Non, la France n’est pas « championne du monde des impôts »

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On entend régulièrement la droite et l’extrême droite se plaindre d’une « pression fiscale » insupportable qui s’abattrait sur le pays. Il serait même le « champion du monde des impôts ». Or, pour en arriver à cette conclusion, ces politiciens entretiennent volontairement une confusion entre les impôts et les cotisations sociales, ce qui est fondamentalement malhonnête.

Les vieux poncifs ont la vie dure. Et ils sont bien difficiles à contredire lorsque la précarité pèse autant sur une large partie de la population. Quand quelqu’un vous dit que vous aurez moins à payer, le premier réflexe est de se réjouir. Il est plus compliqué, en revanche, de creuser en profondeur pour se rendre compte que baisser le budget de l’État n’est pas une bonne idée.

Une connotation négative

La France serait donc la grande championne des « prélèvements obligatoires ». Même si ce postulat est déjà faux puisqu’en 2021 notre pays se situait derrière le Danemark qui redistribue 48,8 % de son PIB contre 47 % dans l’hexagone, il est surtout intéressant de s’interroger sur ce qui se cache dans cette expression.

Notons d’abord que le terme « prélèvement » signifie prendre une partie de quelque chose. Quant au mot « obligatoire », il nous fait bien comprendre que nous sommes contraints. La connotation est donc clairement négative et laisse entendre que l’on confisque aux Français une portion de leur salaire durement gagné et qu’ils n’en renverront jamais la couleur.

Or, ces « prélèvements » sont en réalité une redistribution de notre argent à notre propre avantage. Il ne s’agit pas d’un roi qui nous vole nos biens pour son profit personnel, mais bien d’un État qui investit dans nos services publics. Sans nos impôts, nous n’aurions ni éducation, ni hôpitaux, ni routes, ni police, ni pompiers, ni fonctionnaires, ni transports en commun, etc. Alors certes, une part de cet argent est mal utilisée, mais le reste demeure absolument essentiel.

Sans nos impôts, nous n’aurions ni éducation, ni hôpitaux, ni routes, ni police, ni pompiers, ni fonctionnaires, ni transports en commun, etc. Photo de CDC sur Unsplash

Évidemment, les sujets les plus atteints par le néolibéralisme rétorqueront que tout cela pourrait être organisé par des acteurs privés. Or, il a maintes et maintes fois été démontré (comme nous l’expliquions dans un précédent article) qu’agir de la sorte détériorait la qualité des services et augmentait leur coût. Ce qui est logique quand on recherche le profit avant le bien commun.

Soulignons enfin que ces termes ont été créés et mis en avant par l’OCDE. Cette organisation internationale avait historiquement pour but de concrétiser le plan Marshall. À l’heure actuelle, elle promeut le libéralisme économique notamment par le libre-échange et la concurrence. Il ne s’agit donc absolument pas d’un groupement neutre, mais bien d’une structure qui défend une certaine idéologie. Ce qui n’empêche pourtant pas les grands médias d’y faire systématiquement référence.

Un « prélèvement obligatoire » n’est pas forcément un impôt

Mettre les cotisations dans le même panier que les impôts est aussi particulièrement odieux puisqu’il ne s’agit de deux choses bien différentes. En effet, ce salaire qui constitue la partie « brut » de nos fiches de paie a une fonction bien précise : entretenir la sécurité sociale (assurance maladie, chômage, retraite, etc.).

Ce système était d’ailleurs à l’origine directement géré par les travailleurs et il a conservé un but bien spécifique. Parler ici d’un prélèvement est tout à fait malhonnête. Évidemment, lorsque l’on comptabilise cet argent comme un poids pour les finances publiques on peut avoir l’impression que la France étouffe ses concitoyens.

Une propagande pour les privatisations

La différence de « dépenses » avec des pays qui ne reposent pas sur ce type de fonctionnement est d’ailleurs très marquante. Néanmoins, leurs habitants ont-ils moins de « prélèvements obligatoires » pour autant ? Un citoyen d’un État sans sécurité sociale se retrouvera contraint de la même façon de devoir payer une assurance maladie ou des fonds de pension pour sa retraite (quand il le peut).

Manifestation de soignants devant l’hôpital Necker contre l’austérité. Source : Flickr

Certains petits malins pourraient soutenir qu’il existerait ici une liberté, mais soyons sérieux un moment : qui voudrait se passer volontairement d’une assurance maladie ou d’une retraite ? Les seuls individus pouvant se le permettre sont des personnes extrêmement riches. Et curieusement, ce sont également les mêmes qui râlent sur les « prélèvements obligatoires ». Sans doute, parce que les cotisations (qu’ils appellent des charges) rognent sur leur profit de grands patrons.

Les services privés coûtent plus cher

On peut d’ailleurs faire à peu près le même constat pour les impôts. Si plus personne n’en payait, alors il faudrait soit se dispenser des services qu’ils financent, soit les remplacer par des entreprises privées.

Or, contrairement à beaucoup d’organismes publics, ceux-ci ne sont pas gratuits. Et à l’arrivée, nous devrions également passer à la caisse, mais en déboursant beaucoup plus – car contrairement au service public, le secteur privé est en quête de profit et doit réaliser une marge, absente dans le service public – pour une prestation de moins bonne qualité. On s’est parfaitement rendu compte de ce phénomène avec l’exploitation actuelle des autoroutes ou la gestion du réseau d’électricité.

Il faut garder en mémoire que la sécurité sociale est basée sur un principe simple :

chacun donne en fonction de ses moyens et reçoit selon ses besoins. Dans le privé, c’est tout l’inverse, chacun paiera la même chose, peu importe ses ressources.

Si tout était privatisé, les plus pauvres seraient donc nécessairement perdants.

La France n’est pas un enfer fiscal

On peut par exemple s’amuser à comparer les dépenses de santé de la France qui y consacre 12,3 % de son PIB, avec celles des États-Unis qui y affectent 17,8 %. La seule différence c’est que le système français repose essentiellement sur un financement public tandis que celui des Américains est presque entièrement privé. Preuve s’il en est que fonctionner de cette manière n’est pas une bonne idée.

Si l’on exclut les cotisations sociales, l’imposition en France n’a rien d’extraordinaire. En se fiant aux données de 2017 d’eurostat, on constate par exemple que notre taux d’impôts sur le revenu (12,8 % du PIB) est inférieur à la moyenne européenne (13,1 %), tandis que celui de la TVA est égal au chiffre continental (7,1 %). Seuls les impôts sur la production et les importations (16,4 %) sont légèrement supérieurs au standard européen (13,6 %), tout en restant bien loin du détenteur du record qu’est la Suède (22,7 %).

C’est donc bien les cotisations sociales qui font grimper les « prélèvements obligatoires ». S’en affoler est un non-sens quand on sait que les habitants des pays avec un taux plus faible doivent eux aussi s’acquitter de ces dépenses dans un système privé. Qualifier la France « d’enfer fiscal » à cause de ce phénomène est alors complètement ridicule.

Des riches très à l’aise

Pour les plus riches, en particulier depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron (qui était déjà ministre de l’Économie sous François Hollande, rappelons-le), la situation est des plus confortable. En dix ans, le patrimoine des milliardaires a ainsi quintuplé dans l’hexagone. L’an passé, le CAC 40 a distribué un montant record de 80 milliards de dividendes.

Il faut dire que l’actuel président français n’y est pas allé par quatre chemins pour offrir des cadeaux aux grandes fortunes : suppression de l’ISF, instauration de la flat tax, exonérations de cotisations, aides aux entreprises… Pour les plus aisés, on est très loin de la pression fiscale insupportable dont se plaignent sans cesse les libéraux.

Quand des Fillon, Pécresse, Zemmour ou Le Pen proposent de réduire la part du brut sur le salaire, ou bien de baisser les impôts de tous, il peut être tentant pour beaucoup de gens de les suivre. Comment ne pas saisir l’occasion d’avoir à payer moins lorsqu’on vous l’offre sur un plateau ?

Pourtant, comme nous venons de le démontrer, ces projets sont de vastes tromperies, profondément antisociales, destinées à servir et enrichir toujours plus le grand patronat. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien si l’on retrouve ce genre de raisonnement dans les discours du MEDEF.

Baisser les impôts, mais pas pour tout le monde

Cependant, on peut sans doute s’accorder sur le fait que les classes populaires paient bien trop d’impôts. On pourrait même aller jusqu’à dire que les PME pourraient devoir moins de cotisations.

Néanmoins, on ne peut se contenter de supprimer purement et simplement cette part du budget de l’État sans la contrebalancer d’une autre manière. Un tel processus conduirait tout bonnement à la privatisation de notre système social et de nos services publics, ce qui finirait par nous coûter plus cher.

Si l’on veut procéder à cette révolution fiscale, il faudra donc compenser ces baisses d’impôts pour les plus pauvres par des augmentations sur ceux des plus riches. Si l’on prend l’exemple de la TVA, il serait plus juste de la réduire (voire de la supprimer) sur les produits de première nécessité, et de l’amplifier lourdement sur les articles de luxe. Avec le même processus, il est également possible d’équilibrer les caisses de la sécurité sociale, en particulier sur les retraites. Enfin, les multinationales pourraient payer plus de cotisations afin que les PME en soient soulagées.

Baisser les impôts des pauvres et la TVA sur les produits essentiels et les augmenter sur les produits de luxe et pour les riches, cela permettrait de financer les retraites. Photo de Vlad Sargu sur Unsplash

Dans tous les cas, il va définitivement falloir mettre à la poubelle de faux arguments de la « France étouffée par les impôts » qui ne sert que de prétexte pour tout privatiser et toujours plus enrichir les plus fortunés. À l’inverse, il est indispensable de se pencher sur le problème de la justice fiscale : en 2019, une étude classait la France à la 15e place dans ce domaine. Loin d’une championne du monde.

– Simon Verdière


Photo de couverture : Tax the rich at Occupy Wall Street. Liberty Square, Manhattan. Septembre 2012. Source : Flickr

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