Panem et circenses, « du pain et des jeux », disaient les Romains de l’antiquité. Le 26 juillet prochain, quatre milliards de téléspectateurs – presque la moitié de l’humanité – visionneront les Jeux olympiques de 2024, avec une grosse dizaine de millions de visiteurs attendus à Paris.
Comme lors de chaque mégaévénement, sportif ou non d’ailleurs, se pose la question de son bilan environnemental, social et économique. Et en particulier sa compatibilité avec les objectifs climatiques internationaux. Les JO de Paris 2024 entendent ainsi être les premiers compatibles avec l’accord de Paris sur le climat.
À cet égard, les organisateurs des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024 ont annoncé des ambitions très élevées : émettre deux fois moins de gaz à effet de serre que les éditions précédentes. Le Comité d’organisation des Jeux olympiques (COJO) promettait des « Jeux écolos » dès avril 2021 et même d’atteindre la neutralité carbone, en retirant de l’atmosphère davantage de gaz à effet de serre que les émissions générées par les Jeux. La référence à la neutralité carbone a toutefois été discrètement abandonnée dans les communications ultérieures.
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Les promesses à l’épreuve de la réalité
Dans ces conditions, la promesse de « Jeux écolos » peut-elle être tenue ? La question s’est rapidement posée. Des organismes comme l’ADEME, dans un avis rendu en mai 2022, dénoncent le recours à l’étiquette « neutre en carbone » pour les événements, produits ou entreprises lorsque basée sur des crédits de compensation carbone, qui s’apparenterait à une pratique de greenwashing. À ce titre, l’Union européenne prévoit d’interdire les labels de neutralité carbone des produits basés sur la compensation d’ici à 2026.
Un exemple frappant de ce type de « compensation-washing » est la Coupe du monde de football 2022 au Quatar. Celle-ci avait été vertement critiquée pour ses allégations de neutralité carbone, et plusieurs organisations avaient dénoncé les déclarations de la FIFA en ce sens.
Dans le cas des Jeux de Paris, l’objectif est donc de réduire par deux les émissions par rapport aux JO de Rio en 2016 et de Londres en 2012, qui auraient émis environ 3,5 millions de tonnes équivalent CO2 (Mt CO2 eq). Cependant, ces Jeux faisaient partie des moins écologiques et la méthodologie de calcul des émissions utilisée avait été critiquée, ce qui a d’ailleurs poussé la publication d’un cadre de calcul standardisé pour les Jeux olympiques en 2018.
Le budget carbone maximum pour Paris 2024 a ainsi été fixé à 1,58 Mt CO2 eq. Cet objectif reste ambitieux si l’on considère que les Jeux de Tokyo 2020, organisés en pleine pandémie et sans spectateurs, ont quand même généré près de 2 Mt CO₂ eq.
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Comment les JO polluent
Les postes d’émissions de gaz à effet de serre les plus importants lors des mégaévénements sont traditionnellement le transport des participants et la construction des bâtiments et infrastructures, comme l’a montré une récente étude scientifique. Le bilan carbone estimé à ce jour pour les JO 2024, et communiqué par le COJO, se répartit en trois parts relativement égales :
le déplacement des participants et des spectateurs (qui devrait représenter un quart des émissions, dont 9 % pour celui des athlètes et des officiels),
la construction (avec environ 25 % pour les constructions permanentes dont 8 % pour les infrastructures temporaires, et à peu près autant pour les systèmes énergétiques temporaires, comme les générateurs.
et enfin les opérations (restauration, hébergement, logistique, sécurité, etc.), qui représentent le dernier quart.
Évidemment, le bilan carbone des JO 2024 n’est pas confirmé puisque l’événement n’a pas encore eu lieu. Les quantités et types de matériaux de construction utilisés ne sont peut-être pas encore consolidés, et la participation finale reste hypothétique. Mais la grande incertitude sur le bilan à ce jour est liée au transport.
Il faudra notamment attendre d’avoir des données précises sur le nombre final de participants, leur provenance, et les moyens de transport utilisés pour rejoindre l’événement et se déplacer sur site. Les transports aériens (du fait de leur fort impact carbone) et le retard des lignes de transport en commun du Grand Paris Express, notamment, pourraient augmenter les émissions prévues, tout comme le risque de grève des cheminots à l’approche de l’événement.
La construction controversée d’un nouveau diffuseur autoroutier dans le cadre des JO augmentera aussi probablement les émissions routières à long terme. En effet, la recherche a prouvé depuis longtemps que la construction d’infrastructures routières nouvelles (et plus encore d’autoroutes) génère une hausse de trafic durable.
Le COJO promet que le bilan carbone effectif sera publié à l’automne, après les Jeux. On espère que le calcul de l’empreinte carbone sera communiqué de manière transparente, reproductible, et que le chiffre aura été vérifié par un organisme indépendant, ce qui correspond aux bonnes pratiques en matière de reporting environnemental.
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Des Jeux plus verts, vraiment ?
Concrètement, les organisateurs des JO 2024 mettent en avant plusieurs solutions pour réduire les émissions. À y regarder de plus près, celles-ci présentent plusieurs limites.
Premier point intéressant : des constructions neuves limitées, puisque sur les 26 sites de compétitions, 95 % des infrastructures sont existantes ou temporaires. Les constructions nouvelles ont aussi été conçues pour être moins émettrices en CO2 que la moyenne.
Par exemple, le centre aquatique et son ossature en bois, ses panneaux photovoltaïques sur le toit et ses sièges en matériaux locaux recyclés. Cette dernière mesure ne change toutefois rien au bilan carbone du centre aquatique du fait de la masse de plastique et de son empreinte carbone par kilogramme relativement restreintes comparées aux masses et empreintes carbone massiques d’autres matériaux, notamment bétons et métaux. Mais on salue la réduction des déchets plastiques (le vrai point noir des impacts environnementaux des plastiques !) et l’impact positif sur l’économie locale.
Le village olympique, quant à lui, vise une empreinte carbone inférieure de 30 % à celle d’un projet de construction classique, en utilisant du bois sourcé localement. Mais il y a un problème : la référence choisie – la tonne CO₂ eq par mètre carré – semble très élevée par rapport aux valeurs constatées par les études spécialisées, qui évaluaient en 2022 l’empreinte carbone du bâti européen à 210 kg CO2 eq par mètre carré en moyenne sur tout son cycle de vie. Notons d’ailleurs qu’il n’est pas précisé par le COJO si l’objectif porte sur l’impact pour la construction uniquement ou pour toute la durée de vie (incluant l’utilisation ultérieure des bâtiments).
Un objectif de 100 % d’énergies renouvelables a aussi été annoncé, s’appuyant sur des systèmes photovoltaïques et géothermiques, des groupes électrogènes fonctionnant aux biocarburants et l’achat d’électricité renouvelable avec certificats de garantie d’origine – un mécanisme dont le bénéfice carbone est toutefois décrié par la communauté scientifique.
Côté restauration, deux tiers des repas servis seront végétariens, ce qui réduit leur impact par deux par comparaison aux repas omnivores, et 25 % des produits seront locaux. Mais cette dernière mesure ne garantit pas une plus faible empreinte carbone contrairement à la croyance populaire ! Dans tous les cas, la restauration ne représente que 1 % du budget carbone estimé des Jeux. L’offre de restauration végétarienne serait plutôt de « l’évangélisation alimentaire », pour réduire la consommation des produits animaux très carbonés (viandes et produits laitiers).
Reste enfin la si controversée compensation carbone, avec des engagements pas toujours clairs. Des projets de reforestation, de préservation de forêts, ou de développement d’énergie renouvelable sont ainsi envisagés par le COJO, pour une compensation de 100 % des gaz à effet de serre émis par l’événement.
Un engagement louable… si les projets de compensation sont de qualité. En effet, l’impact réel des crédits de compensation carbone est largement contesté par la communauté scientifique. Les arbres des projets forestiers peuvent mourir de façon anticipée (du fait de la sécheresse, des maladies et nuisibles, ou des feux de forêt), le financement des crédits carbone ne générer le stockage de CO2 escompté ou encore le compter en double – voire triple – du fait de méthodes de comptabilisation douteuse, telles celles révélées par une vaste enquête de début 2023. Des normes de qualité et de vérification de la véracité des crédits de compensation carbone existent, mais leur mise en œuvre et vérification reste difficile.
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Des mégaévénements incompatibles avec l’accord de Paris ?
La communauté de recherche est divisée sur la durabilité des mégaévénements. Certains, comme Martin Müller, de l’Université de Lausanne, et ses collègues, estiment que, de par leur échelle, ils ne peuvent pas être durables et servent principalement les intérêts financiers et le plaisir de l’élite. D’autres y voient une opportunité d’innovation, de développement durable, et de sensibilisation à la durabilité.
Concrètement, l’empreinte carbone attendue des JO 2024 est de 1,6 Mt CO2 eq pour 13 à 16 millions de visiteurs, soit environ 100 à 125 kg CO2 eq par personne. C’est relativement peu comparé à l’empreinte carbone annuelle moyenne d’un Français, qui s’élève à 10 t CO2 éq. À titre d’exemple, 100 kg eq CO2 correspond aux émissions générées en parcourant 500 km en voiture ou 10 000 km en métro, ou encore en consommant 31 burgers de bœuf ou 83 bouteilles de vin.
Mais pour respecter l’accord de Paris visant à limiter le réchauffement climatique à moins de 1,5 à 2 °C d’ici 2100 par rapport aux températures préindustrielles, il faut limiter drastiquement l’empreinte carbone annuelle de chacun à moins de 2 t CO₂ eq. Il serait juste que les pays riches, qui sont responsables de la vaste majorité des émissions, assument la majeure partie des réductions d’émissions.
Des chercheurs ont proposé plusieurs solutions pour améliorer la durabilité des futurs mégaévénements : réduire la taille des événements, organiser une rotation entre quelques villes pour éviter la construction de nouvelles infrastructures, ou encore mettre en place des normes de durabilité indépendantes et confier l’évaluation de la durabilité à un organisme indépendant.
Ce qui est sûr est qu’il est temps de réinventer les JO et mégaévénements pour les rendre plus durables et alignés avec les objectifs climatiques internationaux. Il paraît évident que les impacts environnementaux liés à l’héritage urbain des mégaévénements dépassent largement l’impact direct de l’événement. Les Jeux peuvent donc être un levier environnemental et social pour l’avenir, par exemple via la rénovation urbaine : isolation thermique des bâtiments, déploiement d’infrastructures d’énergies renouvelables et de transport actif et en commun, ou encore création d’espace de loisirs urbains pour éviter le fameux « effet Barbecue » des urbains qui quittent la ville le week-end et génèrent ainsi beaucoup de GES. Les effets de l’héritage des Jeux de Barcelone de 1992 sont un merveilleux exemple de rénovation urbaine réussie.
Les Jeux peuvent – et doivent – devenir un investissement pour une ville plus verte, plus juste et plus conviviale, à la condition de respecter des règles de développement strictes, qui restent à définir par un standard international. Car rappelons qu’il est vital que nos modes de consommation respectent les limites planétaires pour assurer un avenir décent à tous, et ce, en priorisant les besoins physiologiques et de sécurité selon la pyramide de Maslow. Or, notre sécurité alimentaire, entre autres, est mise en danger par les changements climatiques. Alors, soyons solidaires et responsables. Du pain et des Jeux : pourquoi pas. Des Jeux ou du pain pour tous : non !
La recherche du Dr. Anne de Bortoli est financée par le CIRAIG, centre de recherche spécialisé dans les métriques de durabilité, à Polytechnique Montréal.
Anne de Bortoli est membre du Groupe Consultatif pour la Carboneutralité du Gouvernement du Canada and membre du comité scientifique de Iceberg Data Lab