique en piscine, -212 mètres en apnée « no limit », 11 minutes 35 secondes en apnée statique (AIDA WR).

Au-delà des records, le modèle physiologique sur lequel repose l’apnée peut nous apprendre beaucoup sur la respiration, ce qui peut être utile non seulement dans le sport général mais aussi en médecine.

L’apnée ou l’art d’économiser l’oxygène

Rappelons d’abord que l’apnée correspond à un arrêt de la ventilation volontaire ou involontaire. Cette suspension de la ventilation stimule en tout premier lieu un réflexe présent chez tous les êtres humains mais aussi chez les mammifères marins : le « réflexe de plongée ». Il est majoré à la suite de l’immersion de la face dans de l’eau froide par la stimulation de récepteurs cutanés faciaux.

L’absence de mouvements au niveau pulmonaire provoque d’autant plus le réflexe, qui se caractérise principalement par une baisse de la fréquence cardiaque (bradycardie), une diminution du diamètre des vaisseaux (vasoconstriction périphérique) dans les bras et les jambes et une hausse de la pression artérielle.

Le sang est alors redirigé vers les organes dits nobles, tels que le cerveau et le cœur, afin de les préserver du manque d’oxygène. La rate peut également se contracter pour libérer des globules rouges dans la circulation sanguine et augmenter la capacité de transport de l’oxygène. Bien que son rôle soit clairement identifié chez les mammifères marins, les effets semblent toutefois plus controversés chez l’homme.

L’ensemble de ces modifications accompagnent le plongeur au cours de son apnée ou vers les profondeurs, ce qui lui permet d’économiser ses réserves en oxygène.

Les incroyables bénéfices de l’apnée

Cette pratique offre de nombreux avantages sur le plan physiologique, et donc pour votre santé. D’un point de vue cardiaque, vous allez grâce à vos entraînements répétés stimuler ce réflexe de plongée et le rendre plus efficient.

Il a par exemple été prouvé que les apnéistes de haut niveau avaient une bradycardie plus rapide et plus prononcée, ce qui leur permet d’économiser davantage d’oxygène. En travaillant ce réflexe, ils ont également développé un meilleur équilibre entre leur système sympathique, qui accélère la fréquence cardiaque, et parasympathique, qui la ralentit : cela réduit globalement leur risque cardiovasculaire.

D’un point de vue pulmonaire et ventilatoire, les apnéistes travaillent beaucoup leur souplesse thoracique et leur technique de ventilation, afin de supporter les fortes pressions lors de leurs descentes.

Ces techniques issues du pranayama – exercices respiratoires pratiqués dans le yoga – les dotent d’un meilleur contrôle de leur souffle tout en réduisant leur stress – non seulement avant la plongée mais aussi dans la vie courante. Ce même entraînement permet d’avoir des volumes pulmonaires importants et donc un plus gros réservoir avant leurs apnées.

Pour le cerveau, outre un apport circulatoire de meilleure qualité pendant l’apnée, les apnéistes se distinguent par leur forte stabilité émotionnelle et une meilleure concentration.

Arythmie, narcose, syncope… une pratique à risque

Malgré toutes ses vertus, l’apnée demeure une activité à risque, soumise à un examen médical préalable afin de vérifier qu’il n’existe pas de contre-indication. Il est aussi fortement recommandé de pratiquer au sein d’une structure associative et, bien entendu, jamais de manière isolée.

Malgré un réflexe de plongée efficace, des arythmies cardiaques peuvent exister au cours des apnées en profondeur, principalement en raison du froid.

Au cours de la plongée en apnée, la pression augmente et une partie du sang est redirigée vers les poumons, les protégeant ainsi de l’écrasement. La différence de pression entre les capillaires pulmonaires et l’air alvéolaire des poumons peut être tellement forte que les alvéoles cèdent, créant un œdème pulmonaire.

C’est pourquoi il est nécessaire de progresser lentement tout en travaillant la flexibilité de sa cage thoracique. Le cerveau peut toutefois finir par manquer d’oxygène – c’est la syncope, dont les conséquences à long terme sont mal connues. Des indices tendent néanmoins à montrer que mieux vaut les éviter : par le passé, nous avons ainsi mis en évidence que les apnéistes de haut niveau présentaient tous davantage de troubles de la mémoire que des apnéistes moins entraînés.

D’autres études révèlent que des marqueurs cérébraux indicatifs d’une souffrance cérébrale sont augmentés après une syncope ou une apnée de très longue durée, c’est-à-dire supérieure à six minutes. Même s’il faudra le confirmer, le cerveau semble bien préservé pour la plus grande majorité des apnéistes.

Dans les profondeurs, ceux-ci évoquent également souvent des symptômes assimilables à une narcose. Si celle-ci est classiquement attribuée à l’azote, les mécanismes semblent un peu distincts dans ce cas : et même si les effets de l’azote ne peuvent être écartés, les différents volumes liquidiens et leurs mouvements lors de la remontée d’une plongée pourraient jouer un rôle qu’il reste à identifier.

Un entraînement utile pour d’autres sports

Toutes ces données sont intéressantes à plusieurs titres. Chez les sportifs, les effets bénéfiques du manque d’oxygène après des séjours en altitude sont bien connus : or les mêmes effets ont été constatés à la suite d’un entraînement à l’apnée. Ces vertus pourraient donc être exploitées dans d’autres disciplines sportives.

Chez les nageurs sprinteurs (50 mètres), par exemple. Pour eux, l’enjeu est de savoir s’il faut respirer sur cette distance, au risque de perdre du temps et de voir sa coordination perturbée à force de tourner la tête. Être capable de réaliser la course sans reprendre sa respiration peut faire gagner quelques dixièmes de secondes, suffisantes pour la médaille.

D’autres sports pourraient bénéficier de l’apnée afin d’augmenter la quantité d’oxygène transportée de manière naturelle en stimulant la contraction de la rate – mais cela reste à confirmer.

Un modèle précieux pour la recherche médicale

Par ailleurs, cette pratique présente un modèle physiologique intéressant pour mieux comprendre les mécanismes de résistances ou d’adaptation à l’hypoxie, c’est-à-dire à une baisse de l’oxygène disponible dans le sang.

Sur le plan respiratoire, celle-ci peut servir d’entraînement ventilatoire additionnel pour les personnes souffrant de problèmes pulmonaires tels que les bronchopathies obstructives chroniques. Le manque d’oxygène intervient aussi dans la régulation de certaines voies métaboliques comme celle de la glycémie : il a ainsi été montré qu’un stress hypoxique modéré intermittent contribuait à modifier significativement la glycémie chez les sujets atteints d’obésité.

Ces résultats préliminaires encourageants coïncident avec les recherches récentes, qui rapportent une forte diminution de la glycémie (environ 25 %) chez les diabétiques de type II après cinq cycles d’hypoxie de six minutes. La difficulté actuelle réside encore dans l’administration de la « bonne » dose hypoxique en fonction de la pathologie.

L’apnée peut donc être considérée comme un axe de recherche intéressant pour mieux comprendre (et combattre) certaines pathologies, comme l’obésité ou le diabète cités précédemment mais aussi les apnées du sommeil, la mort subite du nourrisson, les maladies métaboliques ou les troubles du développement cognitif.


Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la science (qui a lieu du 6 au 16 octobre 2023 en métropole et du 10 au 27 novembre 2023 en outre-mer et à l’international), et dont The Conversation France est partenaire. Cette nouvelle édition porte sur la thématique « sport et science ». Retrouvez tous les événements de votre région sur le site Fetedelascience.fr.

The Conversation

Frédéric Lemaitre does not work for, consult, own shares in or receive funding from any company or organisation that would benefit from this article, and has disclosed no relevant affiliations beyond their academic appointment.

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