Prendre le métro accroît-il notre risque de faire des AVC ? S’il y a quelque temps, une telle affirmation aurait pu sembler saugrenue, les études réalisées sur les taux de particules fines du métro parisien légitiment désormais une telle question. Afin de comprendre pourquoi, il faut d’abord s’attarder sur ce que sont ces particules fines, et la façon dont nous pouvons les mesurer.
Le terme « particules fines » désigne tous les aérosols solides et semi-volatiles en suspension dans l’air, ayant une taille allant de quelques nanomètres (nm), c’est-à-dire un milliardième de mètre à quelques centaines de micromètres (µm), c’est-à-dire un millionième de mètre. Pour comparer, le diamètre d’un cheveu est d’environ 70 µm et celui d’un globule rouge est de 7 µm. La mesure de la taille et de la concentration de ces particules fines est devenue un enjeu sanitaire du fait des nombreuses pathologies qu’elles génèrent lors des épisodes de pollution atmosphérique.
La mesure des particules fines
En France, les mesures de surveillance de la pollution sont menées par les agences de surveillance de la qualité de l’air (AASQA), qui, pour les particules fines, se concentrent sur leurs concentrations massiques par m3. Y sont mesurées les PM10 (masse cumulée de toutes les particules inférieures à 10 µm) et les PM2.5 (particules inférieures à 2,5 µm). La mesure des particules fines a commencé il y a 45 ans pour les PM10, suivie, une vingtaine d’années plus tard, par celles des PM2.5. Mais cette échelle de mesure pose de plus en plus question, car elle minimise la contribution des particules très fines et ultrafines respectivement inférieures à 1 µm et 0,1 µm.
L’intérêt pour les particules ultrafines est, de fait, plus récent, depuis les premiers travaux médicaux sur leur dangerosité jusqu’à la reconnaissance par la communauté scientifique depuis une dizaine d’années de la nécessité de les mesurer.
Pour le moment, nous nous contenterons cependant de scruter l’échelle des PM2.5 qui présente un compromis entre la nécessité de mesurer les plus petites particules et celle d’avoir une référence de mesure. La norme actuelle est de ne pas dépasser une moyenne annuelle de 25 µg/m3. L’OMS a récemment publié de nouveaux objectifs : 5 µg/m3 en moyenne sur l’année et 15 µg/m3 en valeur limite journalière. Pour aller vers ces recommandations, la Commission européenne vient d’abaisser en février 2024 la moyenne annuelle à 10 µg/m³ .
Mesurer les particules fines du métro
Voici pour ce qui est des échelles de mesure. Mais vient ensuite une autre question, tout aussi importante : où effectuer ces mesures ?
Les normes de la qualité de l’air ne concernent que l’air ambiant extérieur. Néanmoins, il semble raisonnable de proposer d’étendre ces valeurs aux enceintes souterraines des métros et des trains, puisque l’air qui y circule provient d’une ventilation naturelle à partir de l’air en surface. De plus, les transports en commun sous-terrain sont utilisés quotidiennement par un grand nombre d’usagers : avec 12 millions de déplacements chaque jour pour ce qui concerne la RATP. Dès lors la question de la qualité de l’air de ces lieux sous-terrain où transitent 72 % de la population française est tout sauf négligeable.
Dans l’attente de normes qui ne sont toujours pas établies, différentes équipes scientifiques ont mené depuis une vingtaine d’années des études dans différents réseaux de métro, n’étant pas satisfaits des informations souvent rassurantes que donnaient certains opérateurs de ces réseaux.
Pourquoi la qualité de l’air n’est pas bonne dans le métro ?
Si l’on se penche maintenant sur la situation de la qualité de l’air de la plupart des métros du monde entier, on constate rapidement qu’elle n’est pas bonne. Cette réalité a en fait deux causes majeures :
Le prélèvement de l’air extérieur, qui s’effectue souvent depuis des grilles au ras de la chaussée. L’air est alors très chargé des particules fines directement issues du trafic routier (moteurs, freins, pneus). Ainsi la pollution de l’air dans le métro ne peut être inférieure à celle de l’air extérieur.
La génération de particules fines liées à l’activité du métro. Ces particules proviennent principalement du freinage, mais aussi de l’usure des roues et des rails, de l’effritement naturel du ballast et de la voute des tunnels. Le passage des rames peut aussi entraîner un ressoulèvement des particules.
Les études précédemment menées considèrent la valeur globale en PM2.5 et en PM10. Elles sont localement représentatives de ce que respirent les usagers, mais ne permettent pas d’estimer la contribution du métro par comparaison à un voyage qui aurait été effectué à pied en air extérieur. Pour mesurer cela, nous avons introduit la notion de sur-pollution, c’est-à-dire la contribution uniquement liée au métro, qui est obtenue en soustrayant aux mesures effectuées dans les stations celles de l’air extérieur à proximité.
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Plusieurs campagnes ont été menées de manière indépendante par rapport à la Régie Autonome des Transports Parisiens (RATP) pour évaluer cette sur-pollution. La plus récente a été réalisée avec les équipes du magazine « Vert de Rage » diffusé sur France 5, en utilisant des capteurs mobiles Pollutrack, qui servent normalement à cartographier l’air extérieur de Paris. La stratégie a consisté à effectuer les mesures pour toutes les stations du métro parisien aux heures de pointe, et à les comparer aux mesures à l’extérieur. Certaines stations mal ventilées présentent des valeurs de sur-pollution de plusieurs dizaines de µm/3, comme Charonne, Javel ou Pont de Neuilly, ainsi que certaines lignes où les rames de métro génèrent une usure significative des rails, telle la ligne n°5.
Une valeur moyenne d’environ 15 µg/m3 a été obtenue en considérant toutes les stations souterraines, qui s’ajoute à la valeur moyenne d’environ 15 µg/m3 de l’air ambiant parisien. Ainsi les usagers doublent en moyenne leur exposition aux particules fines journalière lorsqu’ils sont dans le métro.
Ce concept de sur-pollution pourrait être utilisé pour une première approche de normes dans l’air intérieur, en prenant en compte le temps d’exposition à cette sur-pollution et en l’ajoutant à l’exposition moyenne à l’air ambiant. Par exemple, 1h30 d’exposition dans les enceintes souterraines par jour augmenterait l’exposition moyenne journalière d’un citoyen de 1 µg/m3, ce qui devient significatif au regard des nomes de l’OMS. Bien sûr, un tel calcul n’est qu’une valeur moyenne, sachant que des valeurs bien plus élevées peuvent être obtenues pour les lignes de métros les plus polluées.
Qualité de l’air extérieur
On le voit bien, la qualité de l’air dans les métros est donc intrinsèquement liée à la qualité de l’air extérieur. Dès lors, pour bien comprendre les causes originelles de la pollution de l’air, il faut considérer les différentes sources qui en altèrent la qualité en fonction des lieus de vie. Les activités industrielles et de constructions et le trafic (routier, aérien et maritime) sont les sources les plus souvent mises en avant, mais le chauffage au bois collectif et individuel, ainsi que la formation d’aérosols secondaires issus des épandages agricoles sont aussi des sources majeures.
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La pollution aux particules fines peut être locale, mais aussi importée suivant la direction et de la force des vents. Les situations anticycloniques sont celles qui favorisent la stagnation des polluants près des sources. Des vents de quelques m/s favorisent la dispersion de la pollution mais aussi son transport, sans toutefois la résoudre totalement. Les meilleurs alliés pour lutter contre la pollution sont de forts vents pour disperser les particules fines et les pluies fortes pour les rabattre au sol.
Certains lieux sont de surcroit plus propices à de forts taux de pollution, en fonction des activités industrielles, de la densité de pollution et de la topographie locale. À l’échelle de la France, la vallée de l’Arve, en Haute-Savoie, est un des endroits les plus pollués à cause de l’implantation d’activités très génératrices de particules fines en fond de vallée mal ventilée.
Paris est aussi une ville très polluée de fait de la forte concentration urbaine, du trafic routier, et de la configuration de la ville qui engendre une forte variabilité à l’échelle du km. Le périphérique reste l’endroit le plus pollué, mais le Nord et l’Est de Paris sont nettement plus pollués que l’Ouest du fait de la configuration de la ventilation de la ville avec notamment la présence de rues canyons où la pollution peut s’accumuler. Ainsi, Paris connaît un nombre de jours de dépassement de la recommandation de l’OMS qui va entre 100 et 200 par an selon la localisation dans la ville. Ce résultat montre l’importance de l’emplacement des bouches de prélèvement de l’air pour les enceintes souterraines, ce qui n’est pas considéré actuellement pour le renouvellement de l’air alors que cela a des conséquences sur la santé des usagers des transports en commun.
Conséquences sanitaires
Face à cet enjeu-là, la recherche médicale progresse aussi : Les effets sanitaires des particules fines sont de mieux en mieux connus, bien que de nouvelles études augmentent encore régulièrement le nombre de pathologies liées à la pollution. Les effets à court terme concernent les crises d’asthme, l’augmentation des AVC et des crises cardiaques, et même la mortalité liée au Covid-19.
Les effets à long terme sont mis en évidence à partir de nombreuses études épidémiologiques sur lesquelles l’OMS s’est basée pour fixer ses recommandations en PM2.5. Ces effets se manifestent notamment par une augmentation des allergies sévères, des cancers, des maladies neurodégénératives, et du diabète de type 2. Les particules carbonées ultrafines, toxiques pour l’organisme, une fois entrées par les voies respiratoires, se retrouvent dans pratiquement tous les organes du corps humain.
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En conclusion, comment améliorer la qualité de l’air ?
Ces fléaux semblent d’ailleurs grandissants du fait notamment des concentrations en particules ultrafines qui semblent en augmentation, alors que celles en plus grosses particules diminuent. Ceci s’explique par le fait que les sources sont toujours là, mais que la nature de la production des particules a changé à cause de l’évolution de leur mode de production (évolution des rejets des moteurs diesel et du chauffage au bois).
Alors que faire ? Cette évolution n’est pas inexorable. Pour les enceintes souterraines, il faut améliorer les systèmes de freinage des rames, mieux gérer le renouvellement de l’air, et travailler sur des techniques de dépollution de l’air. Des expérimentations et des installations commencent à se mettre en place. À noter toutefois qu’un système d’extraction d’air, même s’il favorise le renouvellement de l’air dans les enceintes souterraines, rejette la pollution à l’extérieur et ne fait donc que déplacer le problème.
Pour la qualité de l’air extérieur, il faudrait limiter les émissions, notamment avec l’interdiction des moteurs diesel et des véhicules lourds en ville, la limitation du chauffage au bois dans les zones à forte densité de population, et la régulation des épandages agricoles en fonction du transport de leurs effluves par les vents.
Si certains pourraient être tentés de faire primer la protection individuelle au bien collectif en remplaçant leurs trajets en métro ou RER par un même trajet en voiture, cette solution ne serait ni bénéfique individuellement ou collectivement car l'habitacle de la voiture ne protège en rien de la pollution aux particules fines. À certains endroits, comme les arrêts aux feux de circulation ou les embouteillages, l'exposition peut même y être jusqu'à 29 fois plus élevées qu'à l'extérieur.
Enfin, le problème d’exposition aux particules fines est surtout critique les jours de forte pollution lors de situations anticycloniques. Il pourrait être proposé de limiter les activités lors de ces journées. Le port de masques FFP2 pourrait aussi être recommandé dans les enceintes souterraines pour les personnes les plus fragiles. Toutes ces actions impliquent une participation citoyenne constructive pour que chacun s’approprie ces règles afin que nous respirions mieux dans les années à venir.
Jean-Baptiste Renard est membre du conseil scientifique de RESPIRE. Après avoir débuté ses travaux sur la mesure de la pollution de l'air dans le métro parisien, il a été sollicité comme consultant pour la société Aerophilee SAS qui a notamment développé un appareil de dépollution pour grands volumes, et par les sociétés Pollutrack et MeteoModem qui vendent des compteur d'aérosols.