Lorsque la Russie a envahi l’Ukraine en février 2022, les prix de l’énergie se sont envolés. Celui du quota de CO2 sur le marché européen du carbone a perdu un bon tiers de sa valeur. Certains ont alors cru que le système n’allait pas résister à la flambée des prix énergétiques.
Un an après, le prix du quota se porte bien. Depuis le début d’année 2023, il a gagné plus de 15 %. Le 27 février, le prix du contrat à terme à échéance d’un an a atteint la barre symbolique de 100 €/t. Le prix spot, réglé au comptant, a atteint un pic historique de 97€.
Pour comprendre ces mouvements de prix, il faut rappeler les principes sur lesquels repose le marché européen des quotas carbone, le principal instrument de la stratégie européenne d’atténuation du changement climatique.
Un mécanisme de rationnement avec flexibilité
Complexe dans sa mise en œuvre, le principe de base du système d’échange des quotas de CO2 est en fait d’une grande simplicité. Il s’agit d’un mécanisme de rationnement avec flexibilité.
Le rationnement est imposé aux industriels soumis au système par la fixation d’un plafond global d’émission à ne pas dépasser. Si ce plafond est contraignant, il crée de la rareté sur le marché ce qui fait monter le prix du quota. S’il est laxiste, le prix aura au contraire tendance à baisser. S’il n’y a plus aucune contrainte, le prix tendra vers zéro.
La flexibilité résulte de la possibilité pour les industriels soumis au système d’échanger les quotas qui sont autant de droits à émettre une tonne de CO2. Chaque année, ces industriels doivent restituer autant de quotas qu’ils ont émis de CO2. S’ils font défaut, ils payent une pénalité dissuasive. Plus le prix du quota est élevé, plus il devient coûteux d’émettre une tonne de CO2. Les acteurs du système sont alors incités à réduire leurs émissions.
Prix du quota et objectifs climatiques
Durant la décennie 2010, le dispositif n’a pas été contraignant pour une raison de fond. L’objectif climatique de l’Union européenne – une baisse de 20 % des émissions de gaz à effet de serre entre 1990 et 2020 – n’était pas contraignant. La meilleure preuve : l’objectif a été atteint dès 2013 comme l’indique l’inventaire européen des émissions qui sert de juge de paix en la matière. Pas besoin d’un système de quota pour viser un objectif déjà atteint !
Face à cette situation, la Commission est parvenue à apposer quelques rustines au système en mettant sur pied une « réserve de stabilité » à partir de 2018. Cette réserve a retiré des quotas du marché, ce qui a fait remonter le prix aux alentours de 20 €/t.
La donne a totalement changé en décembre 2021 quand les chefs d’État européens ont relevé l’objectif de réduction d’émission à 55 % à l’horizon 2030, contre 40 % antérieurement. L’engagement a été déposé auprès des Nations unies au titre de la contribution de l’Union européenne à la réalisation de l’Accord de Paris. Il est donc inscrit dans le marbre.
Le marché n’a pas été long à réagir. Le prix du quota est remonté en quelques mois au-dessus de 80 €/tonne. À ce prix-là, l’électricité décarbonée devient très rentable relativement à celle produite à partir du gaz ou du charbon.
La remontée du prix du quota alourdit aussi le coût de production de l’acier dans des hauts fourneaux où le charbon est utilisé à la fois comme combustible et comme agent réducteur du minerai de fer. En France, les deux installations les plus émettrices de CO2 sont les deux hauts fourneaux d’Arcelor Mittal basés à Foss et à Dunkerque. Dès que le prix du quota de CO2 a dépassé 80 €, l’industriel a sorti de ses cartons des projets d’investissement pour reconvertir ces deux complexes industriels vers le bas carbone.
Les impacts de la guerre en Ukraine
Arrive la guerre en Ukraine. Les prix du charbon et du gaz utilisé en Europe s’envolent, du fait de la grande dépendance de l’UE aux approvisionnements russes. Celui du pétrole remonte également, mais dans des proportions moindres. Cette envolée des cours assombrit les perspectives macroéconomiques et incite à la baisse des consommations de gaz et de charbon.
Ces deux variables économiques conduisent logiquement à une correction à la baisse du prix du quota. Il s’y ajoute un facteur politique. Face à la flambée des prix de l’énergie, les gouvernements européens rivalisent d’inventivité pour mettre en place des boucliers tarifaires pour protéger citoyens et industriels face à l’envolée des prix.
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Parmi la panoplie des mesures, certains pays souhaitent suspendre le système des quotas qui renchérit le coût des énergies fossiles. C’est notamment le cas de la Pologne qui le réclame officiellement lors du Conseil européen de l’énergie d’août 2022.
Ces tentatives n’aboutissent pas. Non seulement le système n’est pas suspendu, mais le Parlement et le Conseil européen parviennent le 17 décembre 2022 à un accord politique pour mettre en œuvre les propositions de réforme préparées par la Commission. Cela renforce la crédibilité politique du marché des quotas de CO2.
La remontée du prix du quota : une arme anti-charbon
Outre le renforcement de la crédibilité politique, la forte remontée du prix du quota en janvier et février 2023 répond aussi à la baisse du prix du charbon simultanément observée sur le marché de l’énergie.
La détente du prix du charbon est apparue sitôt que les risques de rupture d’approvisionnement sur le système électrique, élevés à l’approche de l’hiver, se sont atténués. Elle a été forte et rapide, car l’industrie avait constitué des stocks de précaution dans le nord de l’Europe qui n’ont pas été utilisés.
Dans une économie sans régulation carbone, un prix du charbon qui baisse, ce sont des consommations et donc des émissions de gaz à effet de serre en plus. Surtout quand il existe des substitutions possibles entre combustibles, ce qui est le cas à une assez grande échelle en Europe entre le charbon et le gaz.
Avec le système d’échange de quotas, l’Union européenne va largement échapper à cet enchaînement pervers. La baisse du prix du charbon est en effet contrariée par le renchérissement des quotas de CO2. Le système d’échange des quotas agit ainsi comme une arme anti-charbon. C’est précieux au moment où il faut accélérer la transition énergétique pour être au rendez-vous du -55 % de réduction des émissions nettes de gaz à effet de serre pour 2030.
Christian de Perthuis does not work for, consult, own shares in or receive funding from any company or organization that would benefit from this article, and has disclosed no relevant affiliations beyond their academic appointment.