Toutes les régions du monde ne sont pas égales face à la montée des eaux née du réchauffement climatique. Les zones côtières du golfe de Guinée, notamment, sont particulièrement vulnérables : non seulement elles sont de faible élévation, mais elles sont aussi constituées de sédiments meubles s’érodant facilement. Cependant, un autre phénomène pourrait exacerber l’exposition des populations et écosystèmes côtiers à la montée des eaux : la subsidence, c’est-à-dire l’affaissement progressif du sol lui-même. Il s’agit d’un problème largement sous-étudié dans cette région, ce qui pourrait entraîner une sous-estimation des risques d’inondations ou submersions marines dans les prochaines décennies.
Une potentielle double peine pour cette région côtière très peuplée : plusieurs dizaines de millions d’habitants – notamment dans les grandes mégapoles comme Accra (2,6 millions), Abidjan (5,6 millions) ou bien sûr Lagos (24 millions). Les côtes du golfe de Guinée abritent aussi la majeure partie de l’activité économique. On y trouve ainsi 80 % des entreprises ghanéennes et 65 % des activités économiques du Nigeria, avec les sites d’extraction d’hydrocarbures du delta du Niger.
Dans le cadre du programme de recherche ENGULF, nous avons conduit une étude régionale d’évaluation de l’exposition des zones côtières du golfe de Guinée, complétée par deux études faisant la synthèse de l’état actuel des connaissances sur la subsidence côtière au Ghana et au Nigeria.
L’extraction des eaux souterraines en cause
Deux grandes catégories de processus cumulatifs peuvent expliquer la subsidence : les mouvements des enveloppes solides de la Terre d’une part (activité tectonique ou isostasie), et la compaction de sédiments non encore consolidés d’autre part. Lorsqu’une couche sédimentaire se compacte, son volume se réduit, entraînant une perte d’altitude en surface.
Cette compaction des sédiments peut résulter d’une charge accrue en surface, comme l’accumulation de nouveaux sédiments ou la construction d’infrastructures lourdes. Elle peut aussi s’expliquer par l’extraction de fluides en profondeur (eaux souterraines ou hydrocarbures). La diminution de la pression interstitielle conduit en effet à une augmentation de la contrainte sur les grains. Le volume des pores s’en voit réduit. Si les sédiments sont sableux, le processus est en partie réversible, ce qui n’est pas le cas pour des sédiments argileux.
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Les extractions d’eau souterraine sont connues pour être à l’origine des plus forts taux de subsidence observés à travers le monde. Actuellement, les cas les plus emblématiques se trouvent en Asie, où dans plusieurs mégapoles la subsidence cumulée a atteint plusieurs mètres en quelques décennies.
À Jakarta ou dans le delta du Mékong par exemple, le sol s’enfonce de plusieurs centimètres par an : un rythme bien supérieur à celui de la hausse du niveau marin moyen, qui est actuellement de 3,7 mm/an environ.
Ainsi, à l’échelle mondiale, la montée du niveau marin perçue par les populations est en réalité souvent une combinaison de la hausse « absolue » du niveau marin et de la subsidence : entre 50 et 70 % du phénomène seraient dus à cette dernière, dans les deltas et villes côtières.
Quelles sont les zones à risque de submersion ?
D’après le dernier rapport du GIEC, la hausse moyenne du niveau marin devrait atteindre 25 cm supplémentaires à horizon 2050. En cas de maintien de fortes émissions mondiales de gaz à effet de serre, la progression pourrait même atteindre plus de 80 cm à horizon 2100. Dans tous les cas, cette élévation se poursuivra inéluctablement sur plusieurs siècles en raison de l’inertie de l’océan et des calottes glaciaires, et elle dépassera très probablement deux mètres en 2300. Toutes les zones littorales d’une altitude inférieure à deux mètres sont donc a priori exposées à moyen ou long terme.
Afin de cartographier les zones les plus menacées par cette montée du niveau marin dans le golfe de Guinée, nous avons comparé six modèles numériques d’élévation de la surface fondés sur des mesures satellitaires radar et lidar. Ce type de modèle est connu pour présenter des biais importants, liés à la présence de végétation, de constructions ou simplement d’artefacts : cela a déjà été montré pour le delta du Mékong ou le delta Ayeyarwady (Myanmar).
Dans notre région d’étude, les écarts entre les six modèles numériques choisis peuvent atteindre plusieurs mètres. Pour évaluer les performances de ces différents modèles, il faut disposer de données de terrain. Or celles-ci sont très rares pour le golfe de Guinée. Nous n’avons ainsi pu utiliser que six points de contrôles situés dans le delta de la Volta (Ghana), qui nous ont permis de sélectionner les deux modèles d’élévation présentant les meilleures performances.
Ces deux modèles montrent qu’une grande partie des populations et des activités littorales de la zone se situent dans des zones d’altitude inférieures à deux mètres particulièrement exposées à la montée des eaux. C’est le cas du delta de la Volta, du delta du Niger et d’importantes zones d’Abidjan, de Cotonou ou de Lagos. Compte tenu des biais mentionnés ci-dessus, l’évaluation manque de précision, mais permet de mettre en évidence les zones prioritaires pour des études plus approfondies.
Quels taux de subsidence au Ghana et au Nigeria ?
Assez peu de travaux de recherche ont jusqu’à présent été menés sur la question de la subsidence à Lagos (Nigeria) et dans le delta de la Volta (Ghana). Pour Lagos, les taux maximaux rapportés par des études – qui s’appuient sur l’interférométrie radar satellitaire (InSAR) – varient de 7 mm/an pour 2002-2011 à plus de 90 mm/an pour 2015-2020. Ces taux élevés semblent toutefois limités à quelques quartiers et la majeure partie de la ville semble assez peu affectée. L’étude la plus récente, en 2022, rapporte quant à elle des taux maximaux de l’ordre de 8 mm/an, essentiellement dans les zones autour du lagon.
Le delta de la Volta est également affecté, avec des taux maximaux de l’ordre de 9 mm/an sur la période 2016-2020. Ces résultats restent à considérer avec précaution, car là encore, on ne dispose d’aucun point de contrôle au sol (stations GPS permanentes) pour calibrer les mesures satellitaires.
Pour ces deux régions, on relève donc des taux de subsidence non négligeables – mais fort heureusement très inférieurs à ce stade à ceux observés dans certaines mégapoles ou certains deltas asiatiques.
Les incertitudes de la bataille pour l’eau
Qu’en sera-t-il à l’avenir ? Pour répondre à cette question, il faut comprendre en détail les processus à l’origine de la subsidence actuelle, qu’ils soient naturels ou anthropiques.
Or, les données hydrogéologiques nécessaires, comme la nature et l’épaisseur des couches sédimentaires, l’évolution du niveau des nappes phréatiques, ou encore les niveaux d’extraction d’eau souterraine, restent rares dans la littérature scientifique.
Par ailleurs, l’accès aux données détenues au sein d’institutions publiques est souvent difficile. Ces éléments seraient pourtant précieux pour construire un modèle numérique du sous-sol et réaliser des projections basées sur les processus physiques à l’œuvre, ce qui est l’ambition du projet ENGULF.
Pour une ville comme Lagos, l’enjeu serait de taille. L’accès à l’eau demeure en effet un enjeu majeur pour ses plus de 24 millions d’habitants : plus de 80 % n’ont pas accès à l’eau par un réseau public et moins de 40 % ont accès à l’eau potable. La majorité de la population dépend de puits ou forages, pour une consommation moyenne inférieure au minimum standard de 50 litres par personne et par jour.
Il apparaît donc essentiel de développer l’accès à l’eau de la population de Lagos. Mais à ce stade, nous ignorons encore si pomper davantage dans les nappes phréatiques pourrait ou non accroître fortement la subsidence : tout dépend de la nature du sous-sol et des volumes extraits.
Il est en tout cas indispensable d’évaluer ce risque pour éclairer les décisions publiques en matière d’accès à l’eau et éviter que la mégalopole ne connaisse un sort similaire à celui de Jakarta.
Philip Minderhoud is Assist. Prof at Wageningen University & Research and affiliated to University of Padova and Deltares Research Institute. He received funding from the European Union’s Horizon 2020 research and innovation programme under the Marie Skłodowska-Curie grant agreement No 894476—InSPiRED—H2020-MSCA-IF-2019.
Pietro Teatini est membre de Université de Padoue, Italie
Marie-Noëlle Woillez ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.