Dès les années 1970, plusieurs sociologues et penseurs se penchent sur « l’idéologie de la bagnole », mettant en garde – bien avant qu’ils ne soient visibles – contre tous des effets pervers d’une généralisation de la voiture et sa centralité dans nos existences. Retour en vidéo sur leur analyse relativement clairvoyante.
Dans leurs écrits, André Gorz et Ivan Illich ont diagnostiqué très tôt que la voiture, d’abord présentée comme un outil d’émancipation et de liberté, risquait à terme de conditionner nos vies, aussi bien à l’échelle individuelle que collective. Le court film « Mauvaise conduite » remet leurs arguments oubliés en perspective, nous invitant à réfléchir à l’avenir de la mobilité et au développement du co-voiturage et autres alternatives de déplacement.
Il est pratiquement impossible aujourd’hui de critiquer la voiture et son usage dans une société où une bonne partie des individus en sont tout simplement dépendants. Aller au travail, se nourrir, faire des activités, la voiture occupe une place centrale dans la vie de la plupart des individus.
Pourtant, si nous prenons de la hauteur pour observer les conséquences sociétales du modèle du « tout-voiture », nous ne pouvons que constater que l’usage généralisé de l’automobile individuelle est la cause de nombreux problèmes de société.
Il en est ainsi de l’engorgement des villes, de l’étalement urbain en réponse à la mobilité, de la macadamisation ou artificialisation systématique des espaces comme c’est le cas pour le projet polémique de l’A69, du développement de zones commerciales en dehors des centres aux dépends des commerces de proximité ou encore des pollutions urbaines qui participent à augmenter les cas de cancers et les difficultés respiratoires.
Un rapport de Greenpeace publié en juin 2018 montrait ainsi qu’aux abords des aires de sport de grandes villes françaises, les seuils de pollutions étaient régulièrement dépassés. En dépit de ces constats, le mythe de la voiture individuelle se perpétue.
La voiture, source de liberté ou contrainte quotidienne ?
En 1973, André Gorz défendait dans le texte intitulé Idéologie sociale de la bagnole que les possesseurs d’une voiture, au lieu d’acquérir une quelconque autonomie, se mettaient dans une situation de dépendance radicale vis-à-vis de tiers, que ce soit pour alimenter le véhicule en énergie, l’entretenir ou encore accéder à des routes praticables (pour ne citer que ces points les plus connus).
La même année, Ivan Illich popularisait l’idée de « vitesse généralisée » dans le livre Énergie et équité. En intégrant le temps passé à travailler pour payer sa voiture, à se déplacer pour travailler et les frais associés, ce dernier calculait que la vitesse généralisée d’une voiture était de 6 km/heure, soit celle d’un marcheur qui allonge un peu le pas et moins que celle d’un vélo. Vaste paradoxe où, désormais, un individu sans voiture peut, parfois, se retrouver bien plus libre.
Évidemment, la généralisation de l’usage de la voiture est une question de société. Bien que l’on puisse mettre en cause certains comportements (comme celui de recourir à l’automobile pour réaliser de courtes distances en ville ou remplacer son véhicule à chaque nouveau modèle), questionner la voiture et proposer une alternative demande une réflexion globale, pas juste individuelle.
Si les politiques ne provoquent pas une réorganisation des villes et du travail, s’ils ne favorisent pas l’usage des transports doux depuis le vélo en passant par les trains jusqu’aux bus, via des investissements intelligents, les individus ne feront évoluer leurs comportements qu’à la marge (au mieux).
C’est d’ailleurs bien pour cette raison qu’on parle de conditionnement de la société par les véhicules individuels : les règles et le monde autour de nous a été façonné pour développer au maximum la centralité de la voiture dans nos vies.
Un autre modèle est donc possible, avec moins de voitures sans pour autant exiger son abolition, si et seulement si nous changeons de paradigme. Simple choix de société qui ne saurait être possible si nous ne commençons pas par questionner nos prismes et acquis actuels. Certains pays provoquent sans attendre cette transition, par exemple, avec des autoroutes à vélo, des aides à l’achat de véhicules « lents », le développement des transports locaux collectifs gratuits, etc.
« Le constat est clair : le monde devient circulable et non habitable »
L’auteur de Mauvaise Conduite, qui réalise ses montages sous le pseudonyme « VOLTé », a commencé à filmer les luttes sociales à partir de 2016 au moment des mobilisations contre la loi travail. C’est après être tombé sur une brochure du texte d’André Gorz « L’idéologie sociale de la bagnole » dans un « info-kiosque » qu’il a commencé à réfléchir et à s’intéresser au sujet, en interrogeant notamment sa place prépondérante et de plus en plus envahissante dans l’espace urbain.
« Ce petit texte a complètement fait écho à ce que mes amis essayent de faire, en
l’occurrence vivre et se déplacer sans permis et sans argent », explique-t-il. Par ailleurs, il ne souhaitait pas lui-même rentrer en dépendance vis-à-vis de la voiture : « Je me suis aussi rendu compte que je n’avais pas envie que ma vie tourne autour de la voiture et du travail qu’il faut pour la payer, mais aussi que les villes devenaient de plus en plus insupportables pour moi, la plupart des espaces étant aseptisés et pensés exclusivement pour la circulation. »
Selon lui, la voiture « est tellement ancrée dans notre éducation dès le plus jeune âge que c’est difficile de déconstruire les valeurs qui lui sont associées comme la culture de la vitesse, de l’efficacité ou même le statut social qu’elle apporte ».
la voiture s’est également muée en symbole de réussite sociale
Car la voiture s’est également muée en symbole de réussite sociale à exposer pour une part significative de la population. Le Softpower américain s’est tellement bien exporté en 100 ans que ce modèle est désormais une référence absolue pour la plupart des pays. Tout pays industriel et développé voit sa société se tourner vers une centralité de la voiture individuelle et leur nombre dans le monde ne fait qu’augmenter de façon exponentielle.
Que ce soit à la ville comme à la campagne, la vidéo, qui débute par le constat glaçant que le monde est devenu circulable, mais non-habitable, nous pousse inévitablement à nous interroger sur la place de la voiture individuelle dans une société contemporaine qui court de plus en plus vite… vers le crash écologique. À voir sans hésiter !
– Mr Mondialisation
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