La baie du Mont-Saint-Michel face au risque de sécheresse à la fin du siècle

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Promeneurs dans la baie du Mont Saint-Michel, à la marée basse. Giorgio Galeotti / Flickr, CC BY-SA

Ces dernières années, la Normandie a connu plusieurs épisodes de sécheresse hydrologique (c’est le nom que l’on donne aux épisodes de sécheresse dont la durée et l’ampleur affectent le débit des cours d’eau). Les sécheresses estivales des étés 2003, 2005 et plus récemment 2022 ont même entraîné des tensions sur les usages de l’eau – dont la production d’eau potable – dans l’ouest de la Normandie, qui dépend directement du niveau des eaux de rivières pour son approvisionnement en eau potable.

L’est de la Normandie aussi a été touché, quoique la mécanique soit différente : c’est la succession d’épisodes de sécheresse hivernales qui a conduit à une moindre disponibilité des ressources en eau souterraines pour soutenir les débits des cours d’eau en 2017, 2019 et 2023.

Il faut dire qu’au plan géologique et hydrogéologique, le territoire de la région est contrasté, et même divisé en deux. Il en découle des différences importantes en termes de ressources en eau et donc pour sa gestion actuelle et future, dans un contexte marqué par le changement climatique.

On le verra à travers l’exemple de la baie du Mont-Saint-Michel, qui a fait, comme d’autres zones de la région, l’objet de projections du BRGM à l’horizon 2100.

La Normandie coupée en deux

Au plan géologique, on peut couper la Normandie en deux : le sous-sol de la partie ouest est constitué de formations géologiques anciennes (appelées socle), qui correspondent au rebord nord-est du Massif armoricain (Bretagne). La partie Est, en revanche, est constituée de roches sédimentaires essentiellement calcaires appartenant au bassin Parisien.

Carte géologique simplifiée de la Normandie. BRGM, Fourni par l'auteur

Ces différences affectent les capacités du sous-sol à retenir l’eau. Ainsi les terrains calcaires du domaine sédimentaire (partie Est) ont tendance à laisser s’infiltrer l’eau de pluie dans le sous-sol. Au contraire, les terrains de socle (partie ouest), moins perméables, ont plutôt tendance à laisser l’eau de pluie ruisseler à la surface du sol. Il en résulte un réseau de rivières très dense en domaine de socle (partie ouest) et un chevelu hydrographique beaucoup moins développé sur les terrains sédimentaires calcaires de la partie Est.

Carte du réseau hydrographique de Normandie. BRGM/IGN/OFB, Fourni par l'auteur

Des régimes hydrologiques à deux vitesses

Cette différence a un impact direct sur la dynamique des ressources en eau et leur capacité à résister aux sécheresses estivales.

  • Les roches sédimentaires calcaires de l’Est ont une certaine capacité à laisser s’infiltrer et stocker l’eau dans le sous-sol en hiver (atténuant ainsi l’ampleur des crues hivernales). Ainsi, le stock d’eau constitué va être restitué lentement aux rivières pendant l’été, ce qui permet de préserver leur débit.

  • Dans le cas des roches de socle de l’Ouest, cette capacité de stockage est plus limitée. En effet, ces roches moins poreuses (granites, schistes…) ont une moindre capacité naturelle à stocker l’eau qui y circule, essentiellement dans les zones d’altération et de fracture.

Il en découle une conséquence importante pour l’ouest de la région : les pluies importantes de l’hiver s’infiltrent peu et ruissellent facilement vers les rivières, ce qui peut provoquer des crues importantes.

Comparaison de l’évolution saisonnière du débit des rivières de socle et sédimentaires en Normandie. BRGM/HYDROPORTAIL, Fourni par l'auteur

L’eau stockée dans le sous-sol est moins abondante et se vidange plus rapidement. En conséquence, les rivières qui s’écoulent sur ces roches de socle ne bénéficient que d’un faible soutien des eaux souterraines pendant les périodes estivales : en l’absence de pluie, leurs débits peuvent devenir très faibles en été. Ces caractéristiques rendent les rivières de l’Ouest de la Normandie plus vulnérables aux sécheresses estivales.

De ce fait, l’ouest du territoire a plus souvent recours aux eaux de rivières pour satisfaire ses besoins en eau, tandis qu’à l’est, ceux-ci sont majoritairement satisfaits par des prélèvements dans les eaux souterraines.

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Effets actuels et futurs du changement climatique

Le climat normand a longtemps bénéficié d’une relative douceur et d’une régularité des précipitations tout au long de l’année, y compris l’été. Or, les relevés météo de ces 60 dernières années mettent en évidence un réchauffement d’environ 0,8 °C et une augmentation de la pluviométrie d’environ 4 % en moyenne sur cette période.

Évolution des pluies et des températures en Normandie entre les périodes 1960-1990 et 1990-2020, mois par mois. BRGM/Météo-France, Fourni par l'auteur
Évolution des pluies et des températures en Normandie entre les périodes 1960-1990 et 1990-2020, sur une base saisonnière. BRGM/Météo-France, Fourni par l'auteur

Ils montrent également des changements saisonniers dans les précipitations avec, en moyenne, des hivers et étés plus humides (respectivement +14 % et +9,1 %) et des printemps et automnes plus secs (respectivement -4,3 % et -1,2 %).

En Normandie comme ailleurs en France, le BRGM réalise pour les besoins des collectivités et des services de l’État les études d’impact du changement climatique sur les ressources en eau, à l’aide de modèles hydrogéologiques numériques. Ces derniers s’appuient notamment sur les projections d’émission de GES du GIEC et les résultats fournis par des modèles climatiques européens pour prévoir l’évolution future des débits de rivières et niveaux de nappe, en fonction de différentes trajectoires données par ces modèles.

Dans le nord-ouest de l’Europe, les modèles climatiques prévoient une augmentation des températures et une répartition saisonnière des précipitations bien plus contrastée qu’aujourd’hui, avec des hivers plus pluvieux et des étés plus secs. Dans le sud de l’Europe, les modèles climatiques convergent vers un futur globalement plus chaud et plus sec.

Dans ce contexte, la Normandie se trouve dans une situation « intermédiaire » entre le Nord et le Sud, avec des trajectoires climatiques qui peuvent diverger d’un modèle à l’autre. Ceci oblige à utiliser plusieurs modèles à la fois, au risque d’ajouter de l’incertitude aux études d’impact.

La baie du Mont-Saint-Michel en 2100

Malgré cette limite, explorons l’une des zones investiguées par ces études d’impact menées par le BRGM en collaboration avec le SDEAU50 et l’AESN : l’emblématique baie du Mont-Saint-Michel, dans le sud du département de la Manche. Pour cette étude, pas moins de cinq modèles climatiques différents ont été utilisés.

Dans le scénario de réchauffement le plus pessimiste (le RCP 8.5 du GIEC), les cinq modèles climatiques ont tous convergé vers un futur plus chaud (températures moyennes annuelles en augmentation de 3,1 à 3,6 °C en moyenne), avec davantage de pertes en eau liées à l’évapotranspiration. Ils divergent sur la pluviométrie, mais s’accordent sur les contrastes saisonniers : des hivers plus humides et des été plus secs. Les précipitations annuelles seraient en augmentation de 4,3 à 9 % selon les secteurs (valeur moyenne sur les cinq modèles climatiques).

Ces données climatiques ont alimenté les modèles hydrogéologiques afin de prévoir l’évolution future des débits des rivières dans cette partie du territoire. De grandes tendances se dégagent :

  • une augmentation du débit moyen (moyenne annuelle), qui s’explique par l’augmentation des précipitations à l’avenir,

  • une augmentation de la variabilité des débits (liée à des épisodes extrêmes plus fréquents et plus importants).

Dans cette zone qui appartient à la partie « socle » de la Normandie, les modèles s’accordent sur une baisse moyenne des débits d’étiages des rivières. On constate cependant que l’impact du changement climatique est très variable d’une rivière à l’autre, avec des baisses plus ou moins prononcées, ce que reflète le graphique suivant, qui recense les débits d’étiage projetés à l’horizon 2085 pour les principaux cours d’eau se jetant dans la baie du Mont-Saint-Michel dans le sud Manche.

Une des raisons de cette variabilité peut être recherchée dans le fonctionnement hydrologique distinct de chaque rivière et sa dépendance aux nappes phréatiques.

  • La rivière qui connaît la plus forte baisse de son débit d’étiage, la Sélune, est celle dont le débit est le plus faiblement soutenu par les eaux souterraines.

  • A l’inverse, la rivière la moins impactée par le changement climatique, la Braize, est celle dont le débit profite d’une plus forte contribution des eaux souterraines. Avec ce soutien des nappes, la Braize sera moins sensible aux sécheresses météorologiques, notamment en été, à condition que les niveaux des nappes soient hauts.

Cours de la Sélune. Wikimedia, CC BY-SA

Ces résultats, à l’échelle locale, sont cohérents avec ceux présentés dans le programme de recherche national Explore2, dont les résultats viennent d’être publiés. Ils mettent en évidence l’importance du rôle des eaux souterraines dans le soutien des débits d’étiage des cours d’eau. Ce soutien semble jouer un rôle déterminant dans les scénarios climatiques où les nappes continuent d’être correctement rechargées en hiver.

Ainsi le BRGM travaille, ailleurs sur le territoire, à mettre en œuvre d’autres études d’impact locales. En Normandie, c’est dans le Calvados que les résultats d’une étude départementale seront prochainement publiés.


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The Conversation

Pierre-Yann David a reçu des financements de : le projet dont les résultats sont présentés a été cofinancé par le BRGM, le SDEAU50 et l'AESN.

Erwan Idée ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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