La récente condamnation de l’État à cause des algues vertes en Bretagne, celle concernant un industriel chimique responsable d’une pollution en Méditerranée ou encore les inquiétudes autour d’algues toxiques sur le littoral Sud Atlantique, montrent que la question de la pollution des eaux littorales suscite des préoccupations de plus en plus vives.
De fait, en France métropolitaine, seules la moitié des eaux côtières et 30 % des eaux estuariennes sont dans un état écologique satisfaisant.
Parmi les produits présents dans l’eau, le terme de polluant émergent désigne tout composé chimique ayant des effets néfastes potentiellement connus ou suspectés sur l’environnement et la santé humaine et qui n’est pas couramment surveillé ou réglementé dans l’environnement par les pouvoirs publics. Si la dangerosité de certains de ces polluants est clairement établie, la question est vaste puisqu’environ 100 000 substances chimiques sont répertoriées au niveau européen. Réduire cette pollution est donc un défi de taille.
Les polluants émergents : des produits omniprésents
Les grands types de polluants émergents comprennent : les produits pharmaceutiques (antibiotiques, hormones), les produits corporels (muscs, écrans solaires, cosmétiques), les pesticides, les produits chimiques industriels et ménagers, les tensioactifs (émulsifiants, agents moussants), les additifs industriels, les additifs et packaging alimentaires (phtalates, plastifiants), les métalloïdes (arsenic, silicium), les terres rares, les nanomatériaux, les microplastiques et autres.
La première phase du projet de recherche Micropolit conduit à l’université de Pau a par exemple permis d’identifier une importante présence de détergents, de filtres UV, de muscs synthétiques et de produits pharmaceutiques anti-inflammatoires sur le littoral Sud Atlantique.
Ces polluants émergents comprennent à la fois de nouvelles substances chimiques et des composés utilisés depuis longtemps, mais présents en faibles concentrations et pas forcément considérés comme des polluants jusqu’à ce que de nouvelles méthodes de détection aient permis de les identifier. Certains sont incorporés dans les produits ingérés par la population et rejetés via les eaux usées qui représentent leur principale voie d’accès à l’environnement dans les pays développés. Les traitements conventionnels des stations de traitement des eaux usées ne sont pas conçus pour éliminer ces polluants si bien que leur efficacité est limitée.
Des produits difficiles à identifier
De nombreux polluants chimiques présents dans les eaux littorales sont directement issus des activités locales de ces zones attractives. Ces dernières abritent plus de 8 millions d’habitants : industrie, activités portuaires, tourisme balnéaire, etc. Cependant, ces polluants peuvent aussi venir de très loin : jusqu’à 80 % de la pollution des mers et des océans provient d’activités terrestres.
Un produit repéré en Méditerranée ou dans l’Atlantique peut très bien provenir des égouts lyonnais ou des vallées pyrénéennes, car le littoral se situe au bout d’un continuum aquatique composé d’écosystèmes interconnectés (ruisseaux, zones humides, rivières, estuaires…) qui se succèdent. Il est donc le réceptacle de toutes les pollutions générées à des dizaines voire des centaines de kilomètres en amont.
Les rejets domestiques et collectifs (hôpitaux par exemple) d’eaux usées, les ruissellements agricoles, l’aquaculture et les effluents industriels sont les principales sources de ces polluants aquatiques. Si certaines de ces sources sont facilement identifiables (une usine, un équipement), d’autres, comme pour les produits phytosanitaires, sont au contraire très diffuses et impossibles à localiser précisément.
Des effets mal connus
Certains de ces polluants peuvent causer une toxicité chronique et des perturbations endocriniennes chez les humains et la faune aquatique. Le devenir et les effets d’une grande majorité d’entre eux sont mal connus et ils ne sont pas inclus dans la réglementation sur la qualité de l’eau. Estimer les effets sur les écosystèmes d’une pollution liée à ces molécules s’avère difficile, car il existe des dizaines de milliers de substances. Ils sont en outre souvent utilisés à faibles doses et leurs comportements sont très divers.
Par exemple, de nombreux ingrédients cosmétiques comme les muscs de synthèse, les filtres UV, des alkylphenols présents dans les détergents ou les cosmétiques ou encore des microplastiques, sont des polluants aquatiques persistants et néfastes pour la faune et la flore.
Leur impact dépend à la fois de leur mode d’action (certains sont beaucoup plus toxiques que d’autres), de leur persistance dans le temps (dégradation plus ou moins rapide) et de leurs sous-produits de dégradation lesquels sont parfois plus toxiques et se dégradent moins vite que le composé initial, comme le cas des métabolites, issus de certains pesticides.
[Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde. Abonnez-vous aujourd’hui]
Une importante préoccupation concerne les « effets cocktail » c’est-à-dire les effets cumulatifs et synergiques entre les différentes substances. Les évaluer est une tâche complexe mais les études scientifiques sont claires : bien qu’encore très lacunaires, les connaissances acquises ces dernières années sur les effets combinés des polluants sont telles que nous devons prendre en compte ces effets combinés dans l’évaluation des risques.
Or, les gouvernements ne surveillent et ne réglementent que les niveaux individuels de certains produits chimiques et pour le moment le cadre réglementaire prend peu en considération l’effet cocktail.
Réduire les risques : des objectifs fixés à l’échelle internationale
Trouver des stratégies efficaces et durables d’identification de ces polluants émergents et d’atténuation de leurs effets néfastes est un grand défi pour les gestionnaires des milieux aquatiques, les régulateurs et les chercheurs.
L’Union européenne (UE) est un acteur majeur de la lutte contre la pollution de l’eau à travers la Directive Cadre Stratégie pour le Milieu Marin et la Directive Cadre sur l’Eau. Ces deux directives, qui s’imposent aux États membres, accordent une grande importance à la surveillance et au contrôle des polluants. L’UE est aussi à l’origine de REACH, règlement destiné depuis 2007 à protéger la santé humaine et l’environnement contre les risques liés aux substances chimiques en obligeant les industriels qui les produisent à procéder à leur évaluation. Mais évaluer toutes les molécules est un chantier titanesque, les industriels sont parfois réticents et comme le montre le cas du bisphénol A, l’innocuité des produits de substitution n’est pas toujours garantie.
À lire aussi : Perturbateurs endocriniens : pourquoi les remplaçants du bisphénol A posent aussi problème
Sur le terrain, pas de solution magique mais des pistes d’action
Pour réduire la présence de ces polluants émergents dans les milieux littoraux, deux types de solutions sont envisageables : la première est de réduire les émissions polluantes. La deuxième solution est d’améliorer le traitement des eaux usées.
Parce que les points d’entrée et de circulation des produits dans l’eau sont multiples, la solution la plus efficace serait de réduire à la source les émissions polluantes. La réglementation au niveau européen et national peut instaurer des normes de fabrication, définir des seuils maximums, voire interdire certains produits.
Mais faute d’alternative, tous ne peuvent pas être interdits. Améliorer la situation des littoraux nécessite alors des efforts importants sur de vastes territoires en amont pour réduire l’usage des produits problématiques : le seul littoral Sud Atlantique est au débouché de 25 départements du bassin Adour Garonne, soit un 1/5e du territoire métropolitain par exemple. Or motiver les acteurs socio-économiques de ces territoires représente une difficulté majeure : il faut les amener à adhérer à des mesures parfois contraignantes et coûteuses dont les bénéfices sont attendus bien loin de chez eux.
Communiquer auprès des usagers
La population détient également une partie de la solution : communiquer sur les nombreuses substances chimiques présentes dans les produits quotidiens permet d’accompagner les changements de pratique des consommateurs et de limiter le rejet de certaines substances. Certains projets de recherche comme Cosmet’eau sur les cosmétiques ou Lumieau-Stra sur les produits ménagers ont notamment évalué l’efficacité des changements de pratiques.
Mais là encore, la diversité des produits concernés complique les choses : si on peut se passer de parfum, changer de marque de produit ménager, l’arrêt d’autres produits est plus difficile. C’est le cas des médicaments qui peuvent, comme à Bordeaux, représenter plus de 90 % des polluants mesurés dans les eaux usées urbaines.
Les efforts peuvent alors porter sur l’amélioration des procédés de traitement des eaux usées, insuffisamment efficaces à l’heure actuelle vis-à-vis de ces molécules.
Enfin, poursuivre les suivis de la qualité des eaux, tant littorales que continentales en amont pour vérifier les résultats de ces efforts est indispensable. Cela suppose de faire évoluer les normes pour intégrer ces polluants émergents dans les mesures de la qualité de l’eau. Le réseau européen NORMAN qui regroupe les laboratoires et centres de recherche sur le sujet, travaille notamment à la hiérarchisation de ces nombreux produits afin de combler les lacunes en matière d’évaluation des risques.
Christine Bouisset et Mathilde Monperrus ont reçu des financements de l'université de Pau et des Pays de l'Adour et de la Communauté d'agglomération Pays-Basque dans le cadre du projet de recherche MICROPOLIT - Emerging micropollutants in aquatic ecosystems. Multidisciplinary approaches to face challenges and develop solutions from the river to the coast
Mathilde Monperrus ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.