Le Tour de France, révélateur d’un patrimoine géologique national

4 months ago 42

Le Tour de France cycliste est un élément de notre patrimoine national. A tel point que des parlementaires ont demandé son inscription au Patrimoine culturel immatériel de l’Unesco en 2019.

Ils soulignaient, dans cette proposition, que :

« Le Tour, ce n’est pas que du sport et, sans son public, il ne serait pas un tel monument, le seul spectacle de cette nature au monde à la fois populaire et gratuit. […] Que ce soient les amateurs de sport, de géographie, d’architecture, d’histoire… tous, devant notre télévision, avons toujours plaisir à regarder ces images présentant plus particulièrement notre pays du Nord au Sud et d’Est en Ouest. »

La compétition est suivi par les amateurs de cyclisme mais aussi, pour un tiers des téléspectateurs, pour ses paysages. Le Tour déborde donc largement de la seule compétition sportive. Il offre un moment de vie partagé – et par là, du lien social – à ses spectateurs et téléspectateurs. Mais aussi, à travers ses différentes étapes sillonnant le paysage français, une formidable leçon de géologie, distillée sur France Télévisions par le présentateur du Tour de France (Franck Ferrand depuis 2017).

Depuis 2015, ce commentaire sur les paysages traversés est réalisé avec l’aide d’un document produit par moi-même pour le MNHN, avec la collaboration depuis 2022 de Pierre Thomas, professeur émérite à l’ENS Lyon. Le document est accessible sur les sites du Tour de France, du MNHN, de la Société géologique de France, Planet Terre (ENS Lyon), la Société géologique du Nord (SGN), l’association géologique Audoise (AGA) (au format papier) ainsi que l’Université d’Utrecht qui tient un site Géologie et Tour de France.

Pour l’édition 2024 du Tour, nous le reproduisons sur The Conversation France, avec un texte par semaine de compétition afin de souligner les caractéristiques géologiques marquantes des étapes.


Pour suivre au plus près les questions environnementales, retrouvez chaque jeudi notre newsletter thématique « Ici la Terre ». Abonnez-vous dès aujourd’hui.


Lien social et moments de vie partagés

Dans leur demande d’inscription à l’Unesco, les parlementaires français évoquaient aussi le pouvoir fédérateur du Tour :

« Cette compétition nous rassemble tous au-delà de nos origines, de nos convictions ou de nos parcours. »

Chaque année, dix à douze millions de spectateurs se pressent sur le bord de la route. Plusieurs générations se côtoient et apprécient autant le ballet des hélicoptères que la course elle-même que leur approche annonce. Le Tour offre une vie partagée. Il est un grand rite tous les ans renouvelé. Ils sont intéressés par la course et par tout ce qui l’entoure : caravane de véhicules, motards, ballets d’hélicoptères, journalistes… 80 % du public est français, et la moitié vient avec des enfants.

Un public cosmopolite se presse le long des routes, et échange avec les voisins d’un jour. Florian Pepellin, CC BY-SA

Il est évoqué comme une Madeleine de Proust par certains. Il suscite toutes sortes de sentiments, de l’indulgence amusée pour les uns à la nostalgie littéraire pour d’autres, d’Antoine Blondin à Eric Fottorino en passant par Louis Aragon, jusqu’à l’académicien Erik Orsenna

Le peintre Salvador Dali, par ailleurs auteur d’une gravure signée illustrant l’arrivée du Tour, se lamentait de son vivant :

« Quand finit le Tour de France, je sens qu’il manque quelque chose, une grande partie de l’enchantement paradisiaque de mon été vient de se terminer. »


À lire aussi : Le Tour de France, une expérience patrimoniale totale ?


La géologie derrière les paysages français

La compétition est regardée à la télévision par des millions de personnes, dont une proportion non négligeable la suivent principalement pour les paysages, dans lesquels la géologie joue un rôle prépondérant.

Lors de l’Année internationale de la planète Terre en 2008 déjà, la mission française avait mis l’accent sur le fait de « faire connaître » la géologie de notre planète. Le Tour de France fut proposé comme occasion de le faire. Plusieurs possibilités ont été testées, dont une approche par des clips vidéo, qui n’a touché qu’une partie des téléspectateurs.

L’autre possibilité était de permettre un commentaire, certes bref, mais pendant l’étape. Il peut toucher tout le monde, même ceux qui, a priori, ne sont pas attirés par la géologie. Ainsi, comme Monsieur Jourdain, le grand public peut faire de la géologie sans le savoir.

Pour atteindre cet objectif il fallait fournir un document approprié au commentateur « culturel » (Franck Ferrand actuellement) qui soit une aide au commentaire pour chacune des étapes.

La géologie au cœur du commentaire télévisé

La difficulté fut alors d’abord d’obtenir les bonnes informations tout au long du circuit, mais surtout de savoir les présenter de manière appropriée aux téléspectateurs du Tour de France. Titulaire d’un DEA en Histoire moderne et animateur féru d’histoire, Franck Ferrand n’hésite pas à souligner quelques points d’histoire des sciences (géologiques) ou un élément particulier du paysage.

[Déjà plus de 120 000 abonnements aux newsletters The Conversation. Et vous ? Abonnez-vous aujourd’hui pour mieux comprendre les grands enjeux du monde.]

Il convenait d’abord de disposer des détails de l’itinéraire en amont pour effectuer les recherches pendant l’hiver. Après plusieurs rencontres avec Franck Ferrand, un modus operandi fut trouvé : le document fourni pour chaque étape devait être court, aéré, illustré de schémas. Nous nous sommes attachés à montrer combien la nature du sol et du sous-sol influe sur les paysages, sur la biodiversité, et, bien sûr, jusque sur les activités humaines (architecture, productions agricoles…).

Surtout, nous nous devions de bannir toute explication nécessitant plus de quelques secondes. Car les commentaires sur le paysage interviennent avant tout… quand la course le permet. C’est en effet, la limite de l’exercice : quand la course est débridée, lors du passage des grands cols par exemple, il n’est pas question de parler des paysages ou de nos cailloux !

Vue, au petit matin, de la tour des Archers sur les hauteurs de Chignin, en Savoie. En arrière-plan se distingue le mont Granier. De son effondrement au XIIIᵉ siècle (1248) sera rayée de la carte la ville d’alors et sur les éboulis sera développé le vignoble d’Apremont qui est aujourd’hui une fierté de la région. Ce paysage sera visible lors de la 5ᵉ étape antre Saint-Jean-de-Maurienne et Saint-Vulbas, au passage de Chambéry. Florian Pepellin, CC BY-SA

En revanche, quand un message passe, il est entendu par une moyenne de 4 millions de personnes (avec des pointes à 8 millions) pour les seules 2 chaînes de France Télévision. Mais le Tour est aussi retransmis par 76 autres chaînes TV, dans 170 pays, et certaines se contentent de traduire ce qui se dit en français. Cela permet de montrer que la géologie n’est pas réservée à quelques initiés mais qu’elle concerne chaque citoyen dans son quotidien.

Cette année encore, entre Florence et Nice – les Jeux olympiques ont repoussé la course loin de Paris – la géologie devrait être présente dans les propos de Franck Ferrand qui, à ma demande, n’utilisera pas trop le mot « géologie », qui semble faire peur au public.

The Conversation

Patrick De Wever ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

Read Entire Article