L’Observatoire des Inégalités vient de sortir son Rapport sur les inégalités en France édition 2023. Sans grande surprise, celles-ci demeurent importantes entre les classes sociales et commencent dès le plus jeune âge. Ces injustices n’ont rien de naturelles et sont mêmes organisées politiquement.
La fracture sociale commence à la naissance et s’accentue ensuite dans le monde du travail, tout au long de la carrière jusqu’à la retraite, contribuant à perpétuer les inégalités de génération en génération. Cette fracture trop souvent passée sous silence dans les médias, pour le bénéfice des classes favorisées, peu enclines à remettre en question leurs privilèges.
Le Rapport sur les inégalités en France, édition 2023 vient de sortir !
160 pages, 100 tableaux et graphiques, un dossier spécial sur la fracture socialehttps://t.co/SmEgg4ocdf
— Observatoire des inégalités (@Obs_ineg) June 8, 2023
Inégalités scolaires
Dans le domaine de l’éducation, les inégalités démarrent dès l’école primaire pour se perpétuer jusqu’à l’accès aux études supérieures et au niveau de diplômes.
L’école française favorise à outrance les enfants de diplômés, qui accaparent les places dans les bonnes filières.
Dès le primaire, le lien entre l’origine sociale des élèves et leur réussite se manifeste : « 42 % des élèves scolarisés dans les écoles les plus défavorisées ont une compréhension satisfaisante des mots à l’oral, par exemple, contre 75 % de l’effectif des autres écoles publiques ». La proportion demeure similaire pour l’amélioration des résultats entre le CP et le CM2.
À la fin du collège, les enfants d’ouvriers sont sur-représentés dans les classes de CAP et de BAC professionnels à hauteur de 30% des effectifs contre respectivement seulement 4,5% et 8% des enfants de cadre qui comptent par contre pour 30% des effectifs en BAC général et technologique. Selon la même logique, les enfants d’ouvriers ne forment que 10 % des étudiants à l’université – trois fois plus d’enfants de cadres – et 7 % dans les classes préparatoires aux grandes écoles.
Dans le temps, malgré une augmentation de l’accès global à l’enseignement supérieur, on note une accentuation de l’écart entre les classes sociales bénéficiant principalement aux enfants de cadres. Au terme de leur scolarité, les enfants issus des classes aisés sont plus diplômés et ont donc plus facilement accès aux emplois les mieux rémunérés et valorisés.
Inégalités de travail
Au travail, les cadres commandent et les ouvriers exécutent dans des conditions de pénibilité parfois extrêmes.
Le chômage impacte différemment selon le niveau d’étude, l’âge, le genre et l’origine ethnique. Le taux d’ouvriers peu qualifiés au chômage est ainsi 4,5 fois supérieur à celui des cadres, atteignant 17%, et celui des personnes sans diplôme 3 fois supérieur à celui de bac +3 ou plus. Les moins de 25 ans constituent la tranche d’âge la plus touchée par le chômage avec un taux de 17% d’actifs en recherche d’emploi, soit trois fois plus que les 25-49 ans. Quand les jeunes trouvent un emploi, il s’agit dans la moitié des cas d’un contrat précaire.
Concernant les inégalités de genre et les discriminations racistes, on compte 2,5 fois plus de femmes travaillant en temps partiel subi. Les personnes racisées ou immigrées subissent un taux de chômage presque deux fois plus élevé que celui du reste de la population à âge, niveau de diplôme et catégorie socioprofessionnelle comparables.
L’Observatoire des inégalités constate certes, une amélioration de l’emploi après une forte montée du chômage liée à la crise de 2008 mais cette amélioration est en partie liée à une hausse de l’apprentissage et à la création d’emplois précaires. Et plutôt que de poursuivre une dynamique positive en s’attaquant ensuite aux salaires trop bas, à la précarité et aux conditions de travail, l’Observatoire pressent que « la baisse du chômage pourrait n’être qu’une phase dans un cycle où les jeunes, les moins diplômés et les immigrés continuent de servir de variables d’ajustement aux aléas de l’économie et aux exigences des catégories stables et aisées. »
Inégalités de revenus
L’amélioration actuelle de l’emploi ne doit pas masquer la précarité persistante de millions de salariés qui vivent au jour le jour ou avec un horizon de vie très court.
Le niveau de vie médian s’établit à 1 880 euros par mois (pour une personne seule après impôts et prestations sociales selon des données de 2020). À ne pas confondre avec le niveau de vie moyen, ici cela signifie que la moitié de la population gagne moins de 1880 euros par mois quand l’autre moitié gagne plus. Le seuil de pauvreté étant fixé à 50% du niveau de vie médian – 940 euros par mois – cela concerne 4,8 millions de personnes soit 7,6 % de la population française.
Les écarts de salaire sont la cause principale des inégalités de niveau de vie. Ainsi : « les 10 % les mieux rémunérés en équivalent temps plein touchent plus de 4 000 euros net par mois, soit 2,9 fois plus que le salaire maximum des 10 % les moins bien payés ». Ces écarts se creusent davantage chez les indépendants et les chefs d’entreprise. En haut de l’échelle, les patrons les mieux payés perçoivent une rémunération qui peut atteindre des milliers de fois le SMIC.
Des différences qui se répercutent logiquement à terme dans la constitution des patrimoines. Les ménages les plus favorisés pouvant se permettre d’accumuler biens et numéraires tout au long de leur vie puis de les transmettre à leurs enfants. Ainsi :
les 10 % des ménages les plus fortunés possèdent plus de 716 000 euros, contre 4 400 euros pour les 10 % les moins dotés.
Dans le contexte actuel de forte inflation des prix de l’alimentaire, de l’essence et de l’énergie, les ménages modestes sont les impactés : un Français sur deux se retrouve à sauter un repas, à restreindre le chauffage de leur logement et leurs loisirs. Alors que les plus aisés peuvent puiser dans leur épargne pour faire face à l’augmentation du coût de la vie.
Inégalités de vie
Les différences de revenus impactent directement les ménages les plus modestes au niveau des loisirs, de la santé et l’espérance de vie. La part des loisirs est fortement corrélée aux moyens financiers et au niveau d’éducation : « 71% des cadres vont au théâtre ou à un concert au moins une fois par an, contre 38% des employés et ouvriers ; 87 % des cadres pratiquent un sport contre 53 % des ouvriers. » Concernant les vacances, deux tiers des catégories supérieures partent au moins quatre jours par an, tandis que la moitié des ouvriers et des employés en sont privés.
Pour ce qui touche à la santé, les classes populaires sont plus sujettes au non-recours en plus d’être davantage touchées par certaines affections comme le diabète ou l’obésité. A terme, alors qu’un ouvrier a une espérance de vie de 77 ans environ, celle d’un cadre est supérieure de six années, dont cinq de retraite.
À la télévision et en politique, la faible et mauvaise représentation des classes populaires contribuent à l’invisibilisation des problématiques les concernant particulièrement.
Ouvriers et employés, absents du Parlement, sont aussi largement invisibles dans les médias.
Selon l’Arcom, les ouvriers représentent seulement 2% des personnes visibles à la télévision contre 65% de cadres. L’Assemblée nationale comprend 6% de députés issus de la classe des ouvriers et des employés alors même que ces catégories populaires représentent près de la moitié de la population active.
En plus de créer une vision déformée de la société française, cela conduit à une désaffectation de ces populations pour la participation aux scrutins électoraux. Et pourtant :
« entendre plus souvent la parole des ouvriers et des employés dans les médias et
dans les instances politiques, tenir compte des contraintes et de la réalité des modes de vie de l’ensemble des milieux sociaux, constituent des préalables indispensables à la construction de politiques efficaces et justes.»
Comme le résume Louis Morin, fondateur et directeur de l’Observatoire des inégalités :
« Les classes favorisées font tout pour éviter qu’on mette le sujet des classes sociales sur la table. Tout en prônant l’individualisme, elles savent s’organiser en groupes de pression actifs (think tanks, corporations, lobbys, etc.) pour défendre leurs privilèges. Elles militent, par exemple, contre toute réforme en profondeur du système éducatif ou pour la déréglementation du marché du travail qui affaiblit les catégories populaires. Elles mettent parfois en avant des inégalités qui jouent, elles aussi, un rôle central, comme le sexisme ou les discriminations, mais qui ont l’avantage pour les milieux privilégiés de ne pas remettre en cause en profondeur l’ordre social et donc leur position dans la hiérarchie. »
Et de conclure : « Pour avancer, il faut partir de constats factuels, comme le fait ce Rapport sur les inégalités en France, puis se réunir autour d’une table pour élaborer des compromis sociaux entre des opinions divergentes. Encore faudrait-il que les classes dirigeantes françaises le souhaitent. Pour l’heure, elles préfèrent jouer avec le feu électoral. »
Pour commander le rapport, rendez-vous à cette adresse.
– Stéphanie Barret
Photo de couverture de RDNE Stock project
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