Les scientifiques sont formels, le paradis existe ! Exactement comme on se l’imagine : une île tropicale digne des plus belles cartes postales, avec ses cocotiers, son fin sable blanc, sa mer bleu-turquoise et ses colonies d’oiseaux marins. Ce petit territoire situé au milieu de l’océan Indien, et joliment nommé l’île Surprise, a de quoi faire rêver… Ou plutôt avait. Car, il y a deux siècles, des humains l’ont « découverte ».
Originellement protégée par sa très petite taille, (une bonne dizaine d’îles de sa dimension pourraient aisément tenir dans Central Park, à New York) et son isolement presque total (il faut compter 48 heures de bateau à partir de Nouméa, la capitale néo-calédonienne, pour s’y rendre), elle n’a cependant pas résisté longtemps…
Même rares, les visites répétées entre 1880 et 1930 pour l’exploitation du guano, n’ont pas tardé à s’accompagner de l’introduction involontaire de rats et de souris, qui ont trouvé l’île bien à leur goût. Climat tropical, nourriture à foison (les proies locales ne connaissant pas les rats, elles ne s’en protègent pas), des plantes, des insectes, des reptiles, des œufs et des oisillons à ne plus savoir qu’en faire, et quelques noix de coco pour le dessert. Cerise sur le gâteau, aucun prédateur pour gâcher ce tableau idyllique !
Si bien qu’en quelques années, les colonies d’oiseaux ont commencé à décliner ; une espèce de râle aptère, qu’on ne trouvait nulle part ailleurs, a même totalement disparu.
Un terrain d’études pour les scientifiques
C’est dans ce contexte, au début des années 2000, que l’Association pour la sauvegarde de la nature néo-calédonienne (ASNNC) a contacté le CNRS et l’Université Paris-Saclay pour lancer un programme d’élimination de la population de rats envahissants dans le but de protéger les espèces locales menacées.
C’est ainsi que ce petit joyau de biodiversité du bout du monde est devenu, plus de deux décennies durant, le terrain d’étude et de restauration pour une foule de scientifiques et de gestionnaires de la biodiversité.
Impliquant de nombreux partenaires (CNRS, Université Paris-Saclay, IRD, MNHN, Inrae, ministère des Armées, Province Nord et plusieurs associations), elle a vu passer des dizaines d’experts en provenance de Nouvelle-Calédonie, de France métropolitaine, d’Espagne, de Nouvelle-Zélande et de Grande-Bretagne.
Les travaux qui ont découlé de ces observations ont donné lieu à plusieurs études théoriques et appliquées. Certaines décortiquaient le régime alimentaire des rats sur l’île, d’autres portaient sur les étonnants équilibres au sein les communautés de fourmis. D’autres encore expliquaient pourquoi éradiquer les rats faisait courir à l’écosystème le risque d’une explosion de souris, jusqu’ici contrôlées en une toute petite population localisée par la forte compétition des rats.
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D’autres enfin montraient comment les rats, pourtant prédateurs terrestres, pouvaient déceler à l’avance l’éclosion des nids de tortues marines, et se déplacer juste à temps sur les plages pour se gorger des bébés tortues qui tentaient de rejoindre les flots.
Mais la plus attendue sans doute de ces études vient d’être publiée, début 2023, à propos de l’état des colonies d’oiseaux marins, 15 années après l’éradication des rats.
Après l’éradication des rongeurs
Pour être en mesure de quantifier un effet de l’élimination des prédateurs envahissants, les chercheurs ont dû procéder dès 2002 à une minutieuse cartographie quantitative de l’ensemble de l’écosystème : quelles espèces étaient présentes, où, en quelles quantités ? Quelles espèces étaient liées à quelles autres ?
Une fois cette compréhension du système bien maîtrisée, pouvait-on alors envisager d’intervenir, en éliminant la population des rongeurs envahissants, ce qui eut lieu en 2005.
Ensuite, le suivi des différentes espèces dut se poursuivre sur le long terme, annuellement et pendant 5 ans, puis de manière plus espacée jusqu’à aujourd’hui. Il s’agissait d’une étape cruciale, à la fois pour surveiller que les rongeurs avaient bien tous été éliminés, et pour suivre la lente récupération des populations d’oiseaux affectés.
Ce sont les étapes d’études avant et après l’intervention – et même longtemps après – qui constituent l’une des originalités de cette étude, car elles ne sont que très rarement financées, et les gestionnaires de la biodiversité agissent souvent avec peu d’information sur la situation, ou sur l’efficacité de leurs actions.
À la faveur d’expéditions régulières 5 ans avant et jusqu’à 15 ans après l’éradication des prédateurs envahissants, les chercheurs ont été capables de suivre la dynamique de rétablissement de sept espèces d’oiseaux marins sur ce petit atoll : le fou brun, le fou à pieds rouges, le fou masqué, le noddi noir, le noddi brun, la frégate du Pacifique et la frégate ariel.
Le retour des oiseaux
Plus de 20 ans après avoir pris en 2002 la première mesure scientifique sur l’île Surprise, les modèles de dynamique des populations démontrent à quel point la biodiversité est résiliente : l’éradication des rongeurs a permis d’arrêter de façon nette le déclin des oiseaux marins, qui abondent aujourd’hui sur l’île.
Même s’il était déjà trop tard pour les oiseaux terrestres, comme le râle, décimés par le rat et si certaines espèces d’oiseaux marins (comme la sterne bridée) mettent plus de temps à récupérer, il n’y a pas eu besoin d’autres actions que de retirer les prédateurs envahissants ; l’écosystème a fait le reste.
En très peu de générations d’oiseaux, l’île retrouve sa fonctionnalité et son visage paradisiaque d’avant sa découverte par les marins, comme l’illustrent les vidéos tournées avant et après le programme scientifique, donnant à voir une différence frappante.
La lente mais solide récupération des populations d’oiseaux donne un nouvel espoir à toutes les îles sur lesquelles les prédateurs introduits ont été éliminés. L’espoir de retrouver le paradis perdu…
Franck Courchamp ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.