L’activité minière, aujourd’hui marginale en France métropolitaine, est sans commune mesure avec notre consommation croissante de substances d’origine minérale. Cette situation résulte notamment du déclin massif des industries extractives à partir des années 1980, pour des raisons économiques et environnementales, mais aussi d’un retrait de l’État français de ce secteur, conjointement au mouvement plus global de désindustrialisation de l’économie nationale.
Dès la fin du XXe siècle, la politique et les filières minières françaises se sont ainsi essentiellement tournées vers l’international, avec l’objectif de s’approvisionner en substances minérales sur les marchés mondiaux. Cette stratégie est mise à mal depuis la fin des années 2000, qui voit ressurgir l’enjeu géostratégique des ressources du sous-sol, principalement pour la sécurisation des approvisionnements des industries nationales dans un contexte d’accentuation des tensions internationales, en particulier avec la Chine et, aujourd’hui, la Russie.
Si l’objectif de sécurisation a effectivement suscité des actions concrètes dès le gouvernement Fillon (2007-2012), la tentative de relocalisation de l’activité minière s’est quant à elle heurtée à une contestation importante tant au niveau national que local dans les années 2010.
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Un enjeu de transition
Malgré l’échec de cette première séquence, dite du « renouveau minier français », selon la formule d’Arnaud Montebourg en 2012, la relocalisation de la production minière prend aujourd’hui une résonance nouvelle.
Entrent en conflit d’une part, les besoins en matières premières spécifiquement nécessaires aux transitions (comme le lithium pour la mobilité électrique), et de l’autre, la critique toujours plus vive des externalités négatives de leur extraction. À l’image, par exemple, de l’exportation des impacts environnementaux et sociaux de l’exploitation des salars en Amérique du Sud ou l’enjeu de la préservation d’environnements naturels fragiles en métropole – cas du gisement de lithium de Tréguennec, dans la baie d’Audierne.
Il serait pour autant erroné de réduire l’enjeu des approvisionnements en ressources minérales à une problématique strictement économique, locale ou nationale. L’enjeu d’une relance des activités extractives en France métropolitaine, souvent promue par les acteurs institutionnels, ne saurait se comprendre sans l’inscrire dans une visée de transition globale, non seulement énergétique, mais aussi véritablement politique et socioécologique.
La réforme du Code minier (engagée par la loi Climat et Résilience de 2021) et la délivrance de nouveaux permis exclusifs de recherche ciblant le lithium permettent d’entrevoir l’émergence d’une séquence de renouveau minier qui devra, à nos yeux, répondre à trois défis.
Un défi démocratique
La relocalisation des activités minières se heurte régulièrement à des oppositions qui dénoncent un déni démocratique. Cette situation, définie par les opérateurs et une partie des élus et de l’administration comme un manque « d’acceptabilité sociale » de la mine, va beaucoup plus loin que les concertations locales souvent tentées. Non seulement elle interroge la démocratisation de la procédure d’attribution des titres miniers, mais elle questionne aussi le statut du sous-sol et des ressources qu’il contient comme des biens communs, et donc leur valorisation collective.
Au-delà des promesses de la « mine responsable », nulle exploitation des ressources naturelles ne peut se faire sans certains impacts environnementaux et sociaux, dont il convient de définir s’ils sont « acceptables » voire « souhaitables », ou non.
À l’échelle mondiale, le Global Resources Outlook 2019 de l’ONU estime que les activités d’extraction et de transformation sont notamment responsables de 53 % des émissions de carbone dans le monde et de 20 % des effets de la pollution atmosphérique sur la santé.
D’éventuelles nouvelles mines en France métropolitaine ne devraient-elles pas être plus vertueuses que ces moyennes mondiales ?
Se pose en fait la question du bilan-bénéfices-risques, du contrôle des activités, mais aussi du caractère inéluctable des activités extractives et de la place qu’on accorde aux ressources minérales dans nos sociétés, pour réguler tout risque de surexploitation du sous-sol dans un contexte global accru de crise climatique et écologique.
Le défi démocratique est donc celui du débat public sur ce « res nullius », dont l’intendance revient à l’État.
Or, il n’est que partiellement abordé par la réforme du Code minier – opérée par ordonnances au printemps 2022 sur quatre enjeux cruciaux (autorisation environnementale, indemnisation et la réparation des dommages miniers, modernisation du code minier, et adaptation à l’outre-mer) – qui reste avant tout une réforme « technique » et ne constitue en l’état qu’une mise à niveau de la réglementation nationale au regard des standards européens d’évaluations environnementales et sociales des projets.
Un défi d’action publique
L’action publique est marquée à l’échelle globale par la confrontation entre les tensions géopolitiques et l’impératif de souveraineté en matière de ressources. Au-delà de la relocalisation de l’extraction, l’action publique minière doit donc être envisagée en cohérence avec un programme économique plus large. Si le « renouveau minier » envisagé par Arnaud Montebourg en 2012 fut beaucoup une « politique de papier », il a surtout permis de remobiliser une filière hétérogène davantage caractérisée, à l’échelle française, par les acteurs de l’aval (transformation) que par ceux de l’amont (extraction).
À revers de la proposition de créer une Compagnie Nationale des Mines de France, les opérateurs de l’exploration minière ont principalement été des compagnies juniors développant des stratégies spéculatives sur les projets d’exploration et les ressources. Le défi d’action publique ne consiste donc pas uniquement à stabiliser un cadre favorable à l’investissement ; il s’agit aussi de promouvoir le développement territorial à proprement parler, la structuration de chaînes de valeurs de l’extraction à la transformation, intégrées au niveau européen, tout en accélérant la structuration de chaînes circulaires en régime de proximité.
Les propositions des professionnels de définir une traçabilité des métaux et une labellisation, tout comme les récents plans de programmation des ressources minérales de la transition vont dans le sens de cette structuration, mais l’investissement public doit encore être concrétisé.
Un défi de vision stratégique
Le manque de moyens nouveaux pour conduire une telle politique trouve une partie de son explication dans l’absence de portage politique de cette thématique par les élus et les partis. Le sous-sol est « invisible » et les ressources minérales ne sont pas à l’agenda des problèmes publics médiatiques et politiques. L’épisode Montebourg (2012-2014) a pourtant démontré que la relocalisation minière pouvait s’intégrer dans un récit sur la « démondialisation » qui sonne aujourd’hui comme prémonitoire.
À l’inverse, l’opposition aux projets miniers dans les années 2010 a largement mobilisé les élus locaux, notamment les maires, qui en ont fait un étendard contre des décisions « technocratiques ». Ce qui manque à une politique de relocalisation c’est donc aussi, et peut-être surtout, un récit « positif », capable d’aller au-delà des promesses économiques et technologiques habituelles. La faible mise en politique des enjeux minéraux et miniers tient précisément à leur technicisation au sein d’arènes confinées et expertes. Du processus décisionnel et de l’action publique jusqu’à l’intégration territoriale des projets, le décloisonnement politique des arbitrages et procédures paraît indispensable.
Mais cela nécessite de formuler une vision claire, globale et cohérente du sens et de la place de l’extraction comme de l’industrie, afin de pouvoir appréhender les interdépendances réciproques entre industrie, territoires et environnement, telles qu’elles sont aujourd’hui politisées par nombre de mobilisations locales contre les grands projets industriels.
Car la relation entre territoire et industrie ne saurait être réduite à la promesse de bénéfices économiques et d’emplois : elle doit être repensée dans une relation plus globale et systémique à l’environnement. En ce sens, il est impératif que les référentiels industriels de la mine entrent eux aussi dans une logique de « transition ».
Sébastien Chailleux a reçu des financements de E2S UPPA.
Sylvain Le Berre a reçu des financements de GEFISS / CNRS.
Yann Gunzburger a reçu et reçoit des financements de la part d'organismes publics (ANR, par exemple) et, sous forme de mécénat, de la part d'entreprises privées, notamment dans le cadre d'une chaire de recherche et de formation s'intéressant aux relations entre projets miniers et territoires. Il est adhérent de plusieurs sociétés savantes, dont la Société de l'Industrie Minérale.