Pourquoi la biodiversité de toutes les îles du monde finit par se ressembler

2 months ago 172

Saviez-vous que la moitié des plantes présentes à la Réunion ont été introduites par l’humain, pourtant arrivé tardivement sur l’île, au 16ème siècle ? Mais alors comment et pourquoi certaines espèces sont arrivées et pas d’autres ?

C’est justement la question que cherche à élucider une équipe de cinq chercheurs internationaux à l’Université de Paris-Saclay, l’Océan Université de Chine et l’institut de la recherche en biodiversité de Berlin. Cela fait longtemps que les humains déplacent les espèces à travers le monde et que les scientifiques étudient les conséquences de ces déplacements. Ils ont ainsi pu estimer que 37 000 espèces non-natives sont déjà présentes à travers le monde, dont 200 nouvelles espèces documentées chaque année, causant 1215 extinctions locales.

L’humain est de fait le vecteur clef de l’introduction des espèces non-natives à travers le monde, et ce dans tout le vivant, qu’il rampe, qu’il grimpe, qu’il nage ou qu’il vole. Les oiseaux ne sont ainsi pas épargnés par les déplacements de l’humain, qui a joué un rôle déterminant dans la structuration des communautés d’oiseaux insulaires. Quand les espèces natives ont mis des millions d’années à s’adapter à ces environnements si particuliers sous l’effet de contraintes climatiques, géologiques et environnementales, en quelques centaines d’années on assiste à un changement drastique de la composition de ces communautés. Les nouvelles communautés d’oiseaux sur les îles sont différentes à la fois en termes de caractéristiques écologiques et de la généalogie de ces espèces introduites, sous l’effet des pressions générées par l’arrivée de l’humain.

Mais quels sont les facteurs qui expliquent que certaines îles vont abriter plus d’espèces non-natives que d’autres ?

La biodiversité des îles : un domaine qui questionne depuis Darwin

Depuis Darwin, cette question relative à la biodiversité des îles occupe les scientifiques.

En 1957 les biologistes américains Mc Arthur et Wilson ont notamment cherché à comprendre la répartition des espèces natives dans les îles, science désormais connue sous le nom de biogéographie. L’étude méticuleuse des espèces présentes sur différentes îles les amène à poser quelques constats : les îles les plus éloignées des continents sont celles qui ont le moins d’espèces ; les îles les plus grandes sont celles qui au contraire en abritent le plus.

Les deux biologistes ont ainsi formulé deux lois mathématiques qui expliquent la plus ou moins grande diversité des espèces vivant dans les îles. Ces deux lois ont fondé la théorie de l’équilibre dynamique de la biogéographie insulaire : plus l’île est grande, plus elle peut abriter d’espèces (loi aire-espèce) ; plus l’île est éloignée du continent moins la diversité des espèces est riche (la relation isolement-diversité).


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Quand l’humain remet complètement en cause les lois de la biogéographie

Mais ce dont ces deux chercheurs ne se doutaient pas à l’époque c’est comment l’humain allait, en à peine soixante ans, obliger les scientifiques à repenser les lois biogéographiques qu’ils avaient dictées. C’est ce que la recherche scientifique nous apprend depuis quelques années et ce que nous avons tâché de démontrer dans notre dernière étude. Nous nous sommes pour cela spécifiquement intéressés au groupe des oiseaux, qui représente plus de 10 000 espèces à travers le monde dont près d’une centaine ont déjà disparu notamment en raison des introductions d’espèces non-natives. C’est par exemple le cas de la Tourterelle de Socorro, qui était endémique à une poignée d’îles mexicaines et qui a désormais disparu à l’état sauvage en raison de la prédation par les chats.

Travailler sur les oiseaux est particulièrement intéressant car c’est l’un des groupes les mieux étudiés sur Terre, pour lesquels nous avons accès à des centaines de milliers de données sur leurs habitats, leurs habitudes alimentaires, ou encore la taille de leurs becs ou de leurs ailes. C’est donc un groupe précieux qui peut nous renseigner sur l’effet de l’humain sur les introductions d’espèces non-natives.

C’est en étudiant ce groupe que nous avons démontré que les échanges touristiques et commerciaux (maritimes, aériens), le développement des zones urbaines et de l’agriculture, ainsi que la densité de population humaine sont autant de facteurs qui jouent un rôle clef, avant même les facteurs biogéographiques, dans la diversité des oiseaux non-natifs sur les îles.

Les aéroports, plus déterminants que la proximité avec le continent ?

Par exemple, les îles de l’archipel d’Hawaï sont à plus de 3000 km du premier continent, mais du fait du nombre important de ports et d’aéroports, elles sont fortement connectées par les activités humaines, elles subissent le tourisme de masse et contiennent aujourd’hui plusieurs dizaines d’espèces d’oiseaux non-natifs.

En revanche, les îles du Cap Vert à l’ouest du Sénégal ne sont qu’à 650 km des côtes continentales mais ont une plus faible population humaine et un nombre inférieur d’infrastructures de transport. Le nombre d’oiseaux non-natifs sur ces îles est inférieur à cinq espèces.

Facteurs jouant un rôle clé dans la diversité des oiseaux non-natifs sur les îles étudiées. Les facteurs humains (nombre de ports et aéroports, densité de population, modification de l’habitat naturel) ont un rôle plus important que les facteurs biogéographiques (taille de l’île, distance au continent) pour expliquer le nombre et les qualités des espèces non-natives d’oiseaux sur les îles. Fourni par l'auteur

Autre phénomène préoccupant, l’humain ne se contente pas d’amener des espèces là où la nature ne les aurait pas placées, il sélectionne avec soin certaines familles d’espèces dont les caractéristiques présentent un intérêt pour lui. Les oiseaux introduits sont donc plutôt des herbivores qui se nourrissent au sol et qui ne sont pas très exigeants sur leurs choix d’habitats préférés puisqu’ils peuvent survivre dans plusieurs types d’habitats différents et sont même plutôt enclins à vivre dans des habitats perturbés. Avec le temps, toutes les espèces d’oiseaux non-natives se ressemblent de plus en plus, dans leurs habitudes alimentaires, leur habitat ou leur mode de vie en général.

Des espèces envahissantes qui se suivent et se ressemblent

Les oiseaux non-natifs introduits dans les îles sont aussi plus proches entre eux que ce qu’on attendrait du hasard. Cela signifie que l’humain sélectionne les espèces introduites (volontairement ou non), et que celles-ci sont plutôt de la même famille ou de familles proches qui vont avoir tendance à se ressembler. C’est par exemple vrai pour la famille des Gallinacés (comme les poules, les dindes et les faisans), oiseaux originaires d’Asie, d’Afrique ou d’Amérique mais disséminés dans les îles par les colons européens qui transportaient des populations domestiques pour la nourriture ou la chasse.

Aujourd’hui, ces espèces ont des populations redevenues sauvages sur de nombreuses îles du monde qui impactent désormais les communautés locales. Ces espèces partagent des caractéristiques écologiques communes, par exemple une masse corporelle élevée ou un régime alimentaire généraliste, et les différentes populations introduites à travers les îles du monde conduisent à des communautés de plus en plus similaires.

En étudiant la distribution spatiale des oiseaux non-natifs, nous avons pu mettre en évidence des points chauds de diversité non-native, c’est-à-dire des endroits où de nombreuses espèces ont été introduites et se sont établies en grande quantité par rapport à d’autres régions. Certaines îles comme Hawaï, la Nouvelle-Zélande ou l’île de La Réunion contiennent un grand nombre d’oiseaux non-natifs, avec une variété de caractéristiques et de familles introduites. Au contraire, les îles de l’Atlantique Nord, des Seychelles dans l’océan Indien et les grandes îles d’Indonésie et de Papouasie Nouvelle-Guinée présentent un nombre d’oiseaux non-natifs plus faible. Cependant, ces oiseaux ont quand même des profils particuliers, avec des caractéristiques sélectionnées principalement pour leur usage par l’humain.

Diversité de profils écologiques (diversité fonctionnelle) des oiseaux non-natifs sur 407 îles océaniques, représentée par la couleur des cercles. On note la présence de « points chauds » en diversité non-native, comme les îles de Hawaï ou de Nouvelle-Zélande. Figure adaptée de l’article Marino et coll., 2024. Fourni par l'auteur

Une menace certaine pour la résilience des îles face aux changements

Ces réalités dressent un tableau des plus préoccupants pour la biodiversité des îles qui n’est pas seulement confrontée à la menace des invasions biologiques.

Nous savions déjà que les invasions représentent la première cause d’extinction dans le contexte insulaire. S’ajoute à cela la sélection des espèces introduites, qui a des conséquences directes sur les nouvelles communautés d’oiseaux. On assiste aussi à une forme d’homogénéisation sur les îles : si toutes les espèces transportées, introduites puis qui s’établissent ont les mêmes caractéristiques, alors les communautés sur les îles, même si elles sont géographiquement très éloignées, vont finir par être très similaires.

Une tendance qui suscite des inquiétudes légitimes. Au-delà des questionnements esthétiques quant à la possibilité d’avoir des communautés d’oiseaux qui se ressemblent de plus en plus dans la grande variété des îles tropicales, le manque de diversité réduit considérablement les possibilités de réponses de ces espèces aux changements globaux c’est-à-dire aux changements climatiques, à la perte d’habitats, la pollution ou encore la surexploitation des espèces. Les communautés d’oiseaux qui perdent leur diversité de par les extinctions d’un côté, et l’introduction d’espèces qui se ressemblent de l’autre posent un sérieux problème pour le futur de la biodiversité et sa résilience face à ces changements globaux qui sont de plus en plus présents.

The Conversation

Clara Marino a reçu des financements du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche (bourse de thèse) ainsi que de la fondation pour la recherche sur la biodiversité (emploi actuel).

Céline Bellard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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