L’annonce de huit nouveaux forages dans le bassin d’Arcachon a mis en lumière l’existence d’une filière nationale du pétrole qui produit 1 % de notre consommation. Pourtant, des activités pétrolières et gazières ont été développées en France depuis la Seconde Guerre mondiale. Retour sur une activité industrielle confidentielle.
Des hydrocarbures pour reconstruire la France
C’est un fait peu connu mais un des plus vieux sites d’exploitation pétrolière en Europe se situe en France, à Pechelbronn en Alsace, où, dès la Renaissance, le pétrole était extrait du sous-sol, à l’époque surtout pour graisser des outils et produire des remèdes.
Il faut cependant attendre le XXe siècle et le cadre du code minier renouvelé de 1956 pour que l’essentiel de l’activité d’exploration et d’exploitation des hydrocarbures en France soit développé. La Seconde Guerre mondiale a mis en lumière la dépendance française en pétrole et il s’agit pour la France de sécuriser ses approvisionnements dans une filière dominée par les entreprises américaines, anglaises et hollandaises. C’est le service de conservation des gisements d’hydrocarbures qui organise alors le suivi et le contrôle de l’activité pétrolière sur le territoire mais aussi les activités des sociétés pétrolières françaises à l’étranger notamment dans les colonies africaines. Au-delà de la seule exploitation sur le sol national, la particularité de la filière française est d’avoir su développer une expertise et une industrie parapétrolière sans commune mesure avec les volumes extraits sur le sol national. Les entreprises Schlumberger et Technip par exemple fournissent des outils de prospection, d’ingénierie et de forage.
Le ministère de la Transition écologique indique que plus de 600 concessions ont été octroyées depuis 1956. Deux zones sont principalement exploitées : les bassins parisien et aquitain. En Seine-et-Marne, le pétrole est découvert en 1958 et plus de 2000 puits sont forés (Chaunoy, Itteville, Villeperdue), produisant un total de 285 millions de barils. En Aquitaine, c’est principalement autour des lacs côtiers que la production se concentre (Cazaux, Sanguinet, Parentis) pour atteindre 220 millions de barils (en comparaison, la France importe environ 300 millions de barils par an aujourd’hui soit 42 millions de tonnes équivalent pétrole). Plus au Sud, dans les Pyrénées-Atlantiques, du gaz est également produit à Lacq et à Meillon, à partir de la fin des années 1960. Depuis lors, ces exploitations ont permis une extraction totale de plus de 300 milliards de m3 de gaz (soit 31 TWh au total en comparaison d’une consommation nationale annuelle d’une centaine de TWh en 1970 et de 640 TWh en 2022), et de développer une industrie chimique locale. Ces projets font cependant l’objet d’oppositions locales, notamment autour de Lacq dont le complexe industriel génère d’importantes pollutions, mais qui sont balayées au nom de l’intérêt général. Le monde agricole qui est la première victime ne possède pas les ressources suffisantes pour s’opposer au récit modernisateur dominant durant les « 30 Glorieuses ».
Le déclin des gisements et de l’intérêt politique
Jusque dans les années 1990, l’exploitation pétrolière est opérée par des compagnies publiques comme ERAP-Elf/Elf Aquitaine – qui deviendra Total, et privées comme Esso. Mais les gisements sont en déclin et ces grandes compagnies vont progressivement transférer leurs concessions à de plus petites compagnies qui vont les optimiser. Vermilion est un bon exemple de ce processus. La compagnie canadienne entre sur le marché français en 1997 en reprenant les actifs d’Exxon, puis de Total en 2012. Elle « réactive » les puits avec succès et permet de relancer la production. La compagnie est aujourd’hui la première productrice de pétrole en France avec plus de 12000 barils par jour.
Malgré tout, le départ des grandes compagnies signe le déclin de l’intérêt politique pour cette filière de l’exploration-production dans un monde de plus en plus globalisé. La réactivation des anciens puits ne relance pas l’exploration. Les services de l’État en charge des permis sont progressivement marginalisés au sein de l’administration tandis que l’agenda de l’Union française de l’industrie pétrolière se déplace vers les enjeux de l’aval (raffinerie/station-service) et que la chambre syndicale voit ses ressources se réduire.
De l’échec des hydrocarbures non conventionnels à la Loi Hulot
Une tentative de renouveau se déploie malgré tout dans les années 2000 autour des hydrocarbures non conventionnels comme le gaz et le pétrole de schiste qui nécessitent l’emploi de techniques particulières car ils sont emprisonnés dans des réservoirs non conventionnels, peu perméables ou poreux. C’est le cas du forage dévié (déjà mis en œuvre en Aquitaine) et de la fracturation hydraulique (également utilisée pour stimuler les réservoirs en fin de vie). En France, plusieurs permis d’exploration sont octroyés entre 2009 et 2010 qui ciblent du gaz de schiste entre le Larzac et la Drôme et du pétrole de schiste en Seine-et-Marne. De nouvelles compagnies apparaissent alors pour faire de l’exploration comme Schuepbach, ce qui irrite les compagnies déjà présentes qui les voient comme des start-up spéculatives qui pourraient mettre en danger leurs activités conventionnelles. Vermilion ne soutient pas directement cette vague vers les non conventionnels. Pourtant, c’est la seule compagnie à avoir produit du pétrole de schiste grâce à un test de fracturation hydraulique sur un de ses anciens puits parisiens avant que celle-ci ne soit interdite.
Mais ces nouveaux permis déclenchent finalement une mobilisation sociale dont le porte-parole José Bové parvient assez rapidement à mettre à l’agenda un problème environnemental. En moins de six mois, les opposants parviennent à obtenir l’interdiction de la fracturation hydraulique (Loi Jacob, 2011) et les permis ciblant du gaz et du pétrole de schiste sont annulés. Entre-temps, le site de Lacq dans les Pyrénées-Atlantiques est arrivé en fin de vie (un champ gazier ou pétrolier permet en moyenne cinquante ans d’exploitation). L’activité est arrêtée en 2013, et seule une production résiduelle continue à fournir les sites de l’industrie de la chimie qui subsistent à Lacq.
Dans les années qui suivent, les mobilisations continuent notamment autour de l’exploration du gaz de couche en Lorraine par la Française de l’Énergie, jusqu’à ce que la Loi Hulot de 2017 vienne mettre fin à toute utilisation de procédés de stimulation, à la délivrance de nouveaux permis d’exploration et cible la fin des concessions en 2040. La loi a depuis vu ses ambitions limitées, notamment sous les coups de boutoir de la filière organisée autour du député des Pyrénées-Atlantiques David Habib (Parti socialiste puis Parti radical de gauche) qui permet de sauvegarder une production fossile lorsque celle-ci est considérée comme nécessaire au bon fonctionnement d’un site industriel.
Aujourd’hui, ces huit nouveaux puits viennent réactiver, comme le gaz de schiste en son temps, la politisation de cette filière nationale oubliée. Face à la mobilisation de figure emblématique du militantisme environnemental, comme Greta Thunberg, les tentatives de Vermilion pour apparaître comme vertueux en matière de transition, avec par exemple le chauffage de l’éco-quartier de la Teste-de-Buch grâce aux calories récupérées dans les fluides pétroliers, semblent dérisoires.
Mais au-delà de ces gisements de pétrole, la fin des hydrocarbures ne signera pas celle des activités d’extraction de ressources du sous-sol : la start-up française 45-8 Energy prévoit l’extraction d’hélium dans la Nièvre tandis que la Française de l’Énergie cible la production d’hydrogène natif en Lorraine. Les débats sur le sous-sol français ne font que commencer.
Sébastien Chailleux a reçu des financements de l'ANR et de France 2030.