Depuis qu’elle existe, la presse s’est toujours emparée des faits divers. Faisant appel à l’émotion de la population, ce procédé a l’immense avantage de concentrer l’attention des gens sur un évènement souvent dramatique au niveau individuel, mais dérisoire à l’échelle publique. L’affaire Pierre Palmade qui a secoué récemment le monde de l’information en est une parfaite illustration.
Pourquoi parler de la réforme des retraites ou bien encore de la situation cataclysmique de la planète alors que nous pourrions débattre des déboires d’un comédien déclinant et des conséquences de ses actes ? Les médias l’ont bien compris, les tragédies bouleversent et empêchent tout simplement de penser.
L’affaire Palmade comme trompe-l’œil
Soyons clairs sur un point, ce qui est arrivé aux victimes de l’accident impliquant Pierre Palmade est dramatique. Sans aucun doute.
Néanmoins, elle n’est traitée que superficiellement, à la manière d’un fait divers et sert ainsi de trompe-l’oeil. Si cette affaire était au moins analysée dans une dynamique sociologique, cela pourrait être utile à notre société – en effet, elle pourrait illustrer un conditionnement masculin aux comportements à risque que l’autrice Lucile Peytavin analyse dans son ouvrage Le coût de la virilité.
Virilité au volant mort au tournant. 78% des morts sur les routes et 84% des auteurs d’accidents mortels sont des hommes. Il est temps de changer l’éducation des garçons ! https://t.co/v4BgdYYvUe
— Lucile Peytavin (@lucilepeytavin) February 6, 2023
Nul doute d’ailleurs qu’il se produit en France des catastrophes de ce type, très régulièrement. Si l’un des protagonistes n’avait pas été un comédien célèbre, nous n’en aurions certainement jamais entendu parler.
Une forme de nature humaine
Seulement, depuis toujours, les évènements sordides font vendre du papier et alimentent les conversations. Il s’agit en réalité d’un phénomène sociologique que les médias ont compris et exploitent à merveille. S’intéresser aux malheurs des autres permet ainsi de se valoriser soi-même. Les situations dramatiques vécues par nos congénères nous invitent à relativiser nos propres tracas. De la même façon, émettre un jugement négatif sur la vie d’un criminel nous donne un sentiment plus positif envers nous-mêmes.
Assister aux malheurs des autres, c’est aussi éprouver des émotions par empathie, tout en n’étant pas réellement affecté. C’est en fin de compte le même processus que lorsque l’on regarde un film ou que l’on dévore un livre. C’est également pour cette raison qu’autant de personnes suivent avec assiduité l’actualité des gens connus. De cette manière, on sort de sa vie banale pour vivre l’existence d’individus extraordinaires par procuration. Pour les médias, mettre en avant les malheurs des stars est aussi un moyen de faire accepter plus facilement les inégalités. On peut ainsi se dire que, certes, les célébrités sont plus riches, mais elles ne sont pas forcément plus heureuses et elles ont malgré tout leur lot de soucis.
Enfin, évoquer les faits divers tisse un lien social important entre les gens. Si l’on se cantonne à un petit groupe humain, les personnes qui en font partie se raconteront d’ailleurs sans aucun doute des potins concernant les uns et les autres. Il s’agit là encore d’un mécanisme évolutif qui permettait à nos ancêtres d’avoir de meilleures chances de survie.
Problèmes réels contre écran de fumée
Si ce genre d’évènement a toujours fasciné les gens, la presse l’a énormément exploité. Le format des faits divers se prête d’ailleurs particulièrement bien au type de journalisme actuel qui se vit minute par minute avec les chaînes d’information en continu. Sur l’affaire Palmade, par exemple, on a pu y revenir chaque heure au fur et à mesure que de nouvelles données nous parvenaient : les circonstances de l’accident, la vie privée du comédien, l’état de santé des victimes, etc. Chaque jour, un autre micro élément permettait d’alimenter la machine.
Il faut néanmoins reconnaître que, parfois, certains faits divers qui concernent le domaine privé peuvent représenter un réel problème de société. Dans ce cas, il paraît tout à fait légitime de s’interroger de façon globale sur le sujet, et non en exerçant un voyeurisme malsain ou une instrumentalisation. C’est par exemple le cas de l’affaire Weinstein qui a fait exploser le mouvement « Me too ». Il s’agissait alors d’un véritable phénomène d’ampleur qui devait permettre à chacun de se poser des questions cruciales sur les violences sexistes et sexuelles que subissent les femmes dans le monde.
Pour autant, les faits divers exposés par les médias ne touchent pas toujours à des sujets de ce type. Au contraire, ils servent parfois à alimenter un message politique par l’instrumentalisation, mais aussi à simplement détourner l’attention de problèmes importants.
Psychose sécuritaire
À droite, l’instrumentalisation des faits divers est l’une des plus vieilles techniques pour amener les gens à des thèses sécuritaires ou identitaires. On va ainsi faire croire qu’un évènement isolé dans un microcosme précis représente une situation globale ou que deux facteurs associés dans une tragédie sont strictement corrélés dans l’ensemble de la société.
Récemment, on se souvient particulièrement de l’affaire Lola, cette jeune fille assassinée par une Algérienne sans-papiers. Il n’avait pas fallu longtemps à la droite et à l’extrême droite pour récupérer le fait divers. Exacerbant le racisme et le rejet des immigrés, Éric Zemmour avait même osé aller jusqu’à évoquer un « francocide ».
L’objectif est toujours le même : détourner le regard des privilèges dont dispose la bourgeoisie. Pendant que les pauvres sont occupés à s’écharper les uns les autres, ils ne pensent surtout pas que les ultra-riches puissent avoir la moindre responsabilité dans leurs soucis.
Une belle diversion
En passionnant les foules sur des affaires parfois insignifiantes, les pouvoirs publics néolibéraux et capitalistes, appuyés par les médias de même obédience, détournent aussi l’attention de leur action.
C’était d’ailleurs la thèse du sociologue Pierre Bourdieu dans son livre « Sur la télévision ».
« Le fait divers, c’est cette sorte de denrée élémentaire, rudimentaire, de l’information qui est très importante parce qu’elle intéresse tout le monde sans tirer à conséquence et qu’elle prend du temps, du temps qui pourrait être employé à dire autre chose. »
L’affaire Pierre Palmade est ici très représentative de ce phénomène. Tombée en pleine réforme des retraites, elle permet d’occuper un temps médiatique considérable. Pourtant, elle ne concerne en réalité qu’une petite proportion de personnes et ne touche pas la société dans son ensemble. Au contraire, elle est plutôt la démonstration du monde parallèle dans lequel vivent les célébrités et de l’impunité dont elles bénéficient.
Détruire le débat politique
De nombreuses campagnes électorales ont, en outre, été à l’image de ce procédé. On a ainsi très régulièrement instrumentalisé un fait isolé pour ne pas évoquer de grandes questions de fond rarement traitées par la classe journalistique.
Le thème de l’écologie est d’ailleurs particulièrement victime de cette méthode. Souvent boudée, à l’instar de la remise en cause du capitalisme auquel elle est étroitement lié, on lui préfère fréquemment des sujets extrêmement futiles.
On se souvient par exemple des présidentielles de 2017, où l’intégralité des médias avait choisi de se focaliser sur l’affaire des costumes de François Fillon, plutôt que sur les difficultés rencontrées par les Français.
Encore aujourd’hui, on peut constater que la sécheresse historique qui se prépare pour cet été est une nouvelle fois largement ignorée par la grande majorité de la presse. En tout état de cause, il semble que le possible manque d’un élément essentiel à la vie sur terre intéresse moins les chaînes des milliardaires que la déchéance d’un comédien en fin de carrière…
– Simon Verdière
Photo de couverture de Joshua Rawson-Harris sur Unsplash
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