Géant de l’agroalimentaire, Nestlé s’est imposé comme une marque mondialement connue associée au monde de l’enfance. Mais la firme est avant tout un symbole parfait du capitalisme et de ses dérives. Pour s’enrichir, elle n’a pas hésité à saccager la planète et à considérer les êtres vivants comme de simple variable d’ajustement. Portrait.
Si les activités de Nestlé nuisent aux forêts, à l’eau, au climat, aux sols, elles ne sont guère plus reluisantes du côté humain. L’entreprise est connue pour ses scandales sanitaires, sociaux, environnementaux.
Une ascension fulgurante
Fondée en Suisse en 1866, l’actuelle plus grande société agroalimentaire du monde, était à l’origine une modeste entreprise lancée par Henri Nestlé, un pharmacien qui voulait commercialiser une farine lactée qu’il venait de mettre au point.
Fort du succès fulgurant de son invention, médaillé à l’exposition universelle de 1872 et qui permet de lutter contre la mortalité infantile, il se développe très rapidement à l’international et commence à réaliser des bénéfices très importants. Sans héritier, il décide de vendre son affaire à ses collaborateurs pour partir à la retraite en 1875 avec la coquette somme d’un million de francs suisses.
Tandis que le 19e siècle se termine, l’entreprise grandit encore et encore et implante des usines partout à travers le monde. Dans la première moitié du 20e siècle, elle absorbe plusieurs autres sociétés et se diversifie dans divers produits alimentaires, notamment le chocolat alors en plein essor à travers les empires coloniaux.
Une emprise tentaculaire
À l’heure actuelle, le groupe Nestlé est devenu un véritable empire mondial. À la tête de plusieurs centaines de marques, il distribue des milliers de produits différents dans toutes sortes de secteurs, essentiellement de l’alimentation, mais pas uniquement.
les marques #Nestlé à #boycotter pic.twitter.com/ybX3LWOZ4y
— Antoine2021 (@ant2014ant) September 18, 2017
En absorbant toujours plus de concurrents s’agrandissant constamment, la firme a pu engendrer des bénéfices colossaux. En 2022, la société a ainsi réalisé un chiffre d’affaires impressionnant de 94,4 milliards de francs suisses.
1970 : Les bébés empoisonnés par du lait maternel
Bien évidemment pour arriver à de tels profits, il est impossible d’adopter un comportement éthique. Et Nestlé a prouvé, à l’occasion de divers scandales, avoir plus de considération pour son argent que pour l’être humain. L’un des plus retentissants a sans doute eu lieu dans les années 70 avec l’affaire « Baby Killers ». À cette époque, Nestlé veut étendre ses ventes de lait en poudre dans le monde. Pour ce faire, la firme ne va pas hésiter à employer des méthodes plus que controversées.
Avec une publicité agressive, utilisant même des médecins, comme le faisait l’industrie du tabac à cette période, elle cherche à faire croire que son lait en poudre serait meilleur pour les nourrissons que le lait maternel. Nestlé va jusqu’à offrir des échantillons gratuits pendant un certain temps à des femmes pour qu’elles arrêtent d’aliment leur bébé au sein temporairement. Or le tarissement du lait maternel devient définitif et la mère n’avait plus d’autre choix qu’acheter le produit en poudre.
Ces procédés ont remarquablement fonctionné sur le continent africain. Mais Nestlé n’avait pas anticipé un problème : pour utiliser ce produit, il est indispensable de disposer d’eau potable de grande qualité. Or, ce n’était pas toujours le cas dans les pays du sud global. Résultat, des millions de parents empoisonneront involontairement leurs enfants qui trouveront la mort.
La firme répliquera à grands coups de procès et les remportera tous. Après tout, les instructions sur les paquets des produits spécifiaient bien qu’il fallait utiliser de l’eau potable. Et tant pis si certains consommateurs ne savaient tout bonnement pas lire.
Il s’agissait sans doute du premier grand scandale de l’entreprise qui avait d’ailleurs à l’époque enclenché d’immenses boycotts. Mais ce n’était pourtant que le premier d’une longue liste qui a depuis suivi. Ainsi sur les vingt dernières années de nombreuses marques appartenant au géant de l’agroalimentaire ont été frappées par d’autres polémiques parfois mortelles.
2002 : Les biscuits étouffes-bébés en France
Au début du millénaire, la spécialiste en sécurité sanitaire Yasmine Motarjemi est embauchée par l’entreprise pour gérer ce secteur. Très rapidement, elle découvre des dysfonctionnements comme celui de biscuits qui étoufferaient les bébés.
« La recette de fabrication de ce gâteau en France rendait la croûte du biscuit anormalement dure, et certains bébés s’étouffaient en l’avalant, car il ne se ramollissait pas assez vite. Le produit était vendu pour des bébés de 8 mois alors qu’à cet âge, ils n’avaient pas encore de dents pour le croquer » expliquait en 2020 celle qui est devenue une lanceuse d’alerte contre la multinationale.
Une quarantaine de nourrissons manquent alors de s’étouffer à cause de ces biscuits que le directeur de Nestlé France refuse à l’époque de retirer du marché. Le groupe ment même à Y. Motarjemi en lui assurant que la farine utilisée pour leur production avait été modifiée pour éviter le désagrément. Après avoir dénoncé plusieurs problèmes de ce genre, elle sera finalement licenciée en 2010 et Nestlé tentera d’acheter son silence, en vain.
2007 : Des centaines d’animaux meurent en Amérique
Le groupe possède également plusieurs marques d’aliments pour animaux comme Friskies ou Purina. C’est justement cette dernière qui sera incriminée en 2007 au Venezuela. L’un de ses produits à base de maïs contaminé à l’aflatoxine tuera ainsi des centaines de chats et de chiens.
La même année, c’est un autre empoisonnement qui touche la marque, cette fois-ci en Amérique du Nord. De la nourriture pour chien et pour chat est alors infectée à la mélamine, un composé chimique toxique notamment utilisé pour des engrais en Asie, condamnant à nouveau à mort bon nombre d’animaux.
2008, le lait frelaté en Chine
Pour maximiser les profits, à cette époque en Chine, de nombreuses usines coupent le lait pour bébé avec de l’eau. Les fraudeurs décident d’ajouter de la mélamine pour fausser les résultats des tests de taux de protéines alors nécessaires à l’homologation des produits.
Problème, le mélange s’avère évidemment toxique et quatre nourrissons perdent la vie. Près de 290 000 seront également empoisonnés dont 52 000 seront hospitalisés.
2009, la pâte à cookies mortelle aux États-Unis
Un an plus tard, Nestlé vendait de la pâte crue pour cookies via la marque Toll House. 69 personnes sont alors touchées par la bactérie E. Coli dans 25 États du pays. L’entreprise est contrainte de rappeler 3,6 millions de paquets du produit incriminé.
Si la plupart des victimes s’en sortiront avec quelques jours de maladie, Linda Rivera n’aura pas cette chance. Le microbe lui laisse en effet des séquelles très importantes qui lui vaudront des mois d’hospitalisation. Son corps ne s’en remettra jamais, et elle finira par décéder des suites de l’intoxication quatre ans plus tard.
2013, le scandale de la viande de cheval en Europe
En 2013, un scandale éclate sur le vieux continent : plusieurs industriels auraient utilisé de la viande de cheval au lieu de celle de bœuf comme indiqué sur les emballages. C’est en particulier la marque Buitoni, filiale de Nestlé, qui était impliquée dans cette affaire.
Et même si la sécurité alimentaire n’était pas ici en cause, le groupe a cependant fait preuve d’une immense négligence envers ses fournisseurs qui l’ont trompé pour faire plus de profits (la chair équine étant moins chère). Dans cette histoire, il faut toutefois noter que la réduction du personnel chargé des contrôles par les pouvoirs publics n’est pas non plus à éluder.
2015, les nouilles contaminées au plomb en Inde
À peine deux ans après, en Inde, ce sont les autorités qui tirent le signal d’alarme lorsqu’elles découvrent un taux anormalement élevé de plomb dans les nouilles instantanées aux épices de la marque Maggi, autre possession du groupe.
L’Inde accuse Nestlé d’avoir vendu des nouilles contaminées au plomb http://t.co/Qxu7E1gdHK pic.twitter.com/bKIwHnFetm
— Le Monde (@lemondefr) August 12, 2015
Difficile d’évaluer les conséquences sanitaires de ces contaminations puisque les articles concernés ont immédiatement été bannis des points de vente. Une chose est sûre, des millions d’Indiens en ont probablement consommé : il s’agit de l’un des produits les plus populaires en raison de son caractère bon marché, notamment chez les adolescents.
2022, les pizzas Buitoni meurtrières
Comment ne pas évoquer le scandale dont Mr Mondialisation a été le premier à dévoiler en 2021 ? Un ancien employé d’une usine de pizza Buitoni dans le nord de la France avait permis de réaliser une enquête accablante sur les conditions d’hygiène de cette fabrique.
Et pourtant, l’information n’avait pas fait grand bruit dans les médias de masse. Il aura fallu attendre un drame pour que ces derniers se réveillent enfin. Contaminées par la bactérie E. Coli, deux enfants ont en effet perdu la vie après avoir consommé des produits issus de cette marque. Des dizaines d’autres sont également tombés grièvement malades. L’usine a depuis définitivement fermé ses portes.
L’enfer de la malbouffe
Bien sûr, comme tous les gros industriels de l’agroalimentaire, Nestlé réalise ses profits en vendant des produits de mauvaise qualité afin d’en réduire un maximum les coûts. Pour la santé, le compte n’y est donc évidemment pas.
Peu importe, alors si les marchandises peuvent contenir des substances cancérigènes, comme ce fut le cas de biscuits pour bébés en 2017. Les enfants sont d’ailleurs souvent la cible de ce macabre business. Rendus accrocs par le sucre et la publicité dès le plus jeune âge, ils se ruent sur des articles aux visuels attirants et au design sympathique, comme Nesquick, Chocapic, Smarties ou autres Kit Kat. Chez Nestlé, le cynisme est tel que la firme elle-même a admis dans un document interne que 60 % de ses produits n’étaient pas bon pour la santé.
Des employés traités comme du bétail
Au sein de la multinationale, il n’y a pas que les consommateurs qui sont considérés avec très peu d’égards, les employés ne sont guère mieux servis. L’entreprise n’hésite d’ailleurs pas à tirer parti des individus en situation de faiblesses comme les personnes immigrés et des enfants.
Associé à d’autres géants comme Ferrero, Nestlé aurait ainsi tiré profit de réfugiés syriens exilés en Turquie dans des fermes de noisettes. Dans ces exploitations, ces personnes pouvaient alors être payés seulement 9 € pour des journées de 12 heures, sept fois par semaine, dans des conditions de sécurité déplorables.
En Thaïlande, des navires de pêche œuvrant pour le compte de Nestlé auraient quant à eux eu recours au travail forcé, mais aussi au trafic d’êtres humains. Pire encore, dans la filière de chocolat du groupe en Afrique, des enfants auraient également été soumis à du labeur contraint, ce qui avait valu une plainte au géant suisse. En 2016, Amnesty International accusait d’ailleurs la firme d’exploiter des mineurs dans la production d’huile de palme.
Pression constante pour réduire les coûts
En France, la situation n’est pas non plus brillante. Les scandales sanitaires à répétition ne sont d’ailleurs sans doute pas étrangers à la manière dont on oblige les employés à exercer leur profession. Pour Blast, Maryse Treuton, syndicaliste CGT chez Buitoni, dénonce ainsi la « méthode Lean », un procédé typiquement néolibéral destiné à maximiser les profits au détriment de la qualité du travail et du bien-être des salariés.
Les industriels cherchent donc à « éliminer tous les temps qui ne sont pas de la production ». Sont ainsi réduits au maximum les moments de « maintenance préventive », « d’entretien des machines », de « contrôle qualité », mais aussi « de nettoyage ». À cela, il faut en plus ajouter un management brutal qui pousse le salarié à travailler toujours plus et toujours plus vite.
Cette pression peut, en outre, aller jusqu’au renvoi et au harcèlement. C’est ce qu’a subi Yasmine Motarjemi évoquée au début de cet article. L’entreprise a d’ailleurs été condamnée en 2020 à lui verser 2,1 millions de francs suisses, pour ce préjudice moral. Régulièrement, la compagnie opère aussi à des licenciements massifs, qu’ils soient économiques ou abusifs. Dans la même veine, la firme a, de plus, été sanctionnée pour avoir eu recours à des discriminations syndicales.
En délicatesse avec les impôts
Pour en rajouter encore une couche, Nestlé est aussi loin d’être exemplaire en matière d’impôts, une constante chez les compagnies de cette dimension. En 2021, c’est par exemple le fisc marocain qui lui réclamait pas moins de 110 millions de dollars après des fraudes constatées. Au Sénégal, l’État lui demandait également près de deux milliards de francs CFA en 2022.
En 2016, la CGT dénonçait, en outre, des pratiques d’optimisation fiscale dans l’hexagone. Ainsi, grâce à une manœuvre totalement négligée par le gouvernement PS de l’époque, la France passait cette année-là à côté de 192 millions d’euros d’impôts.
Un massacre environnemental
Pour couronner le tout, les activités de Nestlé sont aussi un véritable désastre pour la planète. Dans ce domaine, la firme est notoirement connue pour son accaparement de l’eau, qui peut même aller jusqu’aux forages illégaux. En France, on peut citer le cas emblématique de Vittel dont la source est pompée de manière abusive par la multinationale pour pouvoir la revendre en bouteille. Il n’est d’ailleurs pas inintéressant de noter que Nestlé est la quatrième entreprise du monde la plus pollueuse en matière de plastique.
Et en matière de pollution, la firme ne se cantonne pas aux déchets. En 2020, une usine de lait en poudre dans les Ardennes avait ainsi déversé des boues toxiques dans l’Aisne. Résultats des courses, des milliers de poissons avaient péri dans les heures qui ont suivi. Comble du cynisme, l’entreprise a versé 475 000 euros de dédommagements à… la fédération locale de pêche. Le coût environnemental de cet évènement restait quant à lui bien secondaire.
«Sur 6 à 8 km, tout a été dévasté» : une plainte a été déposée après la découverte de milliers de poissons morts dans l'Aisne, près d'une station d'épuration Nestlé, qui reconnaît un «débordement ponctuel et involontaire d'effluents de boues biologiques» https://t.co/dPSDL42Yle pic.twitter.com/pGZ3jxTCDo
— Le Parisien (@le_Parisien) August 12, 2020
Mais le « palmarès » écologique de Nestlé ne s’arrête pas là puisque la compagnie est également impliquée dans la production d’huile de palme, largement dénoncée en 2010 par Greenpeace. Il faut dire que le rôle de cette culture, notamment en Indonésie, dans la déforestation, la dégradation des sols et dans l’atteinte à la biodiversité n’est plus à démontrer.
Le vivant est une marchandise comme une autre
Toujours dans sa course au profit, Nestlé a, de plus, essayé de breveter une part du vivant, notamment en tentant de privatiser l’exploitation de certaines plantes. Le fait qu’elle soit d’ailleurs la plus grande entreprise laitière du monde démontre à quel point elle considère les animaux comme une simple marchandise.
Ce business leur rapportait ainsi en 2017 pas moins de 21,7 milliards d’euros. Et tant pis pour les conditions de l’élevage industriel dans le secteur. Peu importe également que ce domaine soit responsable à lui seul de 4 % des émissions de CO2 au niveau du globe.
Évidemment, que ce soit sur le plan humain, social ou environnemental, Nestlé ne lésine pas sur la communication pour essayer de masquer la réalité. Récemment, deux ONG l’ont d’ailleurs clairement pris en flagrant délit de greenwashing. Des méthodes grossières qui ont de plus en plus de mal à passer auprès des citoyens. On pourra tout de même se rassurer en se disant que dans l’Histoire, les empires finissent toujours par s’effondrer.
– Simon Verdière
Photo de couverture : Dans le cadre de la campagne mondiale visant à réduire la production de plastique à usage unique, des militants de Greenpeace ont apporté aujourd’hui 350 kg de déchets plastiques au siège de Nestlé Polska. C’est la quantité d’emballages jetables que Nestlé produit en 5 secondes. Source : Flickr
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