Les grands impensés du plan écologique d’Emmanuel Macron

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Emmanuel Macron devant un parterre de tournesols, aux côtés du Premier ministre du Luxembourg Xavier Bettel. EU2017EE Estonian Presidency/Raul Mee, CC BY

Le 25 septembre dernier, à l’issue d’un conseil de planification écologique, Emmanuel Macron twittait : « Nous avons un plan. Il est déjà à l’œuvre », accompagné d’une vidéo cherchant à démontrer le sérieux et la constance de l’engagement du président en faveur de l’écologie depuis 2017.

Mais est-ce vraiment le cas ? Tout indique que non, la faute à une vision technocratique des enjeux, qui cherche à optimiser le modèle, sans le changer.

Une montée en puissance depuis deux mandats

Le programme de 2017 n’a pas brillé par son volet écologique. Le changement climatique est certes évoqué, de même que la sortie du charbon, la transition écologique et la rénovation des logements, mais sans beaucoup plus de précisions sur la façon d’y parvenir.

Le programme de 2022 est plus offensif. Tout d’abord, un constat : les transports représentent 30 % de nos émissions, l’agriculture 19 %, comme l’industrie, le bâtiment 18 %, l’énergie 10 % et les déchets 3 %. À partir de là, un programme : atteindre la neutralité carbone d’ici 2050, au moyen d’un déploiement « massif » d’énergies renouvelables et de six voire quatorze nouveaux réacteurs EPR ; proposer une offre de voitures électriques françaises en leasing ; accentuer la rénovation énergétique et notamment le remplacement des chaudières.

Le premier conseil de planification écologique, le 28 janvier 2023, s’est montré plus didactique. Le président se félicite que les émissions ont baissé deux fois plus vite entre 2019 et 2022, par rapport aux tendances antérieures, suggérant par là que l’action du gouvernement est très positive. Mais attention : pour atteindre la neutralité carbone, le rythme doit encore doubler, soit être quatre fois plus rapide qu’avant 2019.

À cette occasion, le programme est affiné. En matière de transports, la mesure la plus efficace – et la plus rentable – serait l’électrification des véhicules particuliers ; et ensuite le financement des infrastructures ferroviaires, notamment de type RER. Dans le domaine agricole, la voie serait celle d’une réduction des intrants, aider les jeunes à s’installer avec de nouvelles méthodes, et planter un milliard d’arbres. Dans le domaine du bâtiment, l’effort concerne plus particulièrement les acteurs collectifs, publics et privés. Enfin, on apprend que les 50 sites les plus polluants sont en voie de décarbonation, et que l’industrie a déjà beaucoup réduit ses émissions depuis 1990, certes pour partie parce que la France s’est tertiarisée.

Avec deux leçons :

L’écologie du « il n’y a plus qu’à »

À entendre l’exécutif, en janvier, les pistes seraient identifiées, et maintenant tout ne serait plus affaire que « d’exécution ». Constatant qu’« on n’y est pas encore », et que le chemin pour y arriver sera « très dur », le président se veut rassurant : si on innove, si on met de la bonne volonté, de la transparence et de l’accompagnement, nous y arriverons.

Le plan est formalisé le 23 juillet 2023 dans le plan France nation verte. Pas de grand changement, mais quelques évolutions :

  • Sur le volet transport, la voiture électrique légère est mise en avant, ainsi que le vélo, le transport en commun et le covoiturage.

  • Dans le bâtiment, il s’agit d’une sortie du fioul par les pompes à chaleur.

  • Dans l’industrie, la voie est l’efficacité énergétique, l’énergie biomasse et la séquestration de carbone.

  • Le plan réitère les objectifs en matière de nucléaire, annonce un doublement des renouvelables d’ici 2030 (solaire et éolien), ainsi qu’un triplement de la chaleur livrée par réseau.

  • Et il ajoute des objectifs en matière de biodiversité et d’usage de l’eau.

Le second conseil du 25 septembre conserve ces orientations. L’inflexion industrielle est renforcée. Les batteries, voitures et même matières premières (lithium) seront françaises. La France portera également en Europe la voie d’une sortie du charbon, d’une écologie créatrice de valeur économique, de souveraineté.

Le projet de budget 2024 va dans le même sens, tout en étant plus difficile à décrypter, en raison des jeux usuels entre catégories budgétaires, telle ou telle activité pouvant être brutalement considérée comme « verte », suivant le sens qu’on veut lui donner. L’effort sur la rénovation sera accru, et enfin le nucléaire bénéficiera 1,5 milliard supplémentaire de soutiens.

La planification écologique à l’épreuve des promesses

Comment jauger de l’ambition ? Le point de départ très optimiste d’Emmanuel Macron est déjà à relativiser. La baisse « deux fois plus rapide » vantée par le président entre 2019 et 2022 n’était en réalité qu’un retour à la trajectoire initialement affichée par le gouvernement Hollande, dont Emmanuel Macron était ministre, comme le rappelle la Stratégie nationale bas carbone. Elle a aussi été bien aidée, avons-nous dit, par la pandémie de Covid, ainsi que par des hivers particulièrement doux et la guerre en Ukraine, comme le relève le Réseau Action Climat.

Ce plan garantit-il de vraiment mettre les bouchées doubles sur les réductions d’émissions, comme il le faudrait pour atteindre la neutralité carbone ? Il est permis d’en douter. En effet, dans le fond, il mise surtout sur la décarbonation des énergies et l’efficacité énergétique dans les bâtiments, ainsi que la réorientation des usages de la biomasse des particuliers vers l’industrie.

Sur le premier volet, la « sortie du charbon » tant mise en avant par le président fait sourire. Il y a belle lurette que la France importe du pétrole et du gaz, qui représentent 65 % de l’énergie finale consommée. Le charbon, c’est 3 %. La sortie est donc déjà faite. Mais les fossiles représentent toujours la part du lion.

L’avantage des renouvelables sur le nucléaire

Il faut donc décarboner au plus vite. Or le déploiement des nouvelles centrales nucléaires prendra du temps, s’il a lieu (voir par exemple les déboires des EPR : il ne sera pas au rendez-vous avant plusieurs années, alors que la cible à atteindre est dans sept ans.

Le choix du nucléaire, outre les risques induits (risque d’accident, question des déchets…), est aussi celui de la lenteur. Le déploiement des renouvelables est potentiellement plus rapide, car les acteurs mobilisables sont beaucoup plus nombreux, puisque ce sont tous ceux qui disposent d’un peu de surface : églises, parkings, agriculteurs, supermarchés, toits… Se baser sur les renouvelables favoriserait en outre une forme de « pédagogie de la sobriété » de par son appropriation par les usagers.

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Mais le plan ne va pas dans ce sens. Le Réseau Action Climat relève le retard de la France en la matière. Et de fait, la production de renouvelables n’a augmenté que d’un tiers depuis 1990.

Dans le bâtiment aussi, les leviers à activer restent flous. La rénovation énergétique reste très en deçà de ce qui serait nécessaire : entre 50 et 100 000 par an au lieu de 350 à 400 000. Il est dit qu’il faut mobiliser les acteurs privés et publics, mais rien n’est clairement dit à leur sujet, sinon qu’ils sont plutôt à la traîne. Il reste donc les promesses de pompe à chaleur.

Les mesures prises dans le transport sont quant à elles totalement dépendantes de la mise en œuvre de la sobriété. Plus de transport conduit à plus d’étalement urbain, toutes choses égales par ailleurs ; de même que le télétravail tant vanté : les télétravailleurs réguliers habitent plus loin de leur travail que les autres. La seule manière de garantir l’atteinte des objectifs serait qu’ils soient entièrement appropriés par la population. Or, ce n’est pas le cas : les Français sont confortés dans le culte de « la bagnole », que le plan se contente d’électrifier.

Un plan qui élude 50 % des émissions

Enfin, le plan d’Emmanuel Macron se réfère exclusivement aux émissions nationales de gaz à effet de serre, tout comme la Stratégie nationale bas carbone. Or le mode de vie français a des implications plus vastes. En achetant des ordinateurs en Chine, par exemple, la France provoque des émissions hors de son territoire.

Or, si les émissions nationales étaient de 403 MtCO2e en 2022, l’empreinte carbone, ou émissions « nettes », qui tient compte des importations et exportations, s’élevait à environ 623 MtCO2e, soit 50 % de plus. Et comme la part extraterritoriale a nettement augmenté, l’empreinte carbone en a fait autant, puisqu’elle n’était encore « que » de 575 MtCO2e en 2021…

Ne pas se soucier de l’empreinte carbone, plus largement, c’est ne pas réellement se soucier d’un changement dans les modes de vie. Le plan du gouvernement vise seulement à les décarboner et en améliorer l’efficacité globale, pas réellement à en restreindre l’expansion – et le cas du numérique est à cet égard exemplaire. Tel est le paradigme de la « croissance verte », monde dans lequel chacun peut et doit chercher à devenir milliardaire, tout en protégeant la planète.

The Conversation

Fabrice Flipo ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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