Nelly Kars et Bruno Lambert forment un binôme de sportifs et d’explorateurs. Ensemble, ils vont parcourir 400 km sur la mer Méditerranée dans le but de préserver le littoral. En parallèle, ils ont monté un projet éducatif pour sensibiliser petits et grands sur cette cause importante. Nelly, la nageuse, sera accompagnée de Bruno qui la suivra à bord d’un kayak. Pour en savoir plus, nous avons échangé avec cette nageuse qui nous a tout dit sur l’importance de ce projet.
La Méditerranée est la mer la plus polluée de la planète et son littoral est menacé. Le changement climatique ainsi que les activités humaines, économiques et industrielles perturbent les équilibres naturels et bouleversent les écosystèmes marins.
Pour protéger le littoral et attirer l’attention du grand public sur le danger qui pèse sur la mer Méditerranée, Nelly Kars et Bruno Lambert ont fondé le projet Posidonia. Leur objectif : attirer l’attention sur l’état et le devenir du littoral méditerranéen à travers un défi sportif et un projet éducatif.
Tout au long de l’année 2024, Nelly va parcourir 400 km à la nage. Cette sportive a commencé sa carrière en tant que plongeuse dans les années 2000 avant de devenir accompagnatrice de montagne, guide naturaliste, puis responsable de la communication des Marcheurs de la Terre, un programme d’éducation environnementale fondé par Bruno Lambert.
De son côté, cet explorateur accompagnera Nelly en kayak. Spécialiste des milieux extrêmes naturels, Bruno a passé 40 années en tant que guide naturaliste et guide de trekking. Au fil de sa vie, il a parcouru plus de 100 000 km à travers le monde et a réalisé plus de 4 000 bivouacs. En fondant Les Marcheurs de la Terre, le voyageur et écrivain a pour but de diffuser des connaissances géographiques et environnementales à partir de missions d’exploration réalisées dans les milieux naturels extrêmes les plus reculés de la planète.
Ensemble, Bruno et Nelly vont parcourir entre 400 et 450 km sur la mer Méditerranée. Leur projet a commencé en janvier et se terminera à la fin de l’automne. Ils visiteront les sites les plus emblématiques du littoral méditerranéen en dressant un panorama des lieux encore beaux et préservés, ainsi que ceux qui ne le sont plus.
Par la suite, Nelly et Bruno vont illustrer leur parcours en réalisant un documentaire à la fois éducatif et culturel. L’occasion pour eux de revenir sur leur aventure tout en faisant intervenir des acteurs et actrices locaux pour sensibiliser à la préservation du littoral.
Durant toute l’année, un suivi pédagogique et interactif sera proposé gratuitement en ligne sur le site internet de Posidonia. Des bulletins de route, des posts, des extraits de journal de bord, des photos et des vidéos de l’aventure seront partagés. Pour en savoir davantage sur ce projet ambitieux, nous avons échangé avec Nelly, qui a accepté de nous en dire plus sur sa préparation, ses motivations et ses ambitions.
Une sportive et un explorateur proches de la nature
Mr Mondialisation : Pour commencer, quel est votre parcours de vie ? Qu’est-ce qui vous a poussés, vous et Bruno, à vous engager dans la protection du littoral méditerranéen ?
« de misanthrope j’ai basculé humaniste »
Nelly Kars : J’ai vécu une dizaine d’années dans le Pacifique Sud. Le pays qui m’a le plus marquée est la Nouvelle-Calédonie, où je suis tombée littéralement amoureuse de la mer. J’y ai nagé, plongé, de jour comme de nuit pendant une belle tranche de vie. J’y ai aussi appris à aimer mes semblables, de misanthrope j’ai basculé humaniste !
De son côté, Bruno est un globe-trotteur d’un autre ordre. Des jungles tropicales à la banquise arctique, du Sahara aux cimes himalayennes, Bruno a parcouru à pied, à la pagaie, à dos de chameau ou d’éléphant plus de 100 000 km et réalisé plus de 4 000 bivouacs.
Mr M : Qu’est-ce qui vous a conduit à vous lancer dans ce projet sportif et éducatif ? Quelles ont été vos motivations personnelles et pourquoi tenez-vous à vous engager dans la protection du littoral ?
N.K. : J’ai toujours été très proche de la nature en général. Enfant déjà, j’avais pris conscience des grands enjeux climatiques et de notre responsabilité individuelle et collective. Les années passant, j’ai alimenté de manière très autodidacte une boulimie de connaissances. Depuis que j’ai intégré Les Marcheurs de la Terre et commencé à la même époque mon activité de guide naturaliste, et suis passée à une phase de restitution. Je tente de transmettre à ma manière et avec mes outils l’émerveillement qui ne cesse de grandir en moi devant cette mécanique formidable qu’est la vie. La protection du littoral est “juste” une portion de ce travail.
Avec Bruno, on travaille sur le projet Water Stories depuis 2017. C’est un projet d’éco-communication qui vise à faire prendre conscience au grand public de l’importance de la ressource en eau. Nous avons produit 4 documentaires de 52 min sur le sujet.
Posidonia est notre premier sujet sur l’eau salée. Mais dans le tout premier documentaire de cette série, La Dame des lacs, j’avais nagé quelque 100 km sur les lacs bas-alpins pour sensibiliser à la ressource en eau dans notre région. Le challenge fini, on avait déjà en tête un défi en Méditerranée, dans le même esprit.
Sensibiliser à la préservation du littoral
Mr M : Avez-vous vu de vos propres yeux la dégradation du littoral méditerranéen ? Si oui, avez-vous des exemples en tête qui vous ont marqués ?
N.K : Il suffit de marcher au bord de mer pour voir qu’il n’y a même plus de crabes. Les déchets et les peuplements monospécifiques sont deux exemples très visibles de dégradation.
« à Marseille, on trouve au fond de l’eau des scooters et des trottinettes électriques »
Par exemple, à Marseille, on trouve au fond de l’eau des scooters et des trottinettes électriques dans un bain de plastiques à divers stades de destruction. Devant des ports, on trouve des pare battages et des moteurs hors-bord ! Devant les plages, des bouteilles d’huile solaire, des ballons et des sandales. Près d’un petit fleuve côtier qui se jette à la mer en passant par la ville, ça sent l’égout à plein nez et des sédiments chargés de divers composés toxiques recouvrent les fonds environnants.
Les peuplements monospécifiques (quand on ne voit plus de diversité mais juste une seule espèce) sont signes d’un grave déséquilibre. Plus qu’une espèce d’algues par exemple. C’est souvent le cas près des fleuves côtiers fortement chargés de ce qu’ils ont récolté sur leur chemin, car tout ce qui va dans une rivière finit dans la mer…
Mr M : Face à ces constatations, pensez-vous que la situation environnementale pourrait s’améliorer à l’avenir ? Nos efforts sont-ils vains ou a-t-on réellement une chance de protéger notre planète, et plus particulièrement la mer Méditerranée ?
N.K : Les scientifiques que nous rencontrons soulignent les principales menaces qui pèsent sur l’avenir de la Méditerranée (surpêche, acidification, urbanisation et son cortège de pollutions, espèces invasives…) mais aussi le fait que dans de nombreux domaines, les choses s’améliorent.
Quand je suis revenue en métropole, j’ai été très choquée par l’état apparent de la Méditerranée. Elle est menacée, fragile, mais d’une extraordinaire résilience ! C’est un point crucial que nous tenons à mettre en avant pour que les gens comprennent que : non, tout n’est pas perdu, et que oui, les efforts qu’ils font pour préserver la mer et la nature en général ont un effet.
Voici une anecdote que j’adore et qui illustre l’importance des aires marines protégées : quand on arrive à la nage au niveau d’un panneau “pêche interdite”, on a vraiment l’impression que les poissons savent lire. C’est comme si on ouvrait soudain une porte sur un monde merveilleux du côté préservé. Les poissons sont plus gros, moins craintifs, les différents habitats sont riches en espèces, hauts en couleurs, vivants à un point… C’est magique ! Ce qui illustre que la pression de la pêche est une grave réalité, qu’elle soit à petite ou grande échelle, et qu’il suffit simplement de dire stop pour que les choses s’améliorent d’elles-mêmes.
Mr M : Comment avez-vous élaboré votre itinéraire ? Par quels sites avez-vous choisi de passer et pourquoi ?
N.K : On ne va pas d’un point A à un point B. On fait des boucles sur des sites choisis pour leurs caractéristiques paysagères et écologiques, leurs différents degrés de protection, leurs aspects sécuritaires mais aussi leurs accès. On part de Marseille en janvier pour finir à Menton en décembre. On s’attarde volontiers sur les aires marines protégées qui s’étendent tout le long du littoral pour montrer la beauté et la richesse d’une mer “bien gérée”, à travers les parcs nationaux et sites du Conservatoire du Littoral principalement.
Un défi sportif
Mr M : Concernant le côté pratique de la nage et de la navigation en kayak, avez-vous suivi un entraînement sportif particulier avant de vous lancer dans cette aventure ? Comment vous êtes-vous préparés, Bruno et vous, à parcourir 400 km en pleine mer ?
« Je me suis entraînée durant deux ans pour Posidonia »
N.K : De part mon métier, je suis déjà sportive et tenue d’être en excellente santé. Je me suis entraînée durant deux ans pour Posidonia, la plupart du temps en milieu naturel (lacs et mer) avec l’équipement prévu pour le challenge. J’ai fait une concession durant la dernière année d’entraînements : habitant en montagne, je me suis aussi entraînée en piscine pour augmenter la fréquence des sessions.
Certains gestes doivent être répétés de nombreuses fois pour être parfaitement réalisés même avec le froid, la fatigue, les doigts engourdis… Comme le fait de décrocher partiellement les plaquettes que je porte aux mains, attraper une caméra et filmer à la volée un poisson qui ne m’attendra pas. Il faut garder en tête que je ne fais pas que nager, il y aussi un film à tourner, des images à faire souvent en apnée.
Bruno est quant à lui chargé du tournage nautique sur son kayak, et ça demande une grande dextérité. Il veille également à ma sécurité, me donne le cap à suivre. C’est une énorme responsabilité et je lui fais une confiance totale, je sais que je peux me reposer sur lui, ce qui optimise mon effet. On travaille vraiment en équipe !
Bruno a passé les 60 ans et sa condition physique, même dopée par des décennies d’expéditions, demande un entraînement important et surtout très régulier. Suivre en kayak une nageuse n’est apparemment pas un effort intense mais quand le vent se lève et qu’il faut rester stable sur son bateau tout en la filmant, ça devient très vite une prouesse. L’assistance en kayak est un poste terriblement stressant : dans la houle, il me perd de vue très vite, il doit éviter (ou gérer) les rencontres avec les engins à moteurs, qui vont se densifier l’été arrivant. Sa responsabilité est énorme et demande une vigilance constante.
Mr M : Comment se passe une session de nage ? Quels sont les obstacles auxquels vous pouvez faire face et comment les surmontez-vous ?
N.K : On distingue deux types de nage : la nage linéaire, où j’avale lentement de la distance, et la nage exploratoire, où je furette encore plus lentement pour explorer les fonds et faire des images. La nage que je pratique n’a absolument rien à voir avec la nage en piscine ou celle d’une course. C’est une nage d’endurance avec de grandes palmes de chasse à voilure médiane, des plaquettes aux mains, un masque et un tuba, une combinaison triples couches pour rester 6 heures d’affilées dans une eau à 13 degrés sans faire de sprint.
Il n’y a pas de temps de repos quand je nage, c’est une règle d’or en eau froide. Le moindre arrêt de l’effort se paye en chaleur perdue. Si je m’arrête, c’est uniquement pour boire ou avaler rapidement quelques vivres de course, toujours en pleine eau. Souvent, c’est Bruno qui me donne la becquée pour optimiser.
Mr M : Comment arrivez-vous à tenir le coup en nageant pendant des heures d’affilée ? Pensez-vous à quelque chose en particulier ?
N.K : Je suis conditionnée à ne pas avoir facilement peur d’une vague, d’un courant, d’un banc de méduse épais, d’une ombre (un gros thon par exemple) qui passe à côté de moi. Je deviens une sorte de machine à nager. Je m’émerveille de ce que je vois, je calme mon rythme sur celui des vagues, et puis j’ai l’habitude de fournir un effort sur une longue durée sans rien lâcher.
Le fait d’être totalement dans l’instant chasse les pensées parasites qui pourraient me prendre ma précieuse énergie.
Mr M : La nage a commencé et vous avez déjà parcouru 105 km depuis le début de la session. Comment cela s’est-il passé ?
N.K : Depuis le début de la nage, on a eu une météo capricieuse et éprouvante, il a fallu adapter les étapes. Certaines ont été rallongées, d’autres raccourcies. La nageuse et le kayakiste ne rencontrent pas les mêmes problèmes et doivent pourtant avancer de concert.
Par exemple, le mistral complique rapidement la vie d’un kayakiste, il peut lui arracher la pagaie des mains en un rien de temps. Mais moi dans l’eau, je ne suis pas très impactée par ce type de vent. En revanche, si un vent du sud génère une légère houle et qu’à ce moment-là je longe une côte à falaise, cela crée un ressac qui se traduit par des vagues pyramidales très perturbantes pour moi, alors que Bruno le vivra beaucoup mieux sur son kayak.
Autre exemple de difficultés : les méduses. Certains bancs sont très épais et on ne peut pas toujours les contourner. Je dois alors nager en basculant légèrement la tête vers l’arrière pour mieux les voir, c’est inconfortable et pas très hydrodynamique. Je souffre aussi du froid après la quatrième heure dans l’eau. Quoi que je fasse et en dépit d’un excellent équipement, je commence à me refroidir inexorablement. Il faut alors que je veille à garder les doigts mobiles, ne pas les laisser s’engourdir.
Un projet éducatif pour sensibiliser
Mr M : Comment va s’articuler votre projet éducatif pendant et après la nage ? Qu’allez-vous mettre en place pour sensibiliser le grand public à votre cause ?
N.K : Le défi sportif est le fil rouge d’un film où nous avons de nombreux intervenants interviewés, des scientifiques en priorité mais également des associations, des plongeurs…
Le projet éducatif est conçu en deux temps : durant tout 2024, il y a un suivi pédagogique accessible gratuitement sur notre site comprenant bulletins de route, photos et vidéos. Nous pouvons déjà intervenir auprès des scolaires en les rencontrant dans leurs établissements ou en les emmenant sur les lieux des tournages. Quand le film sera terminé, il sera diffusé en TV puis en conférences, ciné-débat, auprès des scolaires…
Nous proposons des formules qui permettent aux enseignants de travailler avec leurs élèves sur nos documentaires, de rencontrer les réalisateurs que nous sommes, des sorties de terrain sur les lieux de tournage. La performance sportive n’aurait aucun sens à nos yeux sans un solide projet de sensibilisation et d’éducation.
Mr M : Pour finir, quelles sont vos attentes sur ce projet ?
« au-delà du marasme ambiant, il y a une foule de gens qui agissent et veulent laisser à leurs descendants autre chose qu’une mer-poubelle »
N.K : Sur le plan professionnel, Posidonia est un trait d’union entre l’aventure et la production de films documentaires. J’aimerais que cette expérience nous permette de continuer notre petit bonhomme de chemin un peu en marge des sentiers battus, en conciliant idéalisme et travail concret à l’organisation quasi militaire.
Sur un plan plus personnel, mes attentes sont déjà nourries par toutes les rencontres que nous faisons autour de ce projet. J’ai vraiment l’impression qu’au-delà du marasme ambiant, il y a une foule de gens qui agissent et veulent laisser à leurs descendants autre chose qu’une mer-poubelle, témoin de leur égoïsme. J’aimerais aussi pouvoir toucher encore plus de jeunes en les rencontrant.
Pour suivre le projet Posidonia et peut-être collaborer avec Nelly et Bruno, c’est par ici. Merci à Nelly pour son temps et ses réponses, en lui souhaitant bonne nage !
– Lisa Guinot
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