À l’instar de beaucoup de pays à travers le monde, la France rencontre un vaste problème de traitement de l’information. Aux mains d’une poignée de privilégiés aux intérêts convergents, les médias hexagonaux de grande écoute manquent cruellement de pluralisme. Décryptage d’une dérive propagandiste.
Comme l’expose le Monde Diplomatique, moins d’une quarantaine de grands groupes, familles ou individus disposent de la quasi-intégralité des médias du pays. On retrouve parmi eux un certain nombre de milliardaires et de riches industriels. À partir de ce constat, il existe donc de clairs conflits d’intérêts. Observons quelles en sont les conséquences.
INFO – À qui appartiennent les #médias ? Depuis plusieurs années, Acrimed et le Monde diplomatique éditent la carte «Médias : qui possède quoi ?», dont la dernière version est en ligne : https://t.co/LIoJ9JjIoz pic.twitter.com/oqVyIniUqc
— Brèves de presse (@Brevesdepresse) November 17, 2019
La mainmise des riches
Parmi les six principaux quotidiens nationaux généralistes vendus en France, quatre sont contrôlés par des milliardaires. La dynastie Dassault, spécialisée dans l’aviation d’armement, possède ainsi le Figaro. Les échos sont détenus par Bernard Arnault, l’homme le plus riche de France. Malgré des fonds d’indépendance pour la presse, les richissimes Xavier Niel et Patrick Drahi gardent respectivement la main sur le Monde et Libération. Seuls donc l’Humanité et la Croix conservent une relative autonomie.
Du côté des hebdomadaires d’actualités généralistes, la situation est encore pire puisque 100 % d’entre eux appartiennent à des milliardaires ! C’est le cas de publications comme l’Express (Drahi), le Point (Pinault), l’Obs (Niel) ou Paris Match (Lagardère).
Situation catastrophique à la télévision
Sept groupes se partagent actuellement les 26 canaux de télévision émis sur la TNT. À l’exception de la chaîne de sport « L’équipe », l’intégralité d’entre eux appartient soit à de grandes fortunes (18) soit à l’État français (7). Lorsque l’on sait que plus de 44 millions de personnes regardent la petite lucarne française quotidiennement, dont 20 millions pour les seuls JT, on peut facilement imaginer l’impact politique monumental de ces médias.
A priori, le phénomène peut paraître moins marqué dans la presse régionale puisque sur la cinquantaine de titres de ce type, à peine six sont la propriété d’un milliardaire. Notons cependant qu’il n’est pas forcément nécessaire d’être milliardaire pour défendre les intérêts des grandes fortunes. On peut par exemple prendre le cas du journal local le plus vendu du pays, Ouest-France, qui assume totalement une ligne libérale.
À droite toute
Contrairement à certaines croyances populaires, l’objectivité de l’information en France serait complètement chimérique. Par ailleurs, lorsque l’on analyse leur ligne éditoriale, force est de constater que son engagement penche très franchement à droite, en particulier sur le volet économique.
Bolloré transforme Cnews en chaîne catho intégriste, à lire @Lesjoursfr. Catherine et Liliane avaient déjà tout anticipé, il y a quelques années… Visionnaires, les filles! https://t.co/y1LvoRrweO pic.twitter.com/7po4q1jpmR
— Nils Wilcke (@paul_denton) December 22, 2022
Parmi les médias d’envergure, extrêmement peu remettent en cause l’ordre du monde. Au sein des quotidiens nationaux, seuls l’Humanité et dans une moindre mesure Libération sont étiquetés à gauche. À la télévision, la situation est encore plus grave puisque l’intégralité des canaux défend le néolibéralisme. Pire, l’empire Bolloré a véritablement fait émerger une chaîne d’extrême droite avec CNEWS et même un candidat aux présidentielles (Éric Zemmour).
Un manque criant de pluralisme
Et c’est sans doute bien le principal problème des médias de masse : le manque de pluralisme. Défendre une ligne politique n’a, en soi, rien de gênant – à moins que ce soit le fascisme qui soutient là hiérarchisation des vies humaines. Si l’on observe l’exemple des quatre chaînes d’information en continu françaises, elles soutiennent toutes, elles aussi, l’économie libérale. Les éditorialistes ou chroniqueurs clairement marqués à gauche semblent par ailleurs beaucoup moins nombreux que ceux de droite.
Ce manque de pluralisme pose évidemment de graves problèmes pour la démocratie. Et pour cause, comment les citoyens français pourraient-ils prendre des décisions éclairées, et notamment dans leur vote, si les informations dont ils disposent vont toutes dans le même sens ? L’élection d’Emmanuel Macron est d’ailleurs une belle illustration de ce problème. Si l’actuel chef de l’État a pu passer d’illustre inconnu à président de la République en si peu de temps, la presse n’y est, en effet, pas étrangère.
Le cas du service public
Restent également les médias détenus par l’État français, avec en première ligne France Télévision. On peut aisément remarquer que les informations fournies sur ces chaînes ne sont guère différentes de celles de BFM ou de LCI.
Il faut dire que l’influence du gouvernement sur la télévision publique est régulièrement pointée du doigt. Récemment encore, Cyril Graziani, proche d’Emmanuel Macron, créait la polémique en accédant à la tête du service politique de France Télévision. C’est pourtant le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel qui nomme les dirigeants de ce service public et non l’Élysée. C’est en tout cas ce que rétorquent les partisans de Renaissance. Ceux-ci oublient néanmoins de préciser que c’est la majorité gouvernementale qui désigne le patron du CSA.
Bien que subventionnées par tous les Français, les chaînes publiques manquent donc clairement de représentativité et défendent souvent les idées du pouvoir en place. L’an passé, une enquête révélait d’ailleurs que les journalistes de France Télévision voyaient leur rémunération dépendre de leurs efforts de renforcement de la couverture des sujets européens. Paradoxalement, le gouvernement français a interdit la chaîne russe RT France, sous prétexte qu’elle était « financée par le Kremlin ». Si RT France n’est pas neutre sur la politique menée en Russie, France Télévision l’est-elle plus sur celle menée en France ? Si l’on prend par exemple le traitement médiatique des manifestations des Gilets Jaunes, de Julian Assange ou de l’Amérique latine, il y avait des informations bien plus pertinentes sur RT France que sur le service public de l’hexagone…
Un modèle économique à revoir ?
Par ailleurs, l’indépendance de la presse de grande écoute est sérieusement remise en cause par ses modes de financement. Qu’ils reposent sur la fortune d’un riche actionnaire ou sur des subventions d’État, on peut très fortement craindre que cela influence la ligne éditoriale.
De la même façon, un média qui disposera de très peu de moyens pourra moins facilement enquêter et fournir un véritable contenu de fond. Beaucoup d’entre eux sombrent dans l’écueil de la reprise de brève AFP. Il n’est d’ailleurs pas rare de voir des dizaines d’articles fondamentalement identiques sur plusieurs sites, le même jour. À ce sujet, une étude de 2017 soulignait que 64 % des productions informatives publiées en ligne relevaient du pur et simple copier-coller.
Le manque de moyens et de rentabilité de la presse a également fait exploser le nombre de stagiaires au sein des rédactions. Or, ceux-ci sont bien souvent utilisés de la même façon que les salariés, notamment l’été où ils font véritablement office d’intérimaires. Bien évidemment, la qualité du travail peut s’en ressentir.
L’emprise de la pub
D’autres médias font massivement appel à la publicité pour faire du profit. C’est particulièrement le cas des chaînes de télévision privées, mais aussi de la presse papier. Dans certains magazines, notamment les gratuits, on dénombre même parfois plus de réclames que d’articles.
Or un tel modèle cause d’énormes problèmes d’indépendance. Comment des reporters pourraient-ils en effet poser un regard critique sur une entreprise ou une personne qui les finance ? En 2015, le Canard Enchaîné révélait ainsi que le milliardaire Vincent Bolloré avait fait en sorte de priver le journal le Monde de 7 millions de recettes publicitaires après deux papiers à son sujet qui ne lui avaient pas plu.
Des médias indépendants
Il existe malgré tout un certain nombre de médias indépendants qui ne sont soumis ni à un riche actionnaire ni à des annonceurs publicitaires. Certains d’entre eux touchent des subventions publiques, comme l’Humanité, mais d’autres reposent uniquement sur les financements participatifs. Rappelons d’ailleurs que c’est le cas de Mr. Mondialisation qui ne vit que de vos dons. Si vous souhaitez soutenir notre travail, vous pouvez dès maintenant nous aider ici.
Mr Mondialisation c'est un média indé à taille humaine refusant les appels du monde marchand et sans subvention, donc entièrement libre ! Nous fonctionnons grâce à vos dons. Pour participer à l'aventure, c'est par ici -> https://t.co/OvBDkRwUi4 pic.twitter.com/f5hsWFOL3h
— Mr Mondialisation (@Mondi_Alisation) May 30, 2023
En attendant, nous proposons une liste de médias à consommer sans modération et que nous vous recommandons chaudement : L’Humanité, Le Monde Diplomatique, Alternatives Eco, Fakir, Politis, Mediapart, Reporterre, La Relève et la Peste, Le Vent se lève, Les 2 Rives, Frustration, Basta mag, CQFD, Les Crises, Politis, Arrêt sur Image, Le Média TV, Blast, Mediapart, Osons Causer, Le Canard réfractaire…. et d’autres encore à retrouver sur la carte de la « presse pas pareille».
– Simon Verdière
Photo de couverture de Marek Pospíšil sur Unsplash
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